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Société / Médias Octobre 2009

Caroline Fourest « n'a pas voulu cela ! »

Si je ne pensais pas que Caroline Fourest est sincère, au fond, je me dirais qu'elle est vraiment faux cul. Nouvelle chroniqueuse au Monde, elle vient de constater un « Retour de flamme anti-islam » dans sa livraison du 3 octobre 2009. Elle semble prendre conscience de la montée xénophobe, mais oublie trop modestement le rôle qu'elle a joué dans la situation actuelle.

Au cours de ces dernières années, elle est devenue une spécialiste du sujet, ce qui lui a valu son emploi actuel, au Monde ou sur France culture, où elle intervient aussi régulièrement. Et aujourd'hui, elle remarque benoîtement : « les populistes n'ont aucun mal à convaincre que tous les musulmans sont... des intégristes », victime d'une stylistique faussement académique de la presse intellectuelle. Est-ce que cela l'étonne vraiment ? N'était-elle pas la première à ironiser sur l'« islamophobie » en disant très doctement que le terme était issu de la propagande islamique iranienne. Comme si ce mode d'argumentation n'était pas le comble de la perfidie étymologique que ne gobent que les faux érudits d'extrême droite ! Certains de ces pédants se croient de gauche, il est vrai, sermonnant les gamins incultes qu'ils croient que nous sommes, alors qu'ils ont affaire à des adultes et des citoyens qui ont le droit à la parole [1].

À se spécialiser de plus en plus sur les extrémistes musulmans, aurait-elle négligé les extrémistes catholiques ou nationalistes locaux, qui étaient pourtant un de ses premiers centres d'intérêt. Il était pourtant évident qu'ils n'allaient pas jouer dans la subtilité. Elle connaît pourtant très bien le problème qu'elle énonce clairement, à propos du référendum suisse contre les minarets : « l'UDC menace d'élargir sa base en allant jusqu'à usurper le drapeau de la laïcité. [...] Fils de pasteur, Christophe Blocher rêve d'assurer la domination visuelle et culturelle du christianisme sur l'islam. Comme au temps où la Réforme opprimait la minorité catholique en lui interdisant de construire des clochers ».

Le problème de la jolie Caroline est la conséquence du maximalisme gauchiste dont elle est issue (et plus encore de celui plus caricatural des militants homosexuels). D'une part, elle est trop optimiste sur les effets de la raison et de l'autre, comme tout extrémiste (dont les fondamentalistes religieux), elle a tendance à diaboliser ceux qui résistent à ses arguments. Sa remarque : « Sommes-nous condamnés à être pris en tenaille entre les « idiots utiles » de l'intégrisme habile et les tenants d'une vision rance de la Nation » pour déplorer que les musulmans laïques soient minorés dans les médias. Mais elle donne le coup de pied de l'âne aux méchants relativistes (qui trahissent l'Occident chrétien... Heu... laïque... Heu... je ne sais plus...), victimes/complices du complot sournois des Sages de La Mecque.

Ainsi, elle semble la seule à s'étonner que : « les amis de Philippe de Villiers, jadis raillés pour leurs diatribes contre la République laïque, tissent des liens avec des ultra-laïques, tentés de passer de la posture laïcité contre tous les intégrismes à celle de la chrétienté contre l'islam ». La bonne nouvelle est plutôt qu'elle semble prendre ses distances avec les ultra-laïques dont on pouvait considérer qu'elle était la porte-parole. Ils vont être un peu déçus, et considérer qu'elle a viré « idiote utile ».

Elle continue plutôt son djihâd personnel contre Tariq Ramadan, qu'elle accuse systématiquement d'être un sous-marin des frères musulmans. Elle a raison sur le rôle des médias qui exacerbent les oppositions, ce qui est inévitable. Mais elle ne semble pas s'interroger sur la raison de sa propre invitation ou de son nouveau statut qui me semble exclusivement fondé sur ce seul critère médiatico-islamophobe. On invite d'ailleurs de nombreux musulmans laïques dans les médias, au gouvernement, etc., sur ce même critère. Ce qui invalide son raisonnement. S'il existe un malentendu, c'est elle-même qui en est victime et qui en profite, comme les musulmans laïques ou non (effet dialectique de tout conflit). Mais peut-être veut-elle le beurre dans ses épinards et l'argent du Beur en gardant le monopole de l'invitation pour laïcisme.

Le terme stalinien d'« idiot utile » est inadéquat. Les relativistes n'appartiennent pas à un Komintern dirigé par Al-Qaida. « Idiot utile » mélange d'ailleurs l'indulgence tiers-mondiste résiduelle (assez faible) et la prise en compte du multilatéralisme qui ne considère pas la hiérarchie occidentale des valeurs comme une chose réglée. Caroline Fourest est d'ailleurs la première à remettre en question les valeurs occidentales traditionnelles. Et elle est franchement optimiste si elle croit que les siennes sont partagées par la majorité silencieuse, comme elle commence à s'en rendre compte. C'était aussi en prévision de la situation actuelle que certains « idiots pas si inutiles » se méfiaient des conséquences de l'intégrisme laïque et de son orientation exclusivement anti-musulmane (personne ne remettant en question la célébration des fêtes religieuses par exemple [2]).

J'ai déjà parlé de ce qui me semble être la solution (voir Feu la République). Comme Caroline Fourest, la République n'est pas relativiste, d'où leurs limites. C'est la démocratie qui l'est. Le traditionnel jacobinisme français aggrave le problème qui fait régresser la république au césarisme, voire au fascisme. Il n'est pas besoin de démontrer que l'universalisme autoritaire était colonial, cela fait partie de notre histoire. L'époque est aujourd'hui au multilatéralisme. Tant pis pour ceux qui regrettent le bon vieux temps. Pour sortir du catéchisme laïque et républicaniste de la Troisième république, il faut bien que chacun s'exprime avec ses propres idées, au point où il en est. Et on voit justement que le niveau n'est pas très élevé.

Quel est le cadre intellectuel nécessaire au multilatéralisme ? Il faut accepter que ce qui semble démontré pour nous ne le soit pas pour les autres, et donc ne le soit pas vraiment, puisque les autres ne sont pas convaincus ! On ne doit pas faire l'impasse sur les débats qui ont permis d'expliquer « comment les dogmes finissent » (voir le texte de Théodore Jouffroy). S'il existe encore des chrétiens, des musulmans, des bouddhistes, des juifs, etc., c'est bien parce que ce qui a convaincu les athées n'a pas encore convaincu les autres ou, ce qui revient au même pour les religieux, qu'ils ne sont pas parvenus à se convaincre entre eux et à convaincre les athées. Il est donc difficile de considérer que l'affaire est entendue, contrairement à ce qui semble le comportement habituel [3]. Et c'est cela qui définit un cadre relativiste que les jacobins français appellent communautariste, mais qui devrait s'appeler la laïcité si cette laïcité correspondait, comme elle le devrait, à la neutralité. Nous savons tous que ce n'est pas le cas.

Jacques Bolo

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Notes

1. Il est vrai que la position acquise, au Monde et à France culture, semble donner ce droit qui oublie le devoir essentiel en démocratie : « qui t'a fait roi ! ». Heureusement qu'Internet est en train de changer la donne contre cette aristocratie médiatique qui abuse de sa position qui rappelle le bon vieux temps des colonies. [Retour]

2. On peut d'ailleurs remarquer que le travail du dimanche, défendu par les patrons (souvent croyants) est refusé au nom de la tradition (le repos hebdomadaire pourrait avoir lieu un autre jour) par la gauche, voire les anarchistes, qui veulent sans doute pouvoir continuer à manquer ostensiblement la messe (depuis Manon des sources, on cultive l'ostensible). [Retour]

3. Comme je l'ai rappelé dans des articles précédents (Fin de la religion et Raison et Religion) : « le pape Benoît XVI, quand il était gardien du dogme, en tant que préfet pour la Congrégation de la doctrine de la foi, avait refusé ce relativisme religieux en condamnant les tentatives de certains théologiens orientalistes comme Dupuis, pour le livre : Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux, qui a été rappelé à l'ordre par une série de Notifications que résument bien les suivantes : Notification 1. Il faut croire fermement que Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme, crucifié et ressuscité, est le médiateur unique et universel du salut de toute l'humanité. [...] Notification 6 : Il est contraire à la foi catholique de considérer les diverses religions du monde comme des voies complémentaires à l'Église pour ce qui est du salut. Notification 7 : Selon la doctrine catholique, les adeptes des autres religions sont eux aussi ordonnés à l'Église et sont tous appelés à en faire partie (Rome, le 24 janvier 2001). Ce qui, nous l'avouerons, est un peu limitatif comme dialogue interreligieux. » Et l'on peut décidément constater que nos laïques républicains sont bien plus ultramontains qu'ils le croient ! [Retour]

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