Joli coup de pub pour l'écologie que ce film Home de Yann Arthus Bertrand. Un peu trop pub d'ailleurs, mais de belles images, comme toujours. Un petit bémol : il n'aurait pas dû lire le texte lui-même, ça fait un peu amateur. Mais surtout, il aurait dû s'entourer de spécialistes pour le contenu du texte aussi, car c'est vraiment un texte d'amateur. Il a dû l'écrire lui-même. Espérons-le, sinon, il devrait se séparer des amateurs qui l'ont rédigé. Il doit bien avoir les moyens de se payer des spécialistes.
On lui a d'ailleurs assez reproché cette débauche de moyens, financée par le groupe PPR de François-Henri Pinault mentionné trop longuement dans le générique [1]. Ce qui accentue ce côté pub. Ceux qui voient le mal partout considèrent même que ce film n'est que de la promotion pour ce sponsor finançant une diffusion gratuite massive : télévision, salles de cinéma, Internet [2]. Ce qui semble avoir eu pour conséquence un meilleur score pour les écologistes français aux élections européennes qui avaient lieu le dimanche 7 juin 2009 suivant. La pub servirait-elle à quelque chose ? On se dit que les écolos devraient en tirer la leçon.
Mais cette écologie grand public est un peu trop enfantine. L'idée ressassée d'« équilibre
naturel » est tout simplement fausse. Il n'y a pas d'équilibre naturel où « Chaque espèce a sa
place. Aucune n'est inutile. Tout s'équilibre ». Tu rêves, Arthus ! Ce qui existe est un
déséquilibre naturel. Comme le film le montre très bien, les masses calcaires sont les restes
d'animaux morts dont les espèces ont disparu. Dans le cycle naturel, on ne peut pas dire que
« certains se sont adaptés à leurs pâturages et leurs pâturages se sont adaptés à eux ». Au
mieux, il s'agit d'un équilibre provisoire, toujours précaire. Les prédateurs ne s'adaptent pas
aux proies. Ils mangent ce qu'ils peuvent, et si les proies diminuent trop, les prédateurs aussi
disparaissent. Cette idée d'équilibre apparaît un peu trop comme une sorte de divine
providence.
Inversement, l'idée de changement climatique est un peu trop conçue comme une punition
divine sanctionnant les activités humaines. La question n'est pas de contester le rôle de
l'homme dans ce changement, comme le font certains, éventuellement et même probablement
pour nier la réalité. Mais leurs remarques peuvent être aussi enregistrées. Il a déjà existé des
changements climatiques, certains lents, mais d'autres violents et rapides. Une explosion
volcanique ou une météorite est aussi un phénomène naturel. Le problème vient du fait qu'on
considère, comme dans le film Home, que « Tout est vivant ». Ce qui, tantôt, semble limiter
la nature au seul vivant, tantôt généralise le vivant à une intentionnalité animiste. Un
cataclysme naturel anéantira des espèces sans aucun état d'âme vitaliste.
En fait, ce dont parle YAB, c'est d'un monde sans êtres humains, qu'il imagine équilibré. Ou,
au mieux, il idéalise la situation précédant la civilisation moderne (des peuples qui ne sont pas
entrés dans l'histoire, comme dit l'autre). Quand YAB prétend : « une personne sur quatre vit comme il y a six mille ans », il commet une autre inexactitude. C'est très
exagéré. Déjà, si on considère les grandes religions (christianisme, islam, bouddhisme), elles
n'existaient pas il y a six mille ans, et concernent aujourd'hui la majorité de la planète. Quant
aux techniques, outre la diffusion des kalachnikovs, il sous-estime les progrès intermédiaires
et les efforts cumulatifs des civilisations. Les rizières qu'il photographie ne se sont pas faites
en un jour. Et sans doute se fait-il aussi des illusions sur les personnes qui vivent « comme
aujourd'hui », quant à leur évolution.
Le problème fondamental, qu'il souligne aussi, concerne plutôt l'explosion démographique de
ces deux derniers siècles. L'homme occupe la majorité de l'espace depuis que la population
mondiale est passée d'un milliard en 1800 à six milliards d'habitants en l'an 2000. J'ai déjà
traité de ces questions puisque je suis le dernier des malthusiens. Mais YAB ne
semble pas se préoccuper de la limitation de la population quand il reprend les clichés : « un
milliard de personnes ont faim » avec comme seul corollaire « les dépenses militaires sont
douze fois plus élevées que l'aide au développement ». Maladresse ou inconséquence, il
faudrait peut-être envisager aussi la fin de l'expansion démographique comme moyen d'un
meilleur développement.
Le fond du problème est sans doute que Yann Arthus Bertrand a tendance à croire que les
images se suffisent à elles-mêmes ou qu'elles démontrent les idées qui sont les siennes, et qui
sont les idées confuses d'aujourd'hui. Comme toujours dans ce genre de cas, Yann Arthus
Bertrand s'oublie lui-même et le fait qu'il voit le monde d'en haut, avec toute la technologie
qu'il semble regretter. Il ne comprend pas que c'est cette évolution qui lui permet de penser
ce qu'il pense. On en voit aussi les limites.
Le paradoxe de cette écologie est tout dans cette conception irénique du paradis avant la chute.
Car cette chute est d'abord celle de la connaissance. Le problème n'est pas la nature. Le
problème est la culture, sur le principe connu : « nous savons que nous sommes mortels ».
Mais ne pas le savoir ne nous rendrait pas immortels ! L'expansion des activités humaines est
d'ailleurs simplement la conséquence d'une trop forte adaptation. Nos constructions ne sont
pas fondamentalement différentes de celles des termites ou des abeilles. Elles sont simplement
plus efficaces. L'homme est prédateur qui a réussi, et il est faux de dire qu'un prédateur
respecte son environnement. La situation actuelle est que les limites de la niche écologique
humaine risquent d'être atteintes. Le choix n'est pas d'être plus naturel. Nous sommes
condamnés à être encore plus culturels en contrôlant mieux notre expansion. Car il n'y a pas
de « contrôle naturel » que suppose cette idée d'équilibre. C'est bien ce que propose Yann
Arthus Bertrand. Il ne lui manque que le véritable cadre conceptuel de son projet.
Jacques Bolo
Bibliographie
Livres sur l'écologie, avec Amazon
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Notes
1. Il n'y a pourtant pas d'acteurs, mais aujourd'hui, comme pour Matrix par exemple, le générique va bientôt être plus long que le film. [Retour]
2. Selon Le Monde du 4 juin 2009 : « Le film sort le 5 juin au cinéma dans 126 pays - 200 salles en France, souvent en séance unique et gratuite le soir du 5 - sur 65 chaînes de télévision, dont France 2 et 23 chaînes en Afrique ;sur YouTube ;sur écran géant à la tour Eiffel, Central Park à New York, Londres, Mexico, Moscou, Damas ;et partout en DVD. » [Retour]
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