La question de la diversité est cruciale. Aujourd'hui, on entend « diversité » comme un
synonyme de « Noir » ou « Arabe ». C'est une erreur. C'est un équivalent de « relativisme »,
dans le sens de « multilatéralisme ». La diversité ce n'est pas seulement les Noirs ou les
Arabes. Cela désigne en fait les Blancs, les Noirs, les Arabes, les femmes, les hommes, les
chrétiens, les musulmans, les juifs, les jeunes, les vieux, etc., sans privilège à la majorité. Ne
pas s'en apercevoir est une erreur évidente. Ce biais théorique est issu de la conception
républicaine traditionnelle qui fonde la démocratie sur modèle du scrutin majoritaire. Or, la
limite de la démocratie majoritaire réside précisément dans la protection des minorités.
Les problèmes du nationalisme des XIXe et XXe siècles sont la conséquence appliquée de cette
dictature de la majorité issue de la philosophie dogmatique, qui raisonne en terme de « tout
ou rien » (aujourd'hui, on dirait « the winner takes all »). Inversement, la prise en compte des
minorités constitue l'apport sociologique et statistique de l'attention à la diversité sociale.
Souvent, on cherche à désigner une réalité nouvelle. La philosophie passe son temps à ergoter
sur les mots, pour trouver le mot juste, le plus souvent en délirant sur les étymologies. Elle
ignore la méthode qui consiste à valider sociolinguistiquement les pratiques sociales
observables. Et précisément, le mot existe déjà. C'est « diversité » !
Évidemment, il n'est pas question de nier que ce mot de « diversité » est utilisé pour ce qu'on
appelle les « minorités visibles », nouvel euphémisme pour ne pas dire les Noirs et les Arabes,
mais qui inclut la relative nouveauté de la présence d'Asiatiques, de musulmans autres que
maghrébins, etc. Mais, il est facile d'étendre ce terme de « diversité » aux autres minorités
visibles, comme les gays, dont la revendication principale est justement la visibilité. C'est ce
que signifie la « gay pride ». Cette fierté homosexuelle signifie qu'on ne doit pas exiger de
passer inaperçu pour être accepté. Car l'homosexualité n'était pas un phénomène ignoré avant
les années 1970. Mais il fallait éviter de trop l'afficher ou de trop en parler.
Et c'est cette réalité qui permet d'étendre le terme de « diversité » aux femmes. Les femmes
ne constituent pas la minorité de la population [1], mais cela n'a pas d'importance puisque la
raison du problème n'est justement pas la question de la majorité par rapport à la minorité.
La véritable question est la question de la reconnaissance de l'égalité des droits, sans avoir à
nier ses différences. On sait qu'une femme peut faire de la politique à condition de ne pas trop
faire remarquer qu'elle est une femme, et qu'inversement, on lui pose des questions qu'on ne
poserait pas à un homme. Car ce n'est pas la peine de se cacher derrière son petit doigt : tout
le monde voit bien que ce sont des femmes et pas des hommes.
Le problème est que les femmes elles-mêmes, dans le féminisme, en viennent à nier l'existence
d'une féminité comme différence. Pourtant, le fait de marquer des différences est une banalité
dans ce domaine sexuel, par exemple en distinguant les vêtements. Le problème se complique
dans la mesure où toute la question est la distinction entre une nature féminine et un rôle
féminin. La féminité (indéniable dans la maternité) n'implique pas forcément un rôle différent
dans tous les autres domaines. Cette discussion est cependant oiseuse dans la mesure où
l'égalité des droits n'a pas à être soumise au résultat de ce débat, qui n'a lieu parce que certains
ont du mal à admettre l'égalité dans la diversité.
On remarquera d'ailleurs que la question se complique encore plus du fait que les homosexuels remettent en question la différence des genres. Ce qui est de mauvaise méthode essentialiste, puisque le fait qu'un concept soit en question entérine au moins son existence historique. Le problème est d'un autre ordre. En termes scientifiques [2], il s'agit de la différence entre « variables continues » et « variables discrètes » : les « âges » sont continus (mais en général on les regroupe en classes), et les « sexes » sont discontinus, ou « discrets ». On ne peut penser que grâce à des catégories. Refuser cette diversité conceptuelle (« d'être mis dans des cases »), c'est refuser de penser.
La question de la diversité se pose aussi dans le domaine religieux. Traditionnellement, en Europe, cette question a concerné les protestants et les juifs. La question des protestants avait été résolue, après quelques massacres, par l'idée de « tolérance » religieuse, mais plus concrètement par le principe cujus regio, ejus religio (l'obligation d'adopter la religion du prince). Pour les juifs, le refus de leur assimilation par les identitaires chrétiens ou ethno-culturels avait aussi abouti à des massacres (voir la prémonition de Bernard Lazare sur ce point, précisément en se fondant sur le précédent de la Saint-Barthélemy). Aujourd'hui, la mondialisation manifestée par l'immigration met tout le monde en contact direct avec tous les particularismes, hors de leur contexte naturel, qu'on pouvait traiter auparavant par l'exotisme orientaliste ou touristique.
Comme je l'ai déjà dit dans l'article Zemmour dérape vichyste qui traite du même sujet : « On reconnaît cette injonction identitariste dans l'exigence des républicanistes de limiter la religion à la sphère privée. Ils définissent donc la sphère publique comme le lieu de l'uniformité [...] ».
On remarque encore, dans la question du voile, un jeu politique (une coalition) qui utilise l'alliance des racistes identitaires avec les féministes pour s'opposer à l'oppression des femmes dans l'islam. On le voit, la complexité, chère aux intellectuels, de gauche en particulier, se manifeste dans tous les domaines. S'ils veulent simplifier, parce qu'ils n'arrivent pas à gérer ces contradictions, ils pourraient comprendre qu'habituellement, les cons de droite aient voulu faire de même par le passé, eux aussi avec de plus ou moins bonnes intentions (à moins que comprendre cela soit aussi un peu difficile). Je disais aussi dans le même article :
[...] « La question est pourtant facile à présenter, sinon à résoudre. Même en faisant
beaucoup d'effort, déjà, un musulman traditionaliste ne va pas adopter les pratiques
chrétiennes ou athées pour le plaisir de s'intégrer (outre le fait que cette attitude est
conjoncturelle, car dans les années 1970, les Arabes étaient plutôt marxistes). Mais surtout,
un Noir ne va pas devenir blanc. Ce qui est bien la preuve de sa réelle mauvaise volonté. Je
plaisante à peine. Comme je l'ai déjà dit (Peur des mots : Race) :
« Une bonne partie du racisme actuel consiste dans le fait qu'on prétend que
les immigrés ne sont pas assimilés tout simplement parce qu'on découvre avec
horreur que les gens ne sont pas identiques. L'école de la république ne réussit
donc pas sa mission ! Mais l'école républicaine n'a jamais réussi sa mission
uniformisatrice. Elle a essayé de réduire les patois et les particularismes par
la contrainte. On croyait qu'elle avait réussi. Mais ce n'était pas le cas. Quand
les religieux catholiques se sont mis à faire de la sociologie religieuse, ils se
sont aperçus que des proportions variables de prétendus croyants ne croyaient
pas aux dogmes classiques (divinité de Jésus, virginité de Marie, Trinité, etc.).
Au contraire, on ne parle aujourd'hui que des particularismes (corses, bretons,
basques, juifs, femmes, gays, noirs, beurs, etc.). L'échec est consommé. Il n'est
simplement pas assumé.
« Le problème fondamental est que les gens sont différents. Ils peuvent être des hommes, des
femmes, des Blancs, des Noirs, des chrétiens, des musulmans, des juifs, des grands, des petits,
des moches, des beaux, des intelligents, des cons, de droite, de gauche, parler français, russe,
chinois, wolof, avoir une histoire et une culture différente, etc. Et surtout, ils sont des
individus qui rassemblent de façon inégale ces caractéristiques (ce que la gauche a aussi du
mal à digérer). Et pourtant, ils ont les mêmes droits. Égaux, mais différents. Ils n'ont pas à
être identiques (cf. Coluche : « Blanc, normal ! »). C'est comme ça et pas autrement. »
Contre la notion de diversité, c'est-à-dire bien contre les Noirs et les Arabes, puisque c'est cela que ça signifie actuellement, la gauche oppose sa stratégie habituelle de dénégation des différences en radotant que les discriminations sont « sociales ». J'ai déjà montré (voir Unicité) que c'était précisément la cause du négationnisme de gauche (au début). Cette erreur a une histoire, car la gauche a ses traditions. Refuser la spécificité d'un combat antiraciste au nom du social, c'est simplement imposer de négliger les « contradictions
secondaires » au profit des « contradictions principales » (la lutte des classes) comme à l'époque communiste.
Aujourd'hui, cette stratégie a été remplacée par les luttes spécifiques (femmes, gays,
handicapés, écologie...), même si on peut estimer que la lutte « sociale » a été un peu négligée.
Mais personne n'ose s'opposer aux femmes, aux gays, aux juifs (on peut cependant entendre
un reproche voilé à leur égard dans la critique de l'individualisme ou du communautarisme).
Mais quand on refuse la notion de diversité, on ne vise que les Noirs et les Arabes, alors qu'il
est évident que cette notion peut s'appliquer à tous. Or il n'y a aucune raison que seuls les
Noirs et Arabes n'aient pas le droit à la parole ou qu'ils soient les seuls à être suspects de
communautarisme s'ils résistent bêtement à cette injonction d'attendre les lendemains qui
chantent d'après la révolution. Cette accusation est insultante et discriminatoire. Ce qui est
précisément une partie du problème.
Le meilleur moyen de prendre en compte la totalité des problèmes spécifiques et d'utiliser le
terme de « diversité » pour réintégrer les minorités visibles dans le débat public, à égalité avec
les autres particularismes. Le principe est celui de l'unité dans la diversité (« e pluribus
unum »). Sur le principe, on ne voit d'ailleurs pas ce que l'unité pourrait être d'autre. Dans la
pratique, elle était bien, traditionnellement, la soumission à la majorité, ce qui est bien une
négation des minorités.
On remarquera que c'est d'ailleurs cette diversité qu'on utilise en manipulant les quotas de femmes pour intégrer des femmes noires et arabes en politique. Ce qui est une technique économique : deux « minorités » d'un coup ! Et officiellement sans discrimination positive. Bien sûr, personne n'est dupe. Et c'est cela qui entretient le racisme des classes populaires (« sociales ») parce qu'elles sont rétives aux distinguos subtils, aux constructions intellectuelles hypocrites, et aux passe-droits. D'autant qu'elles constatent bien que ces différences sont présentes puisque, précisément, elles sont visibles. En fait, les intellectuels le voient aussi. Mais leur façon de procéder est celle du conte d'Andersen, Les habits neufs de l'empereur (voir Négationnisme iranien). Ils ne veulent pas avoir l'air naïfs en disant simplement ce qu'ils voient.
Le problème n'est jamais de ne pas comprendre (comme ici, le sens du conte), le problème c'est de se croire intellectuel quand on est non-comprenant. Le travail intellectuel ne consiste pas à poser des questions, contrairement à la rengaine actuelle. Le travail intellectuel consiste à donner la bonne réponse. La réponse n'est pas que les catégories n'existent pas (ce qui est bien une réponse et pas une question). La bonne réponse est que les catégories en question sont égales en droits. Car il ne s'agit pas d'un débat métaphysique sur les concepts [3]. C'est un débat politique. Si la gauche veut du social, eh bien, la réponse sociale à cette question, élaborée collectivement, existe déjà : c'est la diversité !
Jacques Bolo
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