La navigatrice Anne Liardet, concurrente du Vendée Globe, a répondu, le 17 janvier 2009 sur
Libération.fr, aux internautes qui dénonçaient l'inutilité et le coût de cette course à la voile. On
pourrait tout aussi bien demander à quoi sert de poser de telles questions, puisqu'on ne va
probablement pas décider d'arrêter cette course en fonction de la réponse. Il s'agit ici d'un
exercice rhétorique, comme les sujets philo du baccalauréat. On remarque d'ailleurs que le
schéma : « le pour / le contre », décrit bien la réalité des prises de position.
Les commentaires pour ou contre l'utilité se ramènent essentiellement à : la vanité des actions
humaines de toute façon ; sur le coût qui pourrait être mieux employé ; la nécessité de faire
rêver à des défis symboliques, quoique bien réels et très risqués ; une grosse machine
industrialo-médiatique. On a bien là un résumé de la condition humaine, à laquelle s'ajoute
le besoin de justifier ses opinions, pour ou contre. On n'est pas très avancé.
Les arguments de la navigatrice ne valent pas mieux. Dire qu'il suffit de zapper est une
rigolade. Comment zapper le sport à la télé, connasse ! Et l'argument de poursuivre les progrès
de la civilisation de la marine à voile mentionne pourtant bien que les bateaux sont motorisés
aujourd'hui. Mais elle discrédite ce progrès en le considérant comme destiné au « commerce
ou [à] la guerre » contre le désintéressement de « quelques fêlés pacifiques qui trouvent
encore de la poésie dans le chant du vent ». Mort de rire !
À vrai dire, j'avais moi-même pris parti sur cette question, il y a quelques années, à propos de
l'omniprésence de Renaud de Kersauson à la télé. En particulier en 1994, il avait fait la course
du Trophée Jules Verne contre l'Anglais Peter Blake, la fameuse boucle autour du Pôle sud,
et l'Anglais l'avait battu. À l'époque, je m'étais dit que quand on mettait soixante-dix-sept jours
(contre soixante-quatorze) pour faire le tour de rien, sur Choucroute garnie (ou quoi que ce
soit), et qu'on arrivait deuxième sur deux, ce n'était pas la peine que ce gros con la ramène !
Ce qui me paraît remarquable de bêtise est plutôt que l'argument favorable à l'inutilité (plus
qu'au désintéressement – il ne faut pas rêver non plus) est souvent mis au service d'une utilité
supérieure, spirituelle ou matérielle. C'est toujours un peu curieux, quoique habituel. Même
en argumentant encore des contradictions de la condition humaine, il faudrait apprendre à
raisonner. C'est simplement une façon un peu compliquée et faux cul de dire « inutile toi-même ! ».
La réalité de telles courses concerne plutôt le culte de la performance et de la compétition vers
le toujours plus. La question n'est évidemment pas celle de la rétribution des performances.
On comprend qu'une course récompense le premier, encore qu'on pourrait aussi récompenser
la participation en général, ne serait-ce que parce qu'il faut bien des seconds pour qu'il y ait
des premiers. À courir tout seul, on gagne à tous les coups. Mais finalement, la compétition
permet simplement de mesurer la relativité des performances. Après tout, il existe aussi des
courses d'escargots. Comme la casse trop fréquente permet de mettre en évidence que le
respect des marges de sécurité a été dépassé. Ce qui devrait valoir élimination, et exclusion
d'une course suivante comme sanction minimale.
Mais la véritable question me paraît être la rétribution de la non-participation elle-même.
Évidemment, celui qui a une petite automobile fait des économies par rapport à celui qui a un
gros 4x4. Celui qui n'a pas de voiture économise davantage. Mais précisément, la question se
pose quand même des subventions plus ou moins déguisées à des compétitions comme le
Vendée globe que paye forcément tout le monde par la pub ou le temps d'antenne. Comment
récompenser ou dédommager ceux qui ne s'intéressent pas à ce genre de manifestations
sportives, et qui préféreraient que des gens plus intéressants occupent l'espace médiatique.
On comprend que l'idéologie utilitariste laisse notre navigatrice « neurasthénique », et la
« branche moyennement comme perspective ». On reconnaît bien là l'idéologie « anti-utilitariste » de notre temps. L'argument évoqué par les critiques de nourrir ceux qui ont faim
et de résoudre les problèmes de monde, plutôt que d'être plus cool à s'éclater en mer pour la
gloire (la « gloria vana », comme dit un autre poète), est en effet franchement terre-à-terre
(c'est le cas de le dire). C'est même limite vulgaire comme argument. Car tout est une question
de priorités.
Jacques Bolo
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