L'actrice Zabou voit-elle des antisémites partout [1] ? C'est un peu ce que je m'étais dit, il y a quelques années, quand je l'avais entendu dire qu'il y avait de l'antisémitisme dans le cinéma. De l'antisémitisme
dans le cinéma ? Ce n'est pas pour me livrer à une « comptabilité malsaine », comme on dit, mais s'il y
a de l'antisémitisme dans le cinéma, c'est que les juifs sont masos (déjà qu'aller installer Israël au
Moyen-orient n'était déjà pas très malin) ! Parce que des juifs, il y en a plein dans le cinéma. Quand on
aime les juifs, on aime le cinéma (et réciproquement) ! Je suis moi-même un converti. Shalom !
Bon, c'est sûr, il doit bien y avoir des antisémites, comme partout, ou bien peut-être un peu plus, si certains trouvent justement qu'il y a trop de juifs dans le cinéma. Car c'est un des principes de l'antisémitisme de refuser la visibilité sociale résultant d'une trop forte concentration dans certains métiers. Or, précisément, j'ai appris récemment que les célèbres firmes américaines, comme la Metro Golwyn-Mayer, étaient issues du fait que le cinéma, à ses débuts, était une activité de saltimbanque méprisée des élites WASP (White Anglo Saxon Protestant) américaines. Comme dans d'autres domaines, par le passé, les juifs étaient confinés aux tâches secondaires ou infamantes. C'est le succès postérieur de ces professions qui explique, comme toujours, la tentative d'en évincer ceux qui s'y trouvaient (car il faut bien le constater, le chrétien est cupide, sournois et cruel).
J'avais entendu Zabou parler d'antisémitisme au cinéma, au moment où elle a repris son nom complet, quand elle est devenue réalisatrice du joli petit film, Se souvenir des belles choses (2001). Je me suis dit alors qu'il était dommage qu'il n'y ait pas davantage de racisme au cinéma, on verrait un peu plus de « minorités visibles ». [Je suis un peu taquin.]
J'ai compris le fin mot de l'histoire le mois dernier. Elle raconte, dans Le Monde (23 octobre 2008) ce
« qu'elle mettra des années à définir comme une manifestation d'antisémitisme ordinaire. Au début des
années 1980, actrice jeune, jolie et écervelée, elle prend des photos sur un tournage et les vend sans
autorisation. Le producteur du film est fou furieux. « Il m'a passé un savon terrible, m'accusant d'avoir
voulu gagner de l'argent indûment, et a conclu par ces mots que je n'oublierai jamais : 'Cela ne m'étonne
pas. C'est quoi, votre vrai nom, déjà ?' ». »
C'était bien une manifestation d'« antisémitisme ordinaire ». Et c'était bien dans le cinéma, même si
Zabou a tendance à généraliser. Mais c'était le bon temps. L'antisémite était alors « ordinaire ».
Aujourd'hui, puisqu'elle s'était quand même rendue coupable d'indélicatesse (juvénile), elle aurait pu
subir un « antisémitisme subtil » et être poursuivie en justice (ou grillée dans la profession). D'ailleurs,
puisqu'on en parle, si une minorité visible s'était rendue coupable d'une telle incivilité (tout aussi
juvénile), un « raciste subtil » aurait bien engagé des poursuites. Le parlement aurait même sans doute
fait une nouvelle loi.
Elle a quand même bien fait de ne pas trop s'afficher comme juive. Dans le cinéma, le vrai risque n'est
pas vraiment des réflexions désagréables. Comme on peut lire dans l'article du Monde : « Zabou
Breitman n'a 'eu de cesse' de récupérer son nom. Cela a pris des années : les producteurs ne voulaient
plus lâcher Zabou, et le personnage de gentille fofolle qui allait avec. » Le vrai risque au cinéma est, la
deuxième partie de la citation, celui de devenir un cliché, un « emploi ». Si elle avait été considérée
comme juive, au lieu d'être considérée comme fofolle, elle aurait été confinée aux rôles ethniques et
communautaires. Elle aurait pu être employée comme « juive de service » [2].
Jacques Bolo
Bibliographie
Neal GABLER, Le royaume de leurs rêves : La saga des Juifs qui ont fondé Hollywood
|