Puisqu'on reparlait de cette question du Rwanda (voir L'affaire Péan), Hubert Védrine a été interrogé brièvement sur le génocide, dans l'émission les « Matins » de France culture, le 24 novembre 2008. Déjà, l'année précédente, Védrine avait été aspergé de peinture rouge, le 28 novembre 2007, par les membres d'un groupe, Génocide made in France. Ils considèrent que la France a eu une part de responsabilité dans le massacre, par l'action de ses dirigeants, dont Védrine faisait partie comme secrétaire général de l'Élysée, de mai 1991 à mai 1995. Au passage, les manifestants ont été jugés pour agression, sans considération des motivations politiques. Une question possible de l'animateur de l'émission, Ali Baddou, aurait pu être de demander à Védrine s'il était d'accord avec une telle criminalisation d'une manifestation pourtant symbolique.
Au cours de l'émission, Hubert Védrine a très bien résumé le problème rwandais (à sa manière). Il y voit deux interprétations complètement différentes :
1) L'hypothèse selon laquelle le FPR du président Kagamé, et Muséwéni de l'Ouganda, avaient essayé
de déstabiliser le Rwanda, à partir de 1990, pour s'emparer du pouvoir, parce que c'était le seul moyen,
du fait que les Tutsis sont ultra-minoritaires. La France, consciente des drames que cela risquait
d'entraîner, a essayé d'enrayer ce processus en sécurisant les frontières et en obligeant les Hutus à
partager le pouvoir [1].
2) L'autre hypothèse, que Védrine disqualifie en disant que : « c'est faux, c'est infamant, et en plus c'est
débile, parce que la France n'y avait aucun intérêt », c'est que Kagamé a été obligé de se porter au
secours des Tutsis qui étaient menacés par un régime génocidaire, avec lequel la France a eu tort de
coopérer.
Hubert Védrine est un homme intelligent. Mais il croit peut-être un peu trop qu'il est plus intelligent que
tout le monde. Sans doute sa perception est-elle biaisée par la comparaison avec ses camarades
socialistes. C'est une banalité de dire qu'« au royaume des aveugles, les borgnes sont rois ». C'est
toujours une grande naïveté de correspondre au cadre décrit par une telle banalité en croyant y échapper.
Dans le cas en question, Védrine avoue que la France est intervenue pour empêcher un drame. Elle n'a
pas réussi.
Une des spécialités d'Hubert Védrine est la realpolitik. Quand on est si intelligent, au point d'être « conscient des drames à venir », si on ne parvient pas à les empêcher, il faudrait admettre qu'on a eu tort de s'y engager. Il ne suffit pas alors de dire que les Africains sont responsables de ce qui leur arrive, comme c'est devenu le leitmotiv, si on ne les a pas laissés se débrouiller tout seuls. Il faut savoir où on met les pieds. La conséquence est quand même un génocide, ce qui n'arrive pas tous les jours. Et quand on était bel et bien du mauvais côté, il faut bien le constater, par réalisme. Au minimum, on pourrait faire profil bas. Et même, ça n'écorcherait la gueule de personne de dire qu'on s'excuse d'avoir merdé quelque part [2].
D'autant qu'on pourrait toujours contester le fait que la France n'y avait aucun intérêt. « Sécuriser les
frontières » peut se comprendre exclusivement comme « ventes d'armes ». Hubert Védrine, contre le
droit de l'hommisme, considère que la France se doit de défendre ses intérêts. La question n'est pas de
savoir s'il y a eu des ventes d'armes, ni même de savoir si les ventes ont continué après le début des
massacres. Védrine le dit lui-même : « Les dernières livraisons d'armes à l'armée rwandaise contre
l'offensive ougando-FPR ont continué quelques jours après le début des massacres, mais bien sûr
ceux-ci n'ont pas eu lieu avec des armes françaises ».
La question est ici celle du profit à s'engager dans la défense du gouvernement rwandais. Ceux qui accusent la France précisent que : « Entre 1990 et 1994, l'armée rwandaise passe ainsi de 5.000 à 50.000 hommes. » Ce qui doit bien avoir un prix. Dans ce genre de cas, le profit est toujours double : pour les travailleurs qui fabriquent ces armes, et pour les intermédiaires, ou simplement les élus, qui assurent leurs commissions ou leur réélection avec les contrats obtenus, souvent au prix de subventions déguisées en aide au développement !
Pierre Péan aurait pu enquêter aussi sur cette question.
Jacques Bolo
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