Le député Hervé Mariton (UMP), a rendu un rapport visant à traiter la question de l'opacité
des tarifs de la SNCF. Mais ses propositions ne remettent pas en question la politique tarifaire.
Son rapport correspond plutôt à une défense et illustration du Yield management [1]. La SNCF s'est offert un chargé de communication pour expliquer aux parlementaires cette technique,
inspirée des principes tarifaires pour faciliter le remplissage des compagnies aériennes. Mais
le problème était plutôt la lisibilité des tarifs qui peuvent aller du simple au triple,
officiellement, pour un même trajet (hors billets gratuits ou à cinq euros et les cartes de
réduction). Mais en réalité, l'écart est du simple au quadruple, voire au sextuple (pour la 1ère) :
Tarifs SNCF (Source SNCF in Rapport d'information déposé par la commission des finances, de l'économie générale et du plan sur la politique tarifaire de la SNCF, présenté par M. Hervé Mariton) | 2nde classe | 1ère classe |
Prix minimum | | Prix maximum | Prix minimum | Prix maxi |
Prem's | Loisir | Loisir en Période normale | Loisir en période de pointe | Prem's | Loisir | Loisir |
Non échangeable Non remboursable | Échangeable Remboursable | Échangeable Remboursable | Échangeable Remboursable | Non échangeable Non remboursable | Échangeable Remboursable | Échangeable Remboursable |
Paris – Agen | 22 € | 49 € | 75 € | 87,7 € | 40 € | 64 € | 113,3 € |
TGV : Paris –Aix en Provence | 22 € | 51 € | 78,2 € | 95,7 € | 40 € | 66 € | 133,3 € |
Paris – Aix les Bains | 22 € | 43 € | 66,2 € | 84,6 € | 40 € | 58 € | 111,7 € |
Ces écarts ont toujours existé à la SNCF à cause des tarifs « sociaux » : les réductions pour les
familles nombreuses (depuis 1921), pensionnés de guerre (1921 et 1940), visite aux tombes
pour les familles de militaires morts pour la France pendant la guerre de 1914-1918 (octobre
1921), l'abonnement de travail (1921), congés annuels (1936), promenade d'enfants (1951),
abonnements d'élèves, étudiants, apprentis (1951), handicapés et leurs accompagnateurs
(1955), et plus récemment, les demandeurs d'emploi, les titulaires du RMI [2]. Auxquels
s'ajoutent les tarifs promotionnels : week-ends, jours fériés et vacances scolaires, les périodes,
bleues ou blanches, les cartes commerciales, tarifs 12-25, Enfant+, Senior ou Découvertes. Avec
le Yield management et internet, on a droit en plus aux tarifs Prem's, à la promo TGV « billets
à 5 euros », aux gammes Notes, Loisir, Escapades, Pro, à l'iDTGV.
Les associations se plaignent de cette trop grande disparité, en particulier dans les TGV. Ce
que le rapport justifie par « les conditions particulières de rapidité et de confort ». Mais, la
SNCF a toujours travaillé à améliorer la rapidité et le confort depuis son origine. La SNCF,
relayée par le rapport, se vante d'avoir un taux de remplissage supérieur avec ces tarifs, qui
permettrait, selon elle, un meilleur prix pour le consommateur. Avec ce système, le tarif moyen
serait de 50 euros au lieu de 42 euros actuellement.
Il est évident que le prix moyen des billets baisse si on brade certains billets pour améliorer
artificiellement le taux de remplissage. Et il est tout aussi évident que certains ne pourraient
pas voyager si on ne bradait pas ces billets. Mais cela signifie donc forcément que le prix
normal (moyen) est beaucoup plus élevé. Il y a donc 2 marchés au lieu d'un. En fait, 3 plutôt.
Le normal, les soldes de dernières minutes (vrai remplissage), et les réservations à prix bradé
longtemps à l'avance. Mais pour planifier le service, les progrès de l'informatique devraient
pourtant permettre de raccourcir les délais. On subodore un artifice pour gonfler le trafic.
Ces tarifs préférentiels s'apparentent à de la publicité mensongère. Car le tarif moyen normal
n'est jamais affiché dans les campagnes publicitaires. Le rapport préconise d'ailleurs
d'afficher un tarif de référence médian sur le billet (ceux qui payent beaucoup plus vont être
contents d'en être informés !). Et le billet nominatif proposé par le rapport (quoique déjà en
service), oblige tout simplement à demander leurs papiers aux voyageurs (à tous ou seulement
à certains ?). Ce qui n'améliore pas la rapidité et la qualité du service.
La question plus grave est de savoir si cette formule « de remplissage » n'augmente pas
artificiellement le nombre de trains sans couvrir les frais. Ce qui s'assimilerait à de la vente
à perte (on parle d'ailleurs de subventions plus ou moins dissimulées de 10 milliards d'euros).
Ce serait la vraie raison pour laquelle les tarifs étrangers seraient plus chers de 25% et le
remplissage très inférieur, si le seul souci est le remplissage et non la rentabilité. En favorisant
le trafic voyageur, on comprend aussi que le fret soit déficitaire.
De toute façon, cette conception exclusivement managériale laisse un peu songeur. On dirait
que les gens prennent le train seulement parce que ce n'est pas cher ou parce qu'il y a des
promotions. Au contraire, les gens prennent le train parce que c'est plus pratique et, grâce au
TGV, parce que c'est plus rapide que l'avion pour aller de centre à centre. Le succès du TGV
est fondé sur cette seule vraie réalité.
Un des inconvénients du Yield management est de consister à faire payer davantage un public
captif. Comme le dit le rapport : « L'augmentation du prix d'un service public aux heures de
pointe devrait-elle être encadrée, dans la mesure où le besoin de transport est le plus souvent
inélastique car lié à des besoins d'ordre professionnel ? » Faire des cadeaux à ceux qui n'en
ont pas besoin revient à faire financer la SNCF par les salariés ou les entreprises, au bénéfice
des touristes ou de ceux qui ont des loisirs. C'est bien le modèle de l'avion. Mais ce n'est pas
forcément celui d'un service public.
La tradition rustique de la SNCF se maintient dans la pauvre ergonomie de son site de
réservation. Au cours d'un reportage télé, la responsable de la SNCF vantait sa facilité. Mais
comme c'était plus compliqué que prévu, elle a abandonné avec une piètre excuse, en
renvoyant le client réel à ses déboires. C'est un problème récurrent des responsables. Ils
laissent ce genre de tâches à leurs subordonnés [3]. La méthode « qualité » est pourtant simple.
Il suffit de se mettre à la place du client normal qu'on est censé être en démocratie. Mais ça,
on ne sait pas faire dans les directions. Il est plus facile de donner des ordres à une ribambelle
de subordonnés qui vous prennent entièrement en charge du matin au soir. Mais on perd ainsi
tout contact avec la réalité. Quelle réalité ?
Jacques Bolo
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