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Physique - Septembre 2008

Le CERN et la fin du monde

Le Centre Européen de Recherche Nucléaire (CERN) a procédé, le 10 septembre 2008, à la mise en route du Grand Collisionneur de Hadrons (LHC), l'accélérateur de particules le plus rapide au monde, destiné à vérifier l'existence du boson de Higgs. À l'échelle microscopique, par bombardement de particules, l'opération vise à recréer les conditions de l'univers peu après le big-bang.

À cette occasion, une polémique a éclaté sur la possibilité de la création d'un mini trou noir. Puisqu'un trou noir absorbe toute la matière qui passe à sa portée en grossissant à mesure, certains ont pu craindre qu'il puisse absorber le CERN, la région, la Terre, le système solaire ou toute notre galaxie. Une plainte a même été déposée par l'Américain Walter Wagner et l'Espagnol Luis Sancho devant la cour fédérale d'Hawaï, en mars dernier. L'argument des scientifiques pour contredire ces craintes est, outre des objections fondées sur Stephen Hawkins, que les rayons cosmiques qui frappent l'atmosphère de la Terre en permanence ont une énergie très supérieure. Mais ces arguments eux-mêmes font débats pour certains (il y a d'ailleurs beaucoup moins de matière à absorber en haute atmosphère).

Au cours des discussions en ligne sur le sujet, des internautes ont subtilement remarqué que cette opération était tout bénéfice pour les chercheurs. Si l'expérience produit des résultats, ils seront célèbres et auront le prix Nobel, si la planète disparaît, ils n'auront pas à subir de reproches. Un autre a dit que vouloir reproduire le Big bang pouvait aussi signifier qu'après une évolution de plusieurs milliards d'années, les êtres vivants en sont arrivés à vouloir en savoir plus sur ce phénomène... et que c'était sans doute ce qui s'était passé la fois précédente ! Ce qui est bien trouvé dans les deux cas.

Car il faut dire que la situation est effectivement intéressante. Alors qu'on parle de risques climatiques, de pollutions, de raréfactions des ressources, des risques des nanotechnologies, sans parler des classiques risques nucléaires, cette éventualité d'un risque dû à un trou noir ne semble pas passionner les foules. On imagine que les compétences en physique théorique de la population ne sont pas assez élevées pour permettre un débat démocratique. Il est plus sage que les hommes politiques se concentrent sur la délinquance. Les physiciens, qui ne font pas dans les incivilités, ne vont pas se contenter de foutre le feu à quelques bagnoles.

Je ne suis évidemment pas compétent pour trancher de ces questions. Mais il me semble intéressant de mentionner un précédent, à la fois inquiétant et rassurant (et inversement). Je me souviens avoir entendu, il y a déjà de nombreuses années, sans doute sur France culture, une émission où il était question des recherches françaises initiales concernant la bombe atomique [1], avant la Deuxième guerre mondiale. Un scientifique français célèbre aurait demandé des moyens aux autorités françaises, pour faire ce que les Américains ont finalement fait à Los Alamos. Le scientifique avait aussi dû sous-estimer le coût de ce qui serait le projet Manhattan. À l'époque, comme pour l'affaire du Grand Collisionneur de Hadrons, la possibilité d'une réaction en chaîne ininterrompue avait été envisagée. Le Premier ministre (ou le Président du conseil) d'alors avait demandé quels étaient les risques. Le scientifique lui a répondu que la possibilité existait de faire exploser la planète. L'homme politique lui a dit : « Alors, il n'en est pas question ! » Son attitude était assez raisonnable. Il faut dire qu'à cette époque scientiste, le progrès scientifique avait pour objet le bonheur des humains. Aujourd'hui, un tel programme de recherche de six milliards de francs suisses, engageant soixante pays est une grosse affaire [2].

Ce qui est rassurant, c'est que le monde n'a pas explosé à Los Alamos en 1945. Le monde ne s'est pas évanoui non plus le 10 septembre 2008 à la mise en route du LHC au CERN (mais l'accélérateur de particules ne fonctionne pas encore à pleine puissance). Ce qui est inquiétant, c'est qu'au fond, les scientifiques ne savaient pas vraiment s'il n'y allait pas y avoir cette réaction en chaîne en 1945, pas plus qu'ils ne le savent en 2008. Comme on le sait aujourd'hui, les atomistes sous-estimèrent la dangerosité des radiations en exposant les militaires au cours des nombreux essais [3]. Au fond, malgré toutes les grandes théories épistémologiques, il faut bien constater que la démarche scientifique reste empirique.

Panne. Neuf jours après sa mise en service, l'accélérateur de particules est tombé en panne. Il doit être relancé au printemps, car il faut laisser la température de l'anneau, refroidi à l'azote et à l'hélium liquides, augmenter lentement pour pouvoir vérifier le matériel. Nous allons donc avoir un petit sursis pour nous occuper de la crise économique.

Jacques Bolo

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Notes

1. Si quelqu'un se souvient de cette émission et qu'il me communique les références, je mettrai à jour l'article. [Retour]

2. Les chercheurs des autres disciplines, qui ne sont pas égoïstes, ne doivent pas se plaindre que leurs crédits diminuent, c'est pour favoriser la recherche la plus fondamentale. [Retour]

3. Comme le pire n'est jamais sûr, un « moindre mal » pourrait être un accroissement de la taille du lac de Genève, en cas de trou noir aux effets aussi limités qu'une explosion nucléaire. [Retour]

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