En mai et juin, nous avons eu droit à un emballement médiatique et politique sur l'affaire de
l'annulation d'un mariage pour non-virginité. Je me permets ce raccourci. Le 1er avril 2008, le tribunal
de grande instance de Lille a rendu un jugement annulant un mariage à la demande du mari qui avait
découvert, juste après son mariage, que sa femme n'était pas vierge. Les époux sont musulmans.
L'argument juridique invoqué est le mensonge sur une « qualité essentielle » (article 180 du Code
civil : « ...S'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre
époux peut demander la nullité du mariage. ... »). Mais une opposition a eu lieu de la part de la classe
politique, de féministes et d'associations comme « Ni putes, ni soumises » sur la base du raccourci ci-dessus.
Les arguties juridiques et politiques ont volé bas de part et d'autre. Car en fait, toute la question est
la différence entre cette demande d'annulation et un divorce, puisque l'épouse consent à l'annulation.
Certains commentaires sur internet ont même envisagé que les deux époux auraient pu se mettre
d'accord sur ce subterfuge pour se marier pour faire plaisir à la famille et se séparer tout de suite. Les
opposants à cette annulation admettent évidemment un divorce. Mais ils semblent demander qu'on
annule l'annulation. Ce qui nous donne au passage, ironiquement, une version inédite de remariage
forcé !
Le scandale repose essentiellement sur une sorte de jeu sur les mots, qui fait semblant de considérer
que le jugement a dit que la virginité est essentielle dans le mariage. Ce qui n'est évidemment pas le
cas. Le scandale médiatique fait essentiellement référence, d'une part, à une exigence de virginité dans
le mariage qui serait celle de l'islam, et que les spécialistes de la question se sont empressés de
démentir. Tout le monde connaît d'ailleurs au moins la possibilité offerte dans l'islam, justifié par la
polygamie, d'épouser la femme (non vierge donc) d'un parent décédé (dispositif autochtone de sécurité
sociale). Et un imam (un peu jésuite) a même précisé qu'il suffisait à l'épouse de ne pas dire qu'elle
n'était plus vierge. Comme on connaît également les opérations visant à réparer l'hymen, il faut bien
admettre que la possibilité d'absence de virginité chez les femmes musulmanes est un secret de
polichinelle. Se scandaliser d'une telle opération chirurgicale exige d'enregistrer cette conséquence (il
n'y a pas que les imams qui soient jésuites).
D'autre part, le scandale fait tout aussi essentiellement référence à la crainte que l'islam impose des
normes à la législation française, en particulier celles relatives au statut de la femme, comme dans cette
affaire. Il va donc falloir toiletter le code civil pour évacuer tous les résidus d'influence chrétienne, à
moins d'abandonner les notions de laïcité et de discrimination. Sinon, on va avoir de nombreux procès
en perspective. Est-ce que je veux dire qu'il va falloir modifier le droit dans un sens musulman. Il va
bien falloir tenir compte de son existence, sinon cela signifie que l'on interdit la pratique de l'islam.
Cette prise en compte est d'ailleurs déjà le cas. Comme l'ont noté très justement les défenseurs des
animaux (dont Brigitte Bardot), la viande allal (et casher) ne respecte pas les conditions habituelles
d'abattage. Et ces exceptions sont bien tolérées.
Il faut d'ailleurs noter qu'au cours de ce même mois de juin 2008, une autre affaire concernant le droit
des femmes a défrayé la chronique. Les instances dirigeantes du Grand Orient de France (GO) ont
rappelé à l'ordre les loges franc-maçonnes qui avaient initiées des femmes alors que le GO est réservé
aux hommes. En 1999, un autre « vénérable » avait été radié par le tribunal maçonnique pour la même
raison. Même s'il existe une obédience mixte, le Droit Humain, et une réservé aux femmes, la Grande
Loge Féminine de France, le fait est que cette fermeture traditionaliste fait tache. Et n'oublions pas que
la religion catholique n'admet toujours pas l'ordination de femmes comme prêtres, sans que la laïcité
française si pointilleuse interdise cette dangereuse organisation sexiste qui corrompt les jeunes
consciences confiées à l'éducation confessionnelle et néanmoins publique sous contrat. Les
traditionalistes existent donc partout (si on en doutait).
Dans le camp juridique, l'argument principal repose sur le fait que le mariage est essentiellement un
contrat, et d'autre part, sur le devoir de limitation aux textes juridiques qui peuvent être invoqués en
la matière, ce qui est la moindre des choses. La récusation des argumentaires politiques (ou moraux)
par les juristes fait la part belle au dénigrement de l'ignorance du droit. Et il est exact que les
commentateurs non-spécialistes ou les médias font semblant de croire que ce qu'ils estiment être la
justice (et qui n'est souvent que l'opinion) devrait déjà correspondre au droit, alors que précisément,
c'est la discussion qui doit permettre de voter de nouvelles lois à appliquer ensuite. Mais on sait
également que les arguties juridiques fondées sur les textes existants et leurs interprétations permettent
également à peu près tout et n'importe quoi, quand il ne s'agit pas de simple déni de justice.
Car le problème fondamental de tout droit est d'abord, on l'oublie souvent, la question de la légitimité
de l'intervention publique dans la sphère privée. Dans cette affaire, le consentement des deux époux
à l'annulation du mariage accentuait l'aspect purement civil et contractuel de l'affaire. Les jugements
moraux et les demandes de modifier un jugement accepté par les deux parties constituent quand même
une ingérence importante de la société. Ceux qui s'inquiètent de l'atteinte « symbolique » aux droits
des femmes font une erreur grave. Les intellectuels se servent de ce terme « symbolique » pour justifier
leurs propres jugements moraux ou politiques. Ce qui est en jeu est ici précisément la prééminence du
jugement social sur la liberté individuelle. Une décision d'annulation serait aussi « symbolique », c'est
à dire « le signe » d'un renforcement de l'ordre moral, alors que le jugement n'imposait pas la virginité
aux autres femmes. On ne joue pas impunément avec les scandales.
Car après tout, pourquoi ne pas admettre la liberté du mari à considérer la virginité comme une
condition à son mariage. Qu'il ait tort ou raison concerne la discussion idéologique. On ne peut quand
même pas le contraindre par un jugement à accepter une femme non-vierge. Certains commentateurs
ont évoqué l'analogie de l'exigence d'une femme excisée. Cela ne change rien au problème s'il ne fait
pas pratiquer l'excision. Evidemment, une femme pourra consentir à être excisée pour se marier. Mais
cette décision ne regarde pas vraiment l'opinion publique. C'est si on la contraint que la justice est
concernée.
On peut imaginer aussi le cas d'un ou d'une raciste ou antisémite qui découvrirait qu'un parent de son
époux ou épouse est noir ou juif. Ou, comme c'est aujourd'hui plus concevable qu'autrefois, d'une
découverte que l'époux ou l'épouse est transsexuel. Ce qu'on veut dire est que le racisme ou
l'homophobie sont moralement ou même juridiquement condamnables. Mais pourquoi voudrait-on
annuler l'annulation du mariage et obliger les époux à divorcer dans les règles, ce qui n'annuleraient
ni l'homophobie, ni le racisme. Personne ne semble avoir remarqué qu'un divorce ne supprimera pas
l'exigence de virginité, et que cela la consacrerait autant que l'annulation du mariage.
On peut trouver d'autres cas, qui sont autant de problèmes que pourrait avoir à traiter un étudiant de
droit. Le problème fondamental restera celui de l'application des textes juridiques en vigueur et non
une discussion politique sur le sujet. Mais bien évidemment, la question peut aussi se présenter sous
la forme : « Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir trouver pour empêcher ça par une astuce juridique
quelconque ? ». Dans le cas cité du racisme ou l'homophobie, la question se pose d'ailleurs de savoir
si on admettrait qu'il s'agit d'une qualité essentielle. Dans le cas du racisme, qui est un délit, l'épouse
ou l'époux rejeté pourrait théoriquement demander la réparation d'un préjudice.
Mais si dans un cas comme dans l'autre la personne concernée est d'accord pour annuler le mariage,
refusant de vivre avec un raciste, homophobe, ou rétrograde, de quel droit l'opinion publique, les
associations ou la justice rétabliraient-ils le mariage. Obligerait-on les époux à rester ensemble contre
leurs grés ? Ou tout cela n'est-il que du formalisme politique déguisé en formalisme juridique. Et
comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire (« Racisme, Antisémitisme, Stéréotypes (R.A.S.) ») : « je pense qu'il existe de meilleurs combats à mener que celui qui exigerait la possibilité d'entrée des Noirs au Ku Klux Klan et des juifs au parti nazi »
Jacques Bolo
Bibliographie
Maata Bagdad S., L'Affaire du Voile Islamique
Fawzia ZOUARI, Le voile islamique
Fariba Adelkhah, La Révolution sous le voile : Femmes islamiques d'Iran
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