Je me souviendrai de ma visite au Salon du livre. Évidemment, ça n'a pas raté, il y a eu une
alerte à la bombe quand j'y étais. On a dû attendre plusieurs heures dehors (pour rien
évidemment). Ce qui nous a donné une ambiance sécuritaire israélienne – dès l'entrée
d'ailleurs, avec des vigiles très Mossad.
On a eu évidemment droit à un appel au boycott du Salon du livre de Paris (à la suite de celui
de la Foire du livre de Turin pour la même raison). Il faut dire que le salon était réservé aux
auteurs écrivant en hébreu seulement. J'aurais dû boycotter le Salon, ça m'aurait fait une
excuse. Je n'aurai pas été bloqué plusieurs heures dans le froid, puis dans un café bondé, lassé
d'attendre, pour finir la visite dans un salon un peu trop désert (ambiance Néguev).
On a eu droit à la très originale caractérisation de cet appel comme « prise d'otages » par
Bernard-Henri Lévy, qui ne s'est pas foulé sur le plan strictement littéraire. En l'occurrence,
j'ai plutôt été moi-même enfermé dehors. Par contre, notre BHL international sera mieux
inspiré (toujours sur le plan strictement littéraire) quand, dans un dialogue avec Sayed
Kashua, qui écrit en hébreu, seul écrivain arabe invité, il dira : « Je veux juste ajouter que vous
ne parleriez pas l'hébreu, et vous ne le parleriez pas si bien et avec tant de grâce et de talent,
si l'État d'Israël n'existait pas » (Libération du 13 mars 2008). Sacré Bernard-Henri, toujours
le mot pour rire.
Caroline Fourest, sans doute inspirée par le cadre du salon du livre, nous fera un cours (Le
Monde du 14 mars 2008) sur le mot « boycottage » (moi je reste à « boycott » parce que je
suis anglophile), bizarrement associé à l'antisémitisme : « Dans ce cas particulier, la seule
utilisation du mot 'boycottage' résonne d'autant plus douloureusement qu'il est associé au mot
'livres' et au mot 'juif' ». Et elle compense par l'évocation de Rosa Parks [militante noire
américaine des droits civiques célèbre pour avoir refusé de céder sa place à un Blanc]. Elle a
dû être institutrice dans une vie antérieure.
Caroline pense aussi que la présence des invités d'honneur israéliens : Amos Oz, David
Grossman, Avraham B. Yehoshua, etc., au Salon du livre de Paris, serait l'idéal pour nouer un
dialogue entre écrivains israéliens et palestiniens, « ce que l'hommage unilatéral - associé à
la non-invitation d'écrivains israéliens arabophones - ne permet pas forcément ». C'est sûr
que c'est un peu gênant. Elle comprendrait d'ailleurs parfaitement le boycott de l'Algérie, la
Tunisie, l'Arabie Saoudite, qui « n'ont pas de leçon à donner », bien que ça ne doive pas
faciliter le dialogue avec leurs écrivains non plus.
Le plus rigolo est toujours Marek Alter, qui en fait toujours trop : « Au secours, on brûle les
livres » titre-t-il son article. Et il déploie toute sa rhétorique, discréditant au passage les
Italiens appelant au boycott, comme « le chantre des Brigades rouges, le Prix Nobel Dario
Fo ! » (Heureusement qu'il a eu le prix Nobel !). Invoquant Sigmund Freud : « A la suite des
livres, ce sont les juifs que l'on brûlera » et finissant sur « Il y a quelques jours, dans un
entretien au Monde, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, affirma une fois encore
sa volonté de faire disparaître l'État d'Israël. Faire disparaître sa littérature, serait-ce le
premier pas ? Y aura-t-il toujours des intellectuels pour être complices d'une telle
ignominie ? »
Mais c'est quand même lui qui donnera le seul argument rationnel dans tout ça : « Imaginons
le boycott des livres d'un Gore Vidal, d'un Philip Roth ou d'un Norman Mailer à cause de la
guerre du Vietnam. Imaginons le boycott d'un Sartre [1], d'un Camus, d'une Simone de
Beauvoir à cause de la guerre d'Algérie.... »
C'est pour ça qu'on l'aime bien, Marek. Et c'est la force du comparatisme quand il est
pertinent. Mais il aurait dû mettre cet argument à la fin, et même avoir le courage de foutre
à la poubelle les fioritures inutiles. Un sacrifice dont peu d'écrivains sont capables. Et puis tu
vois le truc ? Marek se pointe, et nous dit comme ça : « Imaginons le boycott des livres d'un
Gore Vidal, d'un Philip Roth ou d'un Norman Mailer à cause de la guerre du Vietnam.
Imaginons le boycott d'un Sartre, d'un Camus, d'une Simone de Beauvoir à cause de la
guerre d'Algérie. » Même en rajoutant (je suis gentil) ce qui suivait immédiatement :
« D'autant plus que, comme ce fut le cas des écrivains américains et français, les auteurs
israéliens invités à la Foire du livre de Turin, tels Amos Oz, Avraham B. Yehoshua ou David
Grossman, sont précisément ceux qui se battent pour les droits des Palestiniens. » (Et que j'ai
enlevé parce que tout le monde l'a dit). Bon. Et là, il s'arrête...
- « C'est tout ?... Ça va pas, Marek ?... Tu es malade ?... »
- « Eh ! Mais attendez... C'est pas con, ce qu'il dit !... »
- « Oui, mais ça fout les jetons, quand même ! »
....
Bon. J'arrête moi aussi la littérature.
Jacques Bolo
Bibliographie
David GROSSMAN, Le livre de la grammaire intérieure
Avraham-B YEHOSHUA, Israël, un examen moral
Marek HALTER, Je me suis réveillé en colère
Caroline FOUREST, Fiammetta VENNER, Tirs croisés : La Laïcité à l'épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman
|