Population
Il y déjà deux ans, j'avais envisagé sérieusement la nécessité d'un néomalthusianisme, pour
résoudre les questions écologiques générales (« Malthusianisme écologique ou démographique ? »). J'écrivais alors : « Si l'on
considère les progrès techniques enregistrés depuis 1800, on peut admettre que la situation
actuelle serait très enviable pour une personne vivant à la fin du XVIIIe siècle. Car une raison
essentielle des problèmes écologiques est bien le passage de la population mondiale d'un
milliard à six milliards d'habitants entre les années 1800 et 2000. Concrètement, si la
population mondiale était toujours d'un milliard ou deux, les problèmes qui se posent
actuellement ne seraient pas si importants (ou ils seraient même bel et bien inexistants). Il
n'y a donc peut-être pas d'autre vrai problème que démographique, puisque tous peuvent être
rapportés aux conséquences globales de l'impact moyen par habitant. »
Je maintiens évidemment cette position qui n'est guère envisagée, sauf dans le cas de la Chine,
essentiellement parce que le gouvernement chinois lui-même l'a pris à bras le corps (alors que
la même question se pose à la même échelle à l'Inde, et pour chaque pays émergeant à son
niveau). Or, pour faire face à la crise ou au chômage, la seule solution admise aujourd'hui ne
concerne que la croissance (voir « Quelle décroissance ? » et « Pour une décroissance compétitive »).
La solution malthusienne que j'évoque envisage bien la croissance économique, mais
seulement par habitant, ce qui est objectivement le seul critère intéressant. Vouloir « augmenter
la population pour augmenter la population » ou « pour la croissance » est évidemment une
absurdité. C'est pourtant ce qui est envisagé quand on considère que l'augmentation de la
population est gage d'augmentation du marché intérieur ou extérieur. Il ne faut pas oublier
que la population française a augmenté de 50% depuis la Deuxième Guerre mondiale. Cela
explique donc pour cette proportion la croissance pendant la période idéalisée des trente
glorieuses, qui ne se trouve donc pas si glorieuse, d'autant qu'elle correspond surtout à la
reconstruction.
On envisage que l'augmentation de la population mondiale pourrait se poursuivre, de plus de six milliards aujourd'hui à plus de neuf milliards au milieu du siècle. Cette croissance est concevable dans les pays les plus pauvres s'ils se développent. Mais j'ai également montré (voir toujours « Malthusianisme écologique ou démographique ? ») que cette croissance démographique était justement responsable de la forte dégradation de la croissance économique dans les pays peu développés. Sans cela, elle aurait été de 50 à 75% plus forte, pour les exemples du Mali, Maroc, et Kenya. Qu'en serait-il donc si la croissance démographique mondiale se poursuivait pour atteindre treize milliards et demi d'habitants (+50%) à la fin du XXIe siècle !
L'Essai sur le principe des populations (1798-1803) de Malthus soulignait l'importance de la
démographie en la liant aux subsistances dans un espace donné. Il a sous-estimé la
capacité du progrès technique, puisque la population mondiale a été multipliée par six. Il est
bien possible de considérer qu'il en sera de même à l'avenir. Mais envisage-t-on vraiment de
multiplier encore la population par six (54 milliards), même sur deux cents ans ?
Ressources
On n'avait pas retenu de Malthus non plus la possibilité d'un épuisement global des ressources,
puisqu'il envisageait tout simplement l'émigration (et la colonisation) en cas d'épuisement
local. Mais il suffisait de généraliser son idée pour obtenir la situation que nous connaissons
concernant les limites écologiques de la planète. Mais bizarrement, Malthus ne revient
pourtant pas à la mode. L'écologie insiste seulement sur les tendances relativement longues,
comme le réchauffement climatique, la désertification ou l'épuisement des terres arables.
Mais il existe également des risques à court terme. J'avais été un peu trop optimiste dans mon
précédent article, puisque j'écrivais à propos des alternatives technologiques : « Les partisans
des OGM ont plus de mal [à convaincre] du fait de l'absence d'urgence alimentaire »
(contrairement aux partisans du nucléaire qui prônent son retour). Entre temps, après la crise
du pétrole et des matières premières minérales, une crise frappe les matières premières
agricoles elles-mêmes, dont le cours s'est envolé.
Début janvier 2008, Le Monde signalait que « les prix du lait ont augmenté de 37% par
rapport au 1er janvier 2007 » et que « la France manque de vaches pour augmenter sa
production ». La cause en est la hausse de la demande mondiale des pays d'Asie et du
Moyen-Orient, les nouveaux modes de consommation de ces pays, et la baisse des stocks. Alors
que les années précédentes avaient été préoccupées par l'élimination des montagnes de beurre
et la reconversion ou le gel de terres dans l'Union européenne, le déficit de production devrait
être de 2% pour le lait en 2008. Il en est de même pour de nombreuses productions, maïs,
soja, riz. La Chine, précisément, n'est plus autosuffisante sur le plan alimentaire.
Pénurie alimentaire
Ironiquement, une cause de la pénurie alimentaire est due à la reconversion des agriculteurs
dans les agrocarburants, initialement pour des raisons écologiques. Les subventions à cette
filière ont encouragé de nombreux agriculteurs à s'orienter vers ce débouché et à abandonner
l'alimentation humaine. La pénurie elle-même faisant monter les cours, la spéculation, cause
traditionnelle de disettes, peut même accentuer cette situation. Même Chavez, dirigeant du
Vénézuela, avait mentionné cet effet dans sa croisade qui l'oppose aux États-Unis. Et certains ont
cru bon de le lui reprocher en semblant se moquer des conséquences.
Une crise alimentaire, c'est du sérieux. Un syndicaliste agricole signale que personne ne
voulant payer pour les stocks, ils avaient diminué pour n'assurer que deux mois de réserve. Or
il est bien évident que les ressources alimentaires doivent assurer la soudure d'une année (ou
d'une saison) sur l'autre. La mode du zéro stock est déjà ric-rac dans l'industrie (en faisant
supporter les contraintes aux sous-traitants), dans l'alimentaire, cela correspond, en cas de
crise, au fait de devoir se serrer réellement la ceinture. On a perdu l'habitude des restrictions.
Et même les écologistes, avec leur idéologie anti-gaspillage, ont oublié un principe
élémentaire : pour en avoir assez, il faut en avoir trop. C'est particulièrement vrai dans
l'alimentaire.
Si on ne veut pas constituer des stocks stratégiques sous la responsabilité des états, il faut que
ces derniers s'assurent néanmoins que les réserves sont disponibles. Sinon, la population
pourrait bien s'ajuster aux ressources de façon on ne peut plus malthusienne : par la famine.
Paradoxalement, d'ailleurs, les pays développés pourraient se révéler beaucoup plus sensibles
que les pays pauvres dans une telle situation. Car les pays les moins développés ne dépendent
pas entièrement du commerce (national et international). Ce sont bien les pays les plus
développés qui n'ont absolument aucune agriculture vivrière (la France n'est pas en état de
pénurie elle-même, mais ce n'est pas le cas de tous les pays voisins).
À moyen terme, la situation générale n'est pas inquiétante, puisque de nombreuses terres
peuvent être remises en culture, et que la productivité peut augmenter, par simple
généralisation des techniques existantes dans les pays moins avancés (cette transformation est
en cours). Mais il serait risqué de maintenir une pression qui obligerait de courir derrière une
augmentation toujours exponentielle de la population. La meilleure garantie est encore une
limitation de la demande par une limitation du nombre d'êtres humains. L'amélioration de leur
niveau de vie s'ensuivrait et la pression écologique sur la planète pourrait supporter ce
rattrapage. La seule contrainte est alors d'assumer la décroissance comme modèle économique
(voir « Pour une décroissance compétitive »). Il faut pour cela passer d'un modèle de développement économique mesuré par
État à un modèle de développement humain individuel.
Jacques Bolo
Bibliographie
Carol DRINKWATER, Pendant la famine, en Irlande : Journal de Phyllis McCormack 1845-1847
Christian Troubé, Les nouvelles famines : Des catastrophes pas si naturelles
Sylvie BRUNEL, Famines et Politique
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