Nouvelle donne
La présence d'un Noir à la candidature présidentielle constitue l'événement le plus marquant de
l'élection américaine 2008. Il est soutenu par une bonne partie des démocrates et ne constitue donc pas
seulement une candidature de témoignage, pour prendre date, encore que cela puisse constituer une
stratégie pour un jeune politicien. C'est toujours un bon argument électoral pour l'avenir d'avoir été le
premier candidat noir.
Évidemment, le premier risque, pour Obama et pour l'image de l'Amérique, est de se faire assassiner par
un raciste. L'ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius pense que ce sera le cas. Il n'est pas le
seul. Et de nombreux Noirs américains craignent cette possibilité au point de ne pas souhaiter qu'il
réussisse. La situation actuelle paraît être à un certain pessimisme concernant le racisme (et
l'antisémitisme). La stratégie qui en découle est une sorte de réflexe « vieux juif » qui consiste à essayer
de ne pas se faire trop remarquer pour espérer passer entre les gouttes. Ce n'est pourtant pas la stratégie
actuelle institutionnalisée par l'existence d'Israël en particulier, et plus généralement par tous les
mouvements minoritaires revendicatifs, qui consiste à ne plus jamais accepter de se laisser faire [1]. Même si la conséquence en est un peu trop le « tout, tout de suite », qui peut amener de cruelles désillusions, le principe général reste que les droits humains ne sont pas négociables et sont les mêmes pour tous. Reconnaître la réalité de cette idée devrait inciter à l'optimisme, même si on doit rester réaliste.
Coup de pub
Le véritable écueil de la candidature d'Obama est précisément le risque de sa trop grande force
symbolique. Outre l'aspect d'une candidature qui ne serait que symbolique (candidature de témoignage),
une élection d'un Noir à la présidence des États-Unis pourrait provoquer une stupeur si forte que le
Monde entier en serait bouleversé. Au point qu'on en viendrait presque à douter de sa sincérité : c'est
pas possible ! Ils l'ont fait !
La possibilité existe en effet que les Américains élisent Obama seulement pour montrer qu'ils pouvaient
le faire. On comprend néanmoins l'enthousiasme, qui nous plaît tant chez les Américains, même si on
les considère un peu comme de grands enfants, car les anciens peuples sont plus blasés et plus fatalistes.
Mais on craint aussi le coup publicitaire. Style « l'Amérique vous en donne plus ! », « On disait que c'est
impossible, eh bien on l'a fait ! », « En Amérique, tout est possible! », etc. Bref, on n'a pas fini d'en
entendre. On en souhaiterait presque qu'un républicain soit élu, pour que tout reste dans l'ordre (je
plaisante).
Un aspect symbolique désagréable consisterait surtout à croire qu'une élection d'un Noir américain
constituerait une rédemption de tous les péchés de l'Amérique (et du Monde). La présidence de Georges
W. Bush a discrédité internationalement l'Amérique : une guerre illégale, une faillite économique
(endettement), le modèle de consommation énergivore, etc. Et, plus généralement, cette image du racisme
historique persistant.
Et avec cette élection, tout serait magiquement oublié. Ce serait un bon plan. Et, objectivement, ça peut
marcher. C'est vrai que ce serait « un signal fort », comme on dit d'habitude pour justifier une répression
impitoyable. Heureusement, pour notre lucidité, l'Amérique fournit aussi l'antidote à notre aveuglement
dans les modèles de cette usine à rêves qu'est Hollywood. Notre vigilance impitoyable a été patiemment
formée par Clint Eastwood qui ne se laisse pas attendrir aussi facilement. Make my Super Tuesday !
Nous ne sommes pas déçus non plus par l'attitude de la candidate démocrate concurrente elle-même,
Hilary Clinton, qui argumente essentiellement contre l'inexpérience d'Obama. On a connu ça avec les
socialistes ligués contre Ségolène Royal. Et cela ne leur a pas porté chance, en contribuant à la faire
perdre. Mais Mme Clinton ne se prive pas de sous-entendus indiquant que le facteur racial ne permettra
pas aux cols-bleus, électeurs traditionnels du parti démocrate, de se mobiliser. Elle ne devrait pas abuser
sur ce point de l'argument populiste, anti-intellectualiste et anti-Côte-Est, car elle est évidemment mal
placée pour cela. Sa cote de popularité personnelle n'est d'ailleurs pas si favorable auprès des médias.
Elle a même dit (au cours d'un meeting le 7 janvier) que les Noirs doivent les lois sur les droits civiques
de 1964 à Johnson, et pas à Martin Luther King. Outre le fait qu'on a assassiné le pasteur noir avant qu'il
s'en prévale, ce qui est doublement de mauvais goût, c'est réduire l'action politique au dirigeant du
moment, sans tenir compte du mouvement social. Ce terme est toujours plus difficile à définir que la liste
des présidents des États-Unis, qui est une chose qu'on donne à apprendre par coeur aux petits
Américains. Mais les diverses organisations qui militaient pour les droits civiques (ou la fin de la guerre
du Vietnam à la même époque) ont bel et bien existé.
Ce ne sont pas les seuls présidents qui font l'histoire selon leur seul bon plaisir. L'illusion patricienne
d'une dame qui veut prendre la suite de son mari à la présidence en arguant de son expérience nous
montre, s'il en était besoin, que les femmes politiques sont les égales des hommes politiques. Entendons
qu'elles ne valent pas mieux. Un esclave rappelait aux empereurs romains qu'ils n'étaient que des
hommes. La mesure était d'ailleurs souvent insuffisante. Stendhal proposait plus radicalement de
« tempérer la monarchie absolue par le régicide ».
Jacques Bolo
|