Réforme tardive
Le gouvernement a mis en chantier une réforme des retraites qui était réputée pouvoir faire
tomber plusieurs gouvernements. On peut lui accorder que c'est courageux. Nicolas Sarkozy
assume effectivement ce risque en revendiquant « la réforme » à marche forcée. Sur ce point
particulier des retraites, il fallait réorganiser le système avant qu'il éclate complètement.
L'augmentation de la durée de vie (depuis une vingtaine d'années) commence aujourd'hui à
faire culminer le stock de retraités vivants. Les enfants du baby-boom de 1944 auront donc 65
ans en 2009. Même avec une prolongation de la durée d'activité jusqu'à 65 ans au lieu de 60
ans, ils pourront partir à la retraite à taux plein dans moins de deux ans. Et surtout, chaque
année, 200.000 personnes de plus (850.000 au lieu de 650.000 environ) arriveront à l'âge de
la retraite. Le baby-boom a duré 30 ans. Le nombre de retraités va donc croître régulièrement
jusqu'au moment où le système de retraite par répartition, dans lequel les actifs payent pour
les retraités, va forcément exploser : on prévoit qu'il y aura jusqu'à un retraité pour un actif.
Équité problématique
Pour faire passer la réforme, le gouvernement a choisi de stigmatiser particulièrement les
régimes spéciaux de la fonction publique. Il fallait aligner le régime du système du service
public sur celui du privé, dont la réforme avait eu lieu en 2003, négociée alors par François
Fillon, aujourd'hui Premier ministre. Le faire au nom de l'égalité était un argument. Mais était-ce vraiment équitable ?
Les régimes spéciaux, les départs à la retraite précoces de la SNCF par exemple, sont
considérés par de nombreux travailleurs du privé comme des avantages plus ou moins indus.
Mais ces avantages concernaient moins la pénibilité, assimilée aux locomotives à charbon, que
le travail posté ou de nuit, qui correspond bien à une réalité. Et surtout, les avantages en
nature correspondaient le plus souvent à une contrepartie de limitation de salaires dans la
fonction publique (ou d'absence de majoration des salaires pour le travail de nuit ou les jours
fériés). Il faut souligner aussi que les cotisations retraites étaient plus élevées à la SNCF !
Le vrai résultat de cette réforme est de prolonger la durée de cotisation comme dans le privé,
et c'est là sans doute la seule équité. Mais au final, pour tous, cela revient bien à faire baisser
les retraites, relativement à la durée ou au montant des cotisations. Cela pose quand même un
problème contractuel. En droit, il devrait être possible de contester une redéfinition rétroactive
des prestations ou de la durée de cotisation. Mais il est vrai que la « politique contractuelle »
correspond davantage à une justification a posteriori [1].
Politique contractuelle ou Cavalerie
Toute cette situation était prévisible depuis longtemps, comme l'indiquait le pronostic
rocardien de faire sauter plusieurs gouvernements. Le gouvernement actuel n'est évidemment
pas en cause. Au contraire, il a le mérite, comme il le revendique, d'affronter le problème. Il
n'a d'ailleurs plus le choix, puisque le moment est venu de passer à la caisse.
Le véritable problème est que le système mis en place n'a jamais correspondu à la réalité.
Les agents de la fonction publique peuvent constater, aujourd'hui, la mauvaise stratégie des
avantages en nature. Cette méthode contournée a été générale. Le système des retraites a moins
fonctionné sur le mode « contractuel » d'une assurance vieillesse que sur le mode « social »
d'une aide aux indigents. On peut alors « augmenter la retraite des vieux » pour faire du social
ou « exonérer les cotisations des entreprises nouvelles » en chargeant la barque. Un tel
système n'est pas possible pour un régime général. Cela revient à piocher dans les caisses de
retraites de ses employés pour un patron anglo-saxon.
De plus, les services publics (EDF, La Poste, etc.) ont des régimes indépendants. Cela pourrait
produire le même résultat que celui des grandes entreprises comme General Motors aux USA.
Comme la concurrence n'aura pas à payer les retraites maison, la faillite guette. Et si les
retraites sont extraites du bilan, c'est donc l'État qui devra les payer. Espérons donc que le
montant de la privatisation de la Poste couvrira les prestations futures des trop nombreux
agents (on peut d'ailleurs penser que cette privatisation s'impose pour cette seule raison).
D'un point de vue plus global, si le système ne fonctionne pas, c'est qu'il ne pouvait pas
fonctionner. L'intérêt de ces systèmes de retraite est d'organiser la prévisibilité. Ce sont des
régimes d'assurance classiques. Les cotisations doivent bien évidemment être proportionnelles
aux prestations, en fonction de la longévité prévue. Or les tendances démographiques sont
connues depuis longtemps. Même si on pouvait mal évaluer la situation actuelle dans les
années 1950, des ajustements étaient possibles au fur et à mesure, comme pour les primes
d'assurance auto.
En clair, si par « retraite par répartition » on entend qu'on veut distribuer aux retraités les
cotisations perçues dans l'année, en promettant plus qu'on peut payer à long terme, il s'agit
d'un système de cavalerie, qui promet des intérêts élevés et paye les intérêts courants avec le
capital. Si on ajoute éventuellement une dépense excessive de fonctionnement par ceux qui en
ont la charge (à leur profit), cela relève bien de l'escroquerie pure et simple.
S'il s'agissait d'une entreprise privée, il faudrait bien respecter le contrat sous peine de
poursuites, et les dirigeants seraient condamnés. L'inconvénient – ou l'avantage – du public
est qu'au final, ce sont les citoyens qui sont les actionnaires. C'est aussi un avantage de la
démocratie. Les citoyens sont complices de l'illusion qu'ils ont mise en place.
Jacques Bolo
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