La visite du chef d'État libyen, Mouammar Kadhafi, à Paris a illustré plaisamment la notion de
relativisme. Une polémique (sans grand intérêt) a consisté à savoir si le président Sarkozy avait
« parlé des droits de l'homme » (selon la formule consacrée) à son invité, entre la poire, le
fromage (et la signature de contrats commerciaux). Sur ce point, d'ailleurs, Kadhafi avait déjà
jeté un pavé dans la mare en déclarant : « Nous n'avons pas évoqué ces sujets », ce que des
témoins, ministres ou conseillers de Sarkozy se sont empressés de démentir.
Mais, bizarrement, ce qui a fait le plus scandale, a été le fait que le dirigeant libyen ait déclaré,
à l'Unesco, le mardi 11 décembre 2007 : « Avant de parler des droits de l'homme, il faut vérifier
que les immigrés bénéficient chez vous de ces droits ».
Enfin, si je dis « bizarrement », c'est une façon de parler, puisque précisément, il n'est pas bizarre de ne pas comprendre cette déclaration quand on s'oppose au relativisme. Je ne parle même pas de la contradiction qui consiste à se gargariser unanimement des droits de l'homme quand on condamne presque unanimement le droit de l'hommisme (voir « Pour le droit de l'hommisme »). C'est presque de bonne guerre médiatique.
Mais justement, quand on se livre à une guerre d'image, il faut s'attendre à une réplique. On
n'est plus à l'époque néocoloniale où l'on se permettait de donner des leçons à des indigènes qui
n'étaient pas censés répliquer. Un jour, cela devait cesser. Et ce jour est arrivé. On se demande
même pourquoi il n'était pas arrivé plus tôt d'ailleurs. On est donc entré dans le
multilatéralisme.
Il faut se rendre à l'évidence : Kadhafi, lui aussi, est venu en France pour « parler
des droits de l'homme » ! A droit de l'hommiste, droit de l'hommiste et demi. MDR.
Si l'on en croit les réactions indignées des politiques, on semble exiger des dirigeants étrangers
un langage politiquement correct, une « courtoisie [1] » ou un langage diplomatique qui n'ont pourtant pas du tout été ceux qui ont accueilli le dirigeant libyen. Au point que cela en devenait
presque gênant. En général, surtout quand on invoque la courtoisie, on n'insulte pas ses invités.
C'était vraiment la surenchère dans le khadafi-bashing. À droite comme à gauche, on aurait cru
qu'on avait invité un punching-ball. Heureusement que ce n'est plus un terroriste, sinon, il
aurait fallu faire plus attention.
Il faut admettre cependant que la critique de Rama Yade, déléguée au droit de l'homme du
gouvernement, est quand même intéressante sur le plan littéraire [2] : « Le colonel Kadhafi doit comprendre que notre pays n'est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non,
peut venir s'essuyer les pieds du sang de ses forfaits. » Mais peut-être aussi, en tant que
responsable de la question des droits de l'homme, devrait-elle s'inquiéter davantage de la
situation en France (évoquée par Kadhafi), à moins qu'elle ne soit responsable que de la
question des droits de l'homme à l'étranger [3]. On reconnaît bien là la vocation universelle de la France. C'est donc cela que ça signifiait !
Pourtant, quelques jours seulement avant la visite du président libyen, la France avait été
accusée (encore une fois) de « traitement inhumain et dégradant » par un rapport du Comité
européen pour la prévention de la torture (CPT) pour qualifier la situation de détenus dans les
prisons françaises. On connaît aussi la situation des immigrés dans les centres de détention de
sans-papiers. Et on ne connaît que trop celle des immigrés en général, à laquelle se référait donc
bien légitimement la remarque si peu courtoise de Mouammar Kadhafi.
Les médias ont été prompts à amplifier les péripéties et le folklore du voyage du dirigeant libyen.
C'est leur rôle. Mais mon impression générale est quand même qu'ils ont manifesté un parti pris
un peu suspect à cet égard. Le summum a été atteint dans une émission d'information d'Itélé
(du 12 décembre 2007), avec comme invité Roland Dumas (ancien ministre des Affaires
étrangères de François Mitterrand, ancien président du conseil constitutionnel), qui avait été
l'émissaire spécial de François Mitterrand auprès du colonel Kadhafi en 1983. À la journaliste
Nathalie Ianetta, impérieuse, sinon arrogante, qui se scandalisait des déclarations de Kadhafi
sur les immigrés en France, Roland Dumas a répondu, presque humblement, que c'était ce que
pensait aussi beaucoup de monde en France. Apparemment la journaliste semblait avoir
manqué l'information pourtant récente du Comité européen pour la prévention de la torture sur
la situation des droits de l'homme en France.
Bienvenue en France, « pays des droits de l'homme [4] », où l'on doit s'excuser de défendre les droits de l'homme en France.
Jacques Bolo
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Notes
1. Mot qui signifie, pour les réacs, que les gens de gauche ou les pauvres ne savent vraiment pas se tenir. [Retour]
2. Sur le plan politique, il aurait été préférable que les membres du gouvernement discutent de la question avant d'inviter le président libyen. [Retour]
3. Pour être juste, il faut bien admettre qu'elle a essayé une fois, en rendant visite à des squatters d'Aubervilliers, en septembre 2007. Sans doute parce qu'ils étaient expulsés par une mairie communiste (dans la tradition entamée dans les années 1980 à coup de bulldozer contre un foyer de travailleurs migrants), et qu'elle voulait montrer que le
gouvernement n'avait pas de leçon à recevoir de l'extrême gauche. Tandis que le maire communiste lui reprochait de
« contester une décision de justice » dans la bonne tradition légitimiste (de droite). Elle avait alors été remise dans le droit chemin par le Premier ministre, un certain François Fillon (paraît-il ?). [Retour]
4. « Pays des droits de l'homme et de Philippe Pétain » serait une expression plus exacte pour rendre compte de la diversité de notre beau pays. [Retour]
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