Stratégie biaisée
Les associations de défense de droits de l'homme ont à nouveau dénoncé la collusion du
moteur de recherche Yahoo avec le gouvernement chinois. Yahoo ayant dû lui transmettre les
données permettant l'identification d'un opposant, Wang Xioning et d'autres cyberdissidents,
qui ont été condamnés en 2003 et 2005. Une enquête parlementaire américaine a été ouverte
en août sur les déclarations de Yahoo à ce propos.
L'entreprise internet américaine s'est défendue en déclarant qu'elle devait obéir aux lois des
pays où elle opérait. On ne voit pas très bien comment il pourrait en être autrement d'ailleurs.
Ni les États-Unis, ni la France, ni aucun pays réputé démocratique n'envisageraient autre chose
sur son territoire. Faut-il donc en déduire que la Chine doit obéir aux lois européennes ou
américaines ? Connaissant la susceptibilité chinoise quant aux velléités colonialistes
occidentales, on peut douter que ce soit la bonne méthode pour les convaincre de modifier leur
comportement. Il en serait d'ailleurs de même en Occident.
Comme la question concerne les droits de l'homme, le problème n'est donc pas l'attitude de
Yahoo. Si on n'est pas d'accord avec l'attitude du gouvernement chinois, ou la situation en
Chine en général, il faut évidemment viser la Chine, pas les entreprises qui respectent les lois
chinoises. Faut-il attaquer en justice toutes les entreprises étrangères qui ne respectent pas à
l'étranger les lois politiques, économiques, sociales, écologiques, etc., qui ont cours dans leur
pays d'origine ? On peut considérer qu'elles ne devaient pas y aller. Peut-être cela fait-il partie
de la stratégie (dite de containment) contre la mondialisation. Mais en quoi cela améliorera-t-il les droits de l'homme en Chine, ou ailleurs, de ne pas y aller ?
Si on parle de la définition d'une législation internationale, ou tout simplement du respect des
institutions déjà en place (voir Déclaration universelle des droits de l'homme), peut-être faudrait-il que les Occidentaux donnent
l'exemple. Les États-Unis avec Guantanamo, la France pour ses propres prisons, par exemple,
sont régulièrement condamnés par les instances internationales, mondiales ou européennes,
ou mises en cause par les associations. La mise en place de bonnes pratiques internationales
et l'acceptation des contrôles seraient la meilleure garantie pour tous les individus partout dans
le monde.
Malentendus
Mais surtout, le véritable problème est l'illusion d'une sorte de présupposé de la réalité déjà
achevée des droits de l'homme. En fait, on semble raisonner « comme si » les arrestations
d'opposants chinois n'auraient pas dû avoir lieu. Et pourtant, c'est bien ce qui s'est produit. Il
y a donc une anomalie quelque part. C'est ce que j'appellerai le principe Tiananmen.
Pour une grande part, ce qui s'est passé alors est une sorte de quiproquo ! Les jeunes chinois
modernistes ont voulu faire une manif comme à la télé. On a également pu le constater : ils ne
savaient d'ailleurs pas trop quoi faire au bout d'un moment. En 1989, le contexte était à la fin
ou à la démocratisation du communisme. Mais ça n'a pas été le cas en Chine. Le pouvoir s'est
inquiété. L'ironie, d'où le quiproquo, a voulu que l'époque soit pourtant à la modernisation en
Chine même. Deng Xiaoping a peut-être craint une nouvelle révolution culturelle,
qui lui avait laissé de mauvais souvenirs. Sur le simple plan pratique, la police n'étant pas
préparée, on a fait venir l'armée, ce qui a aggravé le problème. Les luttes de pouvoir au sein du
Parti communiste chinois ont fait le reste : les conservateurs se sont servis du désordre pour
déclencher la répression. Rien que de très classique (partout dans le monde).
Quand on fait de la politique, on doit faire une analyse politique de la situation. Mais sans
doute les manifestants n'en faisaient pas ou n'étaient-il pas conscient d'en faire. Dans ce cas,
ils auraient dû simplement soutenir les réformes du gouvernement au lieu de sembler s'y
opposer. S'opposer à quoi d'ailleurs ? Finalement, les réformes ont eu lieu. Et la forme
autoritaire qu'elles ont prise, et qu'elles continuent de prendre, résulte pour une grande part
de l'inquiétude déclenchée par la manifestation de la place Tiananmen.
Si on avait mauvais esprit, on pourrait même penser que cela arrangeait même les Occidentaux
de retarder le développement qui s'est produit par la suite, voire même la démocratisation qui
favorise toujours la créativité et l'indépendance. Finalement, une Chine autoritaire qui sert
d'usine à l'Occident peut être regardée plus favorablement. Ne serait-ce que pour que
l'Occident se revendique plus démocratique par comparaison. C'est tout bénéfice [1]. Et les
Chinois les plus modernes sont muselés. A l'époque coloniale européenne, en Algérie en
particulier, ce sont bien les plus avancés qui étaient persécutés. Les traditionalistes étaient
souvent avantagés, car ils maintenaient le communautarisme (qui n'était pas condamné alors).
L'attitude actuelle du gouvernement chinois risque de devoir se limiter à autogérer la
répression. Et les Chinois les plus compétents peuvent même émigrer aux États-Unis. Triple
jackpot !
Et maintenant, la Birmanie !
Quand le drame birman a commencé, fort du « principe Tiananmen », je n'ai pas partagé
l'enthousiasme des commentateurs. Le fait que les moines bouddhistes soient à la pointe du
mouvement ne me paraissait pas non plus une garantie (à part une sorte de garantie de non-violence, à la rigueur). Je ne pense pas, comme les Américains, que la religion soit un élément
positif en politique. Ils se sont trompés sur ce point au Moyen-orient, en Afghanistan en
particulier. L'analogie avec la Pologne à l'époque
de Jean Paul II ne me paraissait pas le bon modèle. Je penchais plutôt pour Tiananmen.
Tout dépendait donc de la junte birmane au pouvoir. Elle n'était pourtant pas réellement en
voie d'ouverture et de démocratisation. L'optimisme des médias me parut fortement influencé
par leur attitude acquise au cours des trop envahissants commentaires sportifs : « on va ga-gner ! On va ga-gner ! » ou de leur minimisation imbécile des catastrophes qui se passent en
direct. Ah, c'est plus facile de prévoir les résultats après coup, en léger différé ! À force de ne
plus faire d'analyse politique sérieuse, on prend de mauvaises habitudes.
Le fait de vouloir annoncer les résultats des matches ou des élections avant de les avoir n'a
finalement pas trop d'importance. Seule la crédibilité du journaliste est en cause. Et il en subit
rarement les conséquences. Mais une tentative de révolution, c'est autre chose. Bref, ça a foiré.
Les militaires n'ont pas été gagnés par l'enthousiasme médiatique. Ils ont eu tort, d'ailleurs,
il y avait un coup à faire. La dictature est vraiment un mauvais plan. On risque toujours de
prendre un mauvais coup (de part et d'autre). C'est la démocratie qui assure l'impunité.
Jacques Bolo
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