Crise régionale
La crise en Belgique, entre les Flamands néerlandophones et les Wallons francophones,
continue de se creuser en offrant une bonne occasion d'éclaircir la question des tensions
identitaires. Le cas belge peut paraître déconcertant. Mais il s'inscrit finalement assez bien
dans l'air du temps séparatiste : scission de la Tchécoslovaquie, guerre et partition de la
Yougoslavie, Ligue du nord en Italie, Écosse, Pays basque et Catalogne, rien qu'en ce qui
concerne l'Europe de l'ouest.
C'est un vieux problème politique. Le modèle universaliste de l'opposition entre le socialisme
et le libéralisme a toujours sous-estimé la question nationale. La question de l'impérialisme et
du partage du monde avait également masqué le problème. Car l'Empire comme système
politique incarne en fait cet universalisme concret qui tolère les particularismes.
L'idéologie universaliste française avait dissimulé cette réalité. Mais elle n'avait réalisé
concrètement ni l'universalisme, ni le respect des particularités. Encore aujourd'hui, le refus
du communautarisme, réputé anglo-saxon, manifeste la persistance de l'illusion jacobine, chez
les intellectuels (ou plutôt les idéologues) français.
Il est possible que l'influence française en Belgique ait donc joué un rôle dans la constitution
de la fiction de l'unité de la Belgique. Mais ce que nous révèlent les revendications flamandes,
est que les Wallons, quand ils étaient au pouvoir, ont longtemps méprisé les néerlandophones
qui étaient considérés comme des arriérés. On imagine que l'influence du colonialisme, la
Belgique dominait le Congo (ex-Zaïre, ex-Congo Kinshasa, ex-Congo belge) et le Rwanda, a dû
contribuer à entretenir cette hiérarchisation des groupes humains.
Hystérie linguistique
La langue flamande a été constamment considérée comme secondaire par les francophones
belges. Elle n'a été autorisée en justice qu'en 1873. La première université flamande n'a été
accordée qu'en 1932 par les élites belges francophones. Même les élites flamandes parlaient
français. Le flamand était donc perçu comme une sorte de patois populaire par cet
universalisme français, décidément imperméable à la diversité linguistique. Aujourd'hui, ce
sont les Flamands qui refusent de parler le français, en se livrant à des brimades et des
vexations linguistiques dans les communes flamandes, même quand les Français y sont
majoritaires, comme dans la banlieue de Bruxelles.
Les Flamands refusent de parler le français, mais ils le connaissent. Alors que les francophones
ne connaissent généralement pas le flamand. On aboutit cependant à des situations curieuses.
Quand on a demandé au Premier ministre belge flamand, Yves Leterne, de chanter l'hymne
national, la Brabançonne, il a chanté la Marseillaise, l'hymne français ! Nous pouvons donc,
au passage, ramener à ses justes proportions l'exigence de connaître l'hymne national qu'on
impose aux immigrés comme preuve d'intégration. Le modèle belge, est décidément primordial
pour démasquer les hypocrites xénophobes. Les Flamands feraient bien de retenir la leçon.
Il ne faut cependant pas tout prendre au sérieux. La légende nationaliste flamande rappelle à
l'envi ce grief que les soldats flamands sont morts parce qu'ils ne comprenaient pas les ordres
de leurs officiers wallons en 1914. Le nationalisme aime à ressortir les cadavres (plus ou moins
mythiques) du placard. Dans ma région d'origine, les occitanistes aiment à se croire les
descendants des Cathares massacrés par les soldats français de Simon de Monfort (alors qu'ils
descendent donc plus probablement des massacreurs). L'hystérie historienne nationaliste
s'identifie à la légende, sans les précautions méthodologiques minimales et revivant
éternellement le passé : le Sac de Béziers a quand même eu lieu en 1209 ; Les Flamands se
rappelleront leur victoire sur les Wallons de 1306 ! Alain Finkielkraut a très bien décrit ce
phénomène dans son livre, Le Juif imaginaire,... avant d'y succomber lui-même !
La solution à cette hystérie linguistique est pourtant simple. Si la Belgique veut survivre, il faut
que les Wallons prennent la peine d'apprendre le flamand. C'est inévitable, spécialement quand
il est question de renaissance culturelle des langues minoritaires (souvent presque
complètement disparues). Celles qui sont encore parlées couramment, comme le basque, le
catalan, (le corse à la rigueur)... méritent une reconnaissance institutionnelle. La situation du
flamand, partagé avec le voisin hollandais et majoritaire en Belgique (6 millions, contre
4 millions pour le français des Wallons) devrait tendre à imposer un bilinguisme réel.
La véritable revanche contre le jacobinisme monolingue des francophones serait tout simplement
un jacobinisme bilingue !
Racialisme belge ?
La solution raciste qui s'insinue en Belgique montre bien l'absurdité du phénomène raciste en
général. J'ai déjà mentionné la possibilité d'y voir une conséquence du colonialisme belge lui-même. Il est bien évident qu'une conséquence de ce colonialisme est précisément la présence
d'immigrés africains et de leur rejet par des racistes se dissimulant sous des discours
nationalistes flamands.
La situation devient intéressante quand le discours tenu par les Flamands contre les Wallons
prend une coloration essentialiste pour décrire les mauvaises performances économiques de
cette région anciennement dominante. Dans un sens, ce n'est que justice si l'ancien argument
wallon de l'arriération des Flamands se retourne contre eux. On le voit, les riches semblent
souvent considérer que c'est la nature des pauvres qui explique leur condition. Car si les
libéraux flamands considèrent, comme ils le disent, que c'est l'assistanat socialisant qui est la
cause du déclin de la Wallonie, ils devraient donc s'allier avec les libéraux wallons pour faire
des réformes libérales. Comme ils s'allient avec les nationalistes flamands, faut-il en déduire
qu'ils pensent que le libéralisme est génétique ou même génétiquement culturel ?
Car la crise politique belge est évidemment une crise de négation de la politique par le virus
essentialiste. Bien évidemment la partition de la Belgique (ou de tout autre pays d'Europe), ne
ferait que réduire au sous-ensemble le traitement des questions qui se posent (outre les
problèmes particuliers, comme le cas de Bruxelles, majoritairement francophone, mais
enclavée en Flandre). La régionalisation peut être une solution. Mais l'ouverture et la
supranationalité européenne sont aussi une solution qui prépare à affronter la mondialisation.
Dans le cas des Wallons, l'apprentissage du flamand leur ouvrirait le marché hollandais.
D'ailleurs, c'est peut-être ce qui explique les meilleures performances économiques de la
Flandre. Surtout si on considère que la Hollande est dynamique et que la région française
contiguë à la Wallonie est, elle aussi, sinistrée économiquement. Un petit effort, amis Wallons,
pour « une fois ».
Jacques Bolo
Bibliographie
Jacques DARRAS, Moi, j'aime la Belgique!
Luc BEYER RYKE, La Belgique en sursis
Paul STRUYE, Guillaume JACQUEMYNS, La Belgique sous l'occupation allemande (1940-1944)
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