Fin juin 2007, au cours de la dernière négociation d'un mini-traité européen, le gouvernement polonais
a posé la question de la représentativité de son pays au sein de Conseil européen. On se demande vraiment pourquoi,
puisque précisément, c'est la Pologne qui se situe exactement dans la moyenne du nombre de voix par
rapport à la population globale, comme on peut le voir dans le tableau suivant. On peut voir aussi qu'un
Polonais vaut deux Allemands. Mais un problème existe surtout avec les petits pays. Un vote maltais,
un Luxembourgeois, valent 14 votes polonais ou 28 votes allemands.
Parlement européen |
Nombre
de voix |
Population
totale |
Poids de chaque voix |
Ecart / moyenne |
Allemagne |
29 |
82.400.000 |
2.841.379 |
0,50 |
France |
29 |
62.600.000 |
2.158.621 |
0,66 |
Royaume-Uni |
29 |
59.600.000 |
2.055.172 |
0,70 |
Italie |
29 |
58.000.000 |
2.000.000 |
0,72 |
Espagne |
27 |
44.000.000 |
1.629.630 |
0,88 |
Pologne |
27 |
38.600.000 |
1.429.630 |
1,00 |
Pays-Bas |
13 |
15.800.000 |
1.215.385 |
1,18 |
Grèce |
12 |
10.600.000 |
883.333 |
1,62 |
République tchèque |
12 |
10.300.000 |
858.333 |
1,67 |
Belgique |
12 |
10.200.000 |
850.000 |
1,69 |
Hongrie |
12 |
10.000.000 |
833.333 |
1,72 |
Portugal |
12 |
9.900.000 |
825.000 |
1,74 |
Suède |
10 |
8.900.000 |
890.000 |
1,61 |
Autriche |
10 |
8.100.000 |
810.000 |
1,77 |
Slovaquie |
7 |
5.400.000 |
771.429 |
1,86 |
Danemark |
7 |
5.300.000 |
757.143 |
1,89 |
Finlande |
7 |
5.200.000 |
742.857 |
1,93 |
Irlande |
7 |
3.700.000 |
528.571 |
2,71 |
Lituanie |
7 |
3.700.000 |
528.571 |
2,71 |
Lettonie |
4 |
2.400.000 |
600.000 |
2,39 |
Slovénie |
4 |
2.000.000 |
500.000 |
2,87 |
Estonie |
4 |
1.400.000 |
350.000 |
4,09 |
République de Chypre |
4 |
784.000 |
196.000 |
7,31 |
Luxembourg |
4 |
443.000 |
110.750 |
12,94 |
Malte |
3 |
394.000 |
131.333 |
10,91 |
Total |
321 |
460.000.000 |
1.433.022 |
1,00 |
Le paradoxe de cette situation est donc que les grands pays auraient donc intérêt à se fractionner en
autant d'États indépendants, voire de principautés, pour posséder une représentativité plus démocratique,
sur le principe simple et légitime : une personne une voix. On pourrait donc assister, non seulement à une
indépendance de l'Écosse, du Pays basque, de la Catalogne, de la Corse, de la Flandre et de la Wallonie.
Mais aussi, pourquoi pas de tous les landers allemands et même de tous les départements français.
La France pourrait produire environ quatre-vingt-dix nouveaux États indépendants. Les DOM-TOM
« n'étant pas en Europe », seraient donc exclus (adieu le domaine maritime, la base de Kourou, etc.). Et
pourquoi ne pas envisager d'indépendance pour des arrondissements de Paris ou certaines villes de
banlieue, puisqu'il est indéniable qu'ils possèdent de « fortes identités », comme on dit. Ce qui donnerait
à la France entre 300 et 400 voix selon le calcul actuel sur la base des plus petits pays.
La réalité rejoint la fiction
Si on considère que cette conséquence est absurde, il suffit de constater qu'elle s'applique aux États issus
de l'ancienne Yougoslavie. La question va se poser immédiatement pour la Croatie, et bientôt pour les
autres. Comme on peut le voir dans le tableau suivant, en se basant sur les petits pays actuels, l'ensemble
de l'ancienne Yougoslavie aurait eu plus de deux fois et demie moins de voix que la somme des pays qui
en sont issus. On peut, si on est optimiste, considérer que c'est un effet positif de la guerre, ou considérer
que ce n'était vraiment pas la peine de la faire pour entrer aussitôt après dans une autre fédération.
Nouvelle Yougoslavie par pays |
Nombre de voix possibles |
Population totale |
Poids de chaque voix |
Ecart / moyenne |
Serbie |
10 |
7.500.000 |
750.000 |
1,91 |
Croatie |
7 |
4.400.000 |
628.571 |
2,28 |
Bosnie |
5 |
3.000.000 |
600.000 |
2,39 |
Kosovo |
5 |
2.500.000 |
500.000 |
2,87 |
Slovénie |
4 |
2.000.000 |
500.000 |
2,87 |
Macédoine |
4 |
2.000.000 |
500.000 |
2,87 |
Monténégro |
4 |
600.000 |
150.000 |
9,55 |
Total |
39 |
22.000.000 |
564.103 |
2,54 |
Ancienne Yougoslavie |
16 |
22.000.000 |
1.375.000 |
1,04 |
Quelles leçons tirer de ces anomalies ? La prétention démocratique de l'Europe est fortement contredite
quand on la confronte au critère élémentaire, minimal, de la représentation : une personne, une voix. Les
prétentions des petits pays sont dégonflées par la possibilité de partitions, qui reviennent à l'ordre du
jour. Les égoïsmes de régions riches envers les régions pauvres, comme pour l'Italie du nord envers
l'Italie du sud, contredisent le principe de la recherche d'un équilibre qui avait jusqu'ici été un des
thèmes majeurs de la construction européenne.
Si la question de l'Union consiste à s'associer à des zones pauvres pour délocaliser les entreprises, ce
n'est pas la peine de prétendre faire une construction politique. Il est parfaitement possible de se
contenter des possibilités qu'offrent la Chine, le Maghreb,... et la Turquie. Inversement, si le refus de
l'adhésion de la Turquie se résume à empêcher les Turcs, qui sont plus de 70 millions d'habitants, d'avoir
une influence dans les institutions, ce n'est pas la peine de se revendiquer de la démocratie. De ce point
de vue, l'adhésion de la Turquie est bien un test. Et la situation actuelle, qui résulte de l'échec à ce test,
est donc le prix que les grands pays ont à payer, en blocage institutionnel, et surtout, en hypocrisie, tout
aussi institutionnelle. Le prix final de cette mascarade est la perte totale de crédibilité du projet européen.
Jacques Bolo
Bibliographie
Zaki LAIDI : La norme sans la force : L'énigme de la puissance européenne
Jean-Marc FERRY : La Question de l'État européen
Jean-Louis QUERMONNE : Le système politique de l'union européenne : Des communautés économiques à l'Union politique
Florence AUTRET : L'Amérique à Bruxelles
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