[Attention : ne pas lire si vous voulez avoir la surprise du film - Evidemment, vous n'allez pas respecter la consigne. Eh bien, tant pis pour vous !]
Le film La vie des autres (2007) de Florian Henckel von Donnersmack a reçu l'Oscar du meilleur film étranger à Hollywood. Le film semble reposer sur la conversion démocratique d'un agent de la stasi qui trahit sa mission de surveillance policière par sympathie pour un intellectuel, Georg Dreyman, auteur et metteur en scène de théâtre consacré par le régime, quoique ami de collègues auteurs dissidents.
Il est possible que ce prix repose sur un malentendu, bien que les Américains ne soient pas forcément des idiots. Car l'agent
de la stasi ou le metteur en scène Dreyman sont bel et bien des communistes honnêtes. Leur révolte contre le régime de République démocratique allemande concerne seulement la corruption qui règne de la part d'arrivistes qui servent le communisme pour leur propre intérêt [1]. Toute l'affaire repose d'ailleurs simplement sur la tentative d'un haut dignitaire de compromettre l'auteur pour se débarrasser d'un rival, car ils partagent la même maîtresse, une actrice célèbre. Elle est présentée comme une personnalité fragile, inconsciente de son talent malgré sa célébrité. Sa relation avec le metteur en scène est tout aussi intéressée que celle avec le dignitaire du régime qui la tient par la menace. Elle finira d'ailleurs par vendre le premier au second et se suicider.
Le régime communiste est présenté comme un système qui fonctionne sur la peur, au seul profit de ceux qui sont au sommet
de la hiérarchie. Ceux-là ne croient plus aux idéaux dont ils utilisent le langage, produit d'ailleurs par les intellectuels, souvent dissidents, vulgarisé par les intellectuels plus conformistes comme l'auteur Georg Dreyman. L'autre héros, Gerd Wiesler, policier instructeur de la stasi, est présenté comme un des bons professionnels qui font tenir le système tandis que des arrivistes incompétents et intrigants tirent les marrons du feu.
Le policier prendra l'initiative et le risque d'aider l'auteur et sera mis au placard, dont il sera seulement sauvé par le gong de la chute du mur de Berlin. A la suite d'une révélation du dignitaire selon lequel il avait été toujours sur écoute, l'auteur enquêtera alors sur l'affaire qui a causé la mort de sa maîtresse. Voyant que les comptes rendus d'écoutes ne correspondait pas à la réalité, il comprendra qu'il a été aidé par l'agent, et dédiera son nouveau livre à ce n° HGW XX/7 après avoir eu la velléité de le contacter dans cette nouvelle vie minable que vit l'ancien agent... dans l'Allemagne libre. Evidemment, le dignitaire intrigant sera recasé à un niveau élevé qui tient compte de ses compétences anciennes : plus ça change, plus c'est la même chose. Ce n'est pas ce qui s'appelle un happy end à l'Américaine.
Le film pourrait n'être qu'un film de propagande communiste pessimiste déguisé, glosant sur l'irrévocabilité de la corruption
humaine. Mais cette lecture est un peu courte. Voyant la dédicace du livre, l'ex-policier comprendra que l'auteur a compris.
Une dernière subtilité du dialoguiste donnera au film une autre dimension. Au vendeur qui lui demandait s'il voulait un paquet
cadeau, il répondra « c'est pour moi. » Les dialogues, toujours les dialogues ! Dans le contexte d'espionnage du film, on saisit alors le message stoïcien. Le stoïcisme version kantienne (Allemagne oblige), consiste, comme on le sait, à « faire ce qu'on doit, advienne que pourra ». Il ne faut pas espérer plus que la satisfaction du devoir accompli. Au complot ostensible des crapules répond le complot discret des justes. Prenons l'Oscar comme un petit signe de connivence.
Jacques Bolo
Bibliographie
BORGES : "Le Congrès", in Le livre de sable
|