Accountability
Quand que j'étais traducteur, en 2003, j'avais eu quelques hésitations, a propos du terme
accountability, dans des documents officiels, dans la mesure ou il était employé en
association directe avec responsibility, de façon répétitive. À cette époque, les
organisations internationales, en particulier le Mouvement des pays non alignés, le
Mouvement des Démocraties Nouvelles et Rétablies, ou les Objectifs de développement
du millénaire des Nations-unies, débattaient des moyens d'améliorer la gouvernance des
pays en développement ou des nouvelles démocraties.
J'avais donc utilisé les variantes « responsabilité » et « nécessité de rendre des comptes », moins pour être maniaquement fidèle à l'original que pour expliciter un peu la notion de
responsabilité. J'aurais pu utiliser « responsabilité devant les citoyens », mais la
distinction aurait été faible avec le mot « responsabilité » seul. Concrètement, je m'étais posé la
question de savoir s'il existait un mot pour abréger cette formule « nécessité de rendre des
comptes ». Car je n'allais pas créer une sorte de néologisme un peu puriste du genre
« comptabilité devant les citoyens » ou sur le mode heideggerien [1] « ac-comptabilité » qui aurait aussi l'inconvénient de ne pas être distingué à l'oral (avec l'article) d'avec « la comptabilité ».
Le mot et la chose
Il n'est évidemment pas question de prétendre que la chose n'existe pas en France,
puisqu'on emploie généralement le mot responsabilité. Mais du fait que
le mot soit trop général ou que la chose soit un peu galvaudée, il est parfois bon
de préciser un peu. En outre, l'idée de « responsabilité devant les citoyens » est
généralement utilisée pour désigner de façon assez restrictive le seul moment des élections.
Ce qui signifie concrètement qu'on ne semble contrôler l'action des élus qu'après coup.
Le thème, lancé par Ségolène Royal, des jurys citoyens et plus généralement de la
démocratie participative me semble aller dans le sens de cette accountability / nécessité
de rendre des comptes. Concrètement, les jurys citoyens sont bien un des moyens de la
démocratie participative qui resterait un peu vague sans ce genre de précision et
de dispositif institutionnel pratique.
Rupture et continuité
Bizarrement, cette proposition a provoqué une levée de bouclier de la part de la classe
politique et de certains commentateurs : « Cette proposition crée l'ère du soupçon » selon
François Bayrou ; elle « ramène à des expressions d'un autre âge et souvent funestes,
comme les comités de salut public de la Révolution française » selon Dominique de
Villepin ; des « soviets » selon Jean-Marie Le Pen ; « elle a été inspirée par Le Pen ou
Mao Tsé Toung, c'est totalement ubuesque et grave » selon son collègue socialiste André
Laignel ; « C'est de la démago pure et simple » selon le ministre Xavier Bertrand ;
« Outrancièrement populiste » pour Nicolas Sarkozy.
On le voit, la campagne présidentielle est commencée [2] ! Pourquoi se scandaliser ainsi
pour une réalité qui existe largement déjà, comme évoqué précédemment, sous le terme de responsabilité. Des dispositifs concrets existent aussi : la justice pour les plaintes contre les élus ; tout simplement les rencontres avec les citoyens et les associations ; c'est aussi une fonction des sondages si appréciés des hommes politiques ; la Cour des comptes ; les commissions d'enquêtes parlementaires...
Au pire, il ne s'agit donc que d'un instrument de plus, dont l'intérêt me semble être le fait que les
citoyens sont tirés au sort. Ceci évite les dialogues en vase clos, par relation, qui ne sont
que trop le lot des hommes politique. Le fait de sélectionner au hasard dans une structure
officielle donne aux personnes choisies un sentiment de responsabilité dû à la fonction
(sinon cela revient à nier aussi les jurys populaires aux assises). Cela peut donner aussi aux citoyens un
nouvel intérêt pour l'action publique. Une structure officielle, dont il faut
évidemment définir les pouvoirs, permet surtout d'éviter que sa prise en compte, ou sa
simple publicité, soit soumise au seul bon vouloir de l'élu. Il s'agit d'un petit contre-pouvoir de plus contre les régressions monarchiques ou égocentriques.
Bonne gouvernance
On a parfois l'impression cependant que les leçons de démocratie sont seulement valables
pour les « Démocraties Nouvelles et Rétablies ». Les pays occidentaux semblent parfois
raisonner comme si leurs pratiques institutionnelles étaient parfaites, voire
culturellement génétiques si l'on peut dire. En somme, la démocratie n'aurait pas
d'histoire, et nous n'avons pas de leçons à recevoir, seulement des leçons à donner.
Comme nous sommes bons !
Christian Losson, dans un article de Libération du 25.10.2006, « Jurys citoyens contre
crise démocratique » rappelle l'ancienneté de la notion. Elle s'identifie d'ailleurs plus ou
moins à la démocratie, les dispositifs existants actuellement n'étant que des solutions
parmi d'autres. Des mécanismes participatifs, tels que les jurys citoyens ou ses
équivalents, comme ceux mis en place à Porto Alegre, Berlin, Barcelone et dans deux cents
villes du monde peuvent être importées ou testées. Ce serait une illustration concrète et
vivante du multilatéralisme.
Jacques Bolo
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