Inquiétudes ?
En ce début 2006, on recommence à parler de krach immobilier, alors qu'il y a quelques mois
à peine, le prix des immeubles semblait devoir monter jusqu'au ciel. La cause en était sans
aucun doute les dures nécessités des magazines qui doivent bien vendre les publicités de leurs
numéros spéciaux, entre ceux sur les francs-maçons et ceux sur la délinquance. Leur effet
pervers est de faire monter la sauce pour le plus grand bonheur du secteur de l'immobilier. Ce
qui pourrait correspondre à une sorte de tuyau pour faire des bonnes affaires ("les secteurs où
les prix sont encore raisonnables") a pour effet quasi immédiat de provoquer un rattrapage –
ou plutôt une surenchère. Au point qu'on se demande si les vendeurs et les bailleurs ne sont
pas les seuls à lire ces magazines.
Une autre cause de la hausse est aussi la conception de l'immobilier en terme d'investissement
boursier qui espère des rendements de 15%. Cela semble une sorte de généralisation de
l'époque des junk bonds qui consistait à acheter des entreprises moribondes, à les restructurer
et les moderniser (c'était les débuts de la micro-informatique) et de les revendre avec ce type
de profit. La critique envers ces méthodes se polarisait alors sur le sort des ouvriers débarqués,
mais le résultat correspondait quand même bien à une réalité économique. La généralisation
aux entreprises normales ne correspond pas vraiment à ce type d'espoir de rendement, même
si la mondialisation et les délocalisations permettent d'abaisser les coûts de main d'oeuvre.
Dans la course au partage du gâteau, ces gains de productivité de ces dernières années sont
alors mangés par les hausses de l'immobilier. Les personnes les plus solvables qui se sont
enrichies dans les années 1990-2005, peuvent simplement se payer (ou louer) le même
appartement deux ou trois fois plus cher. Ceux dont le pouvoir d'achat a stagné se trouvent
donc carrément exclus du marché immobilier ou contraints de se contenter d'un appartement
socialement dévalorisé (dans des quartiers populaires) ou d'une surface ridicule (compte tenu
de leurs revenus quand même raisonnables et de leurs exigences de standing – carte scolaire,
etc.). Ceux qui se sont appauvris se voient confinés dans des ghettos de pauvres et d'immigrés
dont la stigmatisation elle-même contribue à accentuer le phénomène.
Mais ce retour de la perspective d'un krach en reste toujours sur le terrain boursier. Car la
cause en serait le seul risque d'augmentation des taux d'intérêt. Le principal effet de cette
hausse serait de renchérir les emprunts et de diminuer la solvabilité des emprunteurs. La
réduction de la demande ferait finalement chuter les prix. Il pourrait en résulter une crise
généralisée dans la mesure où la valeur des biens immobiliers diminuant, l'économie
s'effondrerait dans certains pays, comme les USA, où les crédits à la consommation sont
garantis par la valorisation des biens immobiliers.
Les optimistes ne croient pas à ce scénario. Ils prévoient plutôt un soft landing (un atterrissage
en douceur). Et on imagine qu'ils n'ont pas tort puisque les taux dépendent des banques
centrales qui ne provoqueraient pas volontiers une nouvelle crise immobilière comme celle des
années 1990, voire un krach mondial. Ou plus simplement, même si une sorte de krach se
produit quand même, la perspective se situe dans un cadre cyclique où une bulle succède à
une autre sans empêcher la terre et les affaires de tourner, comme la dernière fois.
L'effet du vieillissement de la population
La mauvaise nouvelle est qu'il existe aussi des cycles longs, qui concernent d'autant plus le
marché immobilier qu'il constitue un investissement à long terme. Ne parlons même pas des
catastrophes toujours possibles qui provoqueraient une plongée locale ou globale des courbes.
Le pire n'est jamais sûr. On imagine qu'une pandémie de grippe qui décimerait la population
mondiale aurait des conséquences sur le marché immobilier, tandis que l'augmentation du
niveau des mers, promise par les écologistes, aurait bien un effet sur les zones côtières et
l'immobilier touristique. Tant que ces événements ne se produisent pas, il est peu probable que
leur seule perspective puisse avoir un effet sur le marché.
Par contre, une chose est vraiment certaine : le vieillissement de la population. Les habitants de
la planète vont vivre de plus en plus vieux (sauf inversion du phénomène qui constituerait
précisément une catastrophe dont l'effet ne serait donc pas nul). Et dans les pays occidentaux,
ce phénomène va connaître, très prochainement, un pic significatif correspondant au baby
boom de l'après-guerre.
Les effets se produiront en deux temps : l'augmentation des départs à la retraite, puis celle des
décès. Or le marché de l'immobilier devrait être affecté par ce phénomène de vieillissement qui
se produit de façon aussi importante pour la première fois dans l'histoire. En fait, on peut même
considérer que le marché a été déjà affecté ! La hausse des prix est précisément la première
conséquence de l'augmentation de la durée de vie. L'effet immédiatement suivant n'en est que
plus inéluctable.
Il faut savoir qu'en France, le baby boom correspond à une augmentation d'environ 190.000
naissances pendant 30 ans (de 650.000 naissances annuelles avant-guerre à 840.000 en
moyenne entre 1946 et 1974, où le nombre des naissances a commencé à baisser à 750.000
en moyenne de 1975 à 2005). Par rapport aux années que nous venons de connaître, cela
correspond à 30% de départ à la retraite, puis de décès supplémentaires une quinzaine
d'années plus tard.
Le choc des retraites
Le premier effet est l'effet retraite qui a déjà commencé, mais qui est actuellement atténué par
la tendance à prolonger la durée de la vie active (malgré les pré-retraites). On peut toujours le
retarder de quelques années, mais il va finir par se produire. Il devrait même s'accentuer
progressivement du fait que les femmes nées depuis 1946 ont été de plus en plus actives.
Ce premier effet concernera d'abord l'immobilier d'entreprise pour les travailleurs indépendants
(agriculteurs, commerçants, petits entrepreneurs et professions libérales) qui cesseront leur
activité. Les cessions de commerces, d'entreprise, de locaux professionnels ou exploitations
agricoles devraient donc croître de 30% ces prochaines années. Et si le marché n'est pas
capable de les absorber, une baisse des prix de plus en plus forte devrait se produire.
Normalement, les candidats à la retraite devraient bientôt se rendre progressivement compte
de l'augmentation du phénomène et commencer à s'en inquiéter. La solution qui consiste à se
débarrasser de son capital avant qui se dévalorise complètement devrait contribuer à provoquer
un krach.
Pour l'immobilier résidentiel, toute la question est de savoir ce que sera le choix des retraités.
Dans un premier temps, ils devraient rester dans leurs murs. Mais il est également possible
qu'ils choisissent de déménager dans une maison familiale en province, à l'étranger pour les
immigrés ou même pour les Français de souche, car le phénomène d'expatriation des retraités
est à la mode.
Ce mécanisme pourrait être accentué par la crise du système des retraites. Comme pour
l'immobilier d'entreprise, les retraités pourraient vouloir profiter du niveau élevé des prix actuels
pour se constituer un capital plus important. Comme dans le cas précédent, si le phénomène
s'accélère, ce qui devrait être le cas (pendant 30 ans !), les premiers vendeurs seront les mieux
servis. Les autres devraient se retrouver avec un bien invendable sur les bras et une retraite
amputée.
Et il ne faudra pas espérer un soutien du marché par les étrangers de l'Europe du nord,
puisque le même phénomène aura lieu dans tous les pays. Le Japon, l'Allemagne, la Russie
ont connu leur première baisse de la population l'année dernière. L'accentuation du phénomène
fera baisser les prix de l'immobilier aussi dans ces pays. Or c'étaient les prix élevés qui
motivaient principalement leur installation en France. Il ne faudra pas trop compter non plus sur
une immigration des pays du sud dans la mesure où elle ne peut pas payer les prix élevés
actuels. Peut-être après le krach... Mais ces pays se développent eux aussi. Ils ne seront peut-être plus intéressés par une immigration dans dix ou quinze ans.
Dans un deuxième temps, le problème concernera plutôt la construction de maisons de
retraites. Mais la crise du système des pensions devrait aussi causer quelques problèmes dans
les années qui viennent. D'où la nécessité de se constituer au plus vite un capital qui risque
d'augmenter la tentation de se défaire des biens, tant que les prix sont élevés.
Le deuxième choc de la mortalité
« A long terme, nous sommes tous morts ». Pour des retraités, c'est à moyen terme. Or les
investissements immobiliers sont aussi à moyen terme. A moins que la durée de vie
n'augmente vraiment beaucoup ces prochaines années, et qu'on demeure en bonne santé pour
retarder au maximum l'entrée en maison de retraite, dans 15 à 20 ans, les baby boomers
commenceront à décéder en plus grand nombre (toujours +30%) que les générations
précédentes [1].
Comme c'est à ce moment que la population des pays développés commencera à baisser
sérieusement, les investissements immobiliers actuels risquent fort de ne pas trouver preneur
dans 15 à 20 ans. Le compte à rebours démographique est inexorable.
L'idée que la pierre est toujours un bon investissement à long terme risque de passer dans la liste des mythes économiques. Ceux qui ironisaient en 2000 sur la bulle internet [2] avaient déjà oublié le krach immobilier des années 1990 et ses conséquences sur les bilans bancaires, au Japon en particulier. Cette situation risque de se reproduire avec des bases plus fondamentalistes (matérielles) que chartistes (boursières). Nous allons vivre, comme disait Borgès, une décennie intéressante.
Jacques Bolo
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