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Économie 30.1.2006

À quand le prochain Krach immobilier ?

Inquiétudes ?

En ce début 2006, on recommence à parler de krach immobilier, alors qu'il y a quelques mois à peine, le prix des immeubles semblait devoir monter jusqu'au ciel. La cause en était sans aucun doute les dures nécessités des magazines qui doivent bien vendre les publicités de leurs numéros spéciaux, entre ceux sur les francs-maçons et ceux sur la délinquance. Leur effet pervers est de faire monter la sauce pour le plus grand bonheur du secteur de l'immobilier. Ce qui pourrait correspondre à une sorte de tuyau pour faire des bonnes affaires ("les secteurs où les prix sont encore raisonnables") a pour effet quasi immédiat de provoquer un rattrapage – ou plutôt une surenchère. Au point qu'on se demande si les vendeurs et les bailleurs ne sont pas les seuls à lire ces magazines.

Une autre cause de la hausse est aussi la conception de l'immobilier en terme d'investissement boursier qui espère des rendements de 15%. Cela semble une sorte de généralisation de l'époque des junk bonds qui consistait à acheter des entreprises moribondes, à les restructurer et les moderniser (c'était les débuts de la micro-informatique) et de les revendre avec ce type de profit. La critique envers ces méthodes se polarisait alors sur le sort des ouvriers débarqués, mais le résultat correspondait quand même bien à une réalité économique. La généralisation aux entreprises normales ne correspond pas vraiment à ce type d'espoir de rendement, même si la mondialisation et les délocalisations permettent d'abaisser les coûts de main d'oeuvre.

Dans la course au partage du gâteau, ces gains de productivité de ces dernières années sont alors mangés par les hausses de l'immobilier. Les personnes les plus solvables qui se sont enrichies dans les années 1990-2005, peuvent simplement se payer (ou louer) le même appartement deux ou trois fois plus cher. Ceux dont le pouvoir d'achat a stagné se trouvent donc carrément exclus du marché immobilier ou contraints de se contenter d'un appartement socialement dévalorisé (dans des quartiers populaires) ou d'une surface ridicule (compte tenu de leurs revenus quand même raisonnables et de leurs exigences de standing – carte scolaire, etc.). Ceux qui se sont appauvris se voient confinés dans des ghettos de pauvres et d'immigrés dont la stigmatisation elle-même contribue à accentuer le phénomène.

Mais ce retour de la perspective d'un krach en reste toujours sur le terrain boursier. Car la cause en serait le seul risque d'augmentation des taux d'intérêt. Le principal effet de cette hausse serait de renchérir les emprunts et de diminuer la solvabilité des emprunteurs. La réduction de la demande ferait finalement chuter les prix. Il pourrait en résulter une crise généralisée dans la mesure où la valeur des biens immobiliers diminuant, l'économie s'effondrerait dans certains pays, comme les USA, où les crédits à la consommation sont garantis par la valorisation des biens immobiliers.

Les optimistes ne croient pas à ce scénario. Ils prévoient plutôt un soft landing (un atterrissage en douceur). Et on imagine qu'ils n'ont pas tort puisque les taux dépendent des banques centrales qui ne provoqueraient pas volontiers une nouvelle crise immobilière comme celle des années 1990, voire un krach mondial. Ou plus simplement, même si une sorte de krach se produit quand même, la perspective se situe dans un cadre cyclique où une bulle succède à une autre sans empêcher la terre et les affaires de tourner, comme la dernière fois.

L'effet du vieillissement de la population

La mauvaise nouvelle est qu'il existe aussi des cycles longs, qui concernent d'autant plus le marché immobilier qu'il constitue un investissement à long terme. Ne parlons même pas des catastrophes toujours possibles qui provoqueraient une plongée locale ou globale des courbes. Le pire n'est jamais sûr. On imagine qu'une pandémie de grippe qui décimerait la population mondiale aurait des conséquences sur le marché immobilier, tandis que l'augmentation du niveau des mers, promise par les écologistes, aurait bien un effet sur les zones côtières et l'immobilier touristique. Tant que ces événements ne se produisent pas, il est peu probable que leur seule perspective puisse avoir un effet sur le marché.

Par contre, une chose est vraiment certaine : le vieillissement de la population. Les habitants de la planète vont vivre de plus en plus vieux (sauf inversion du phénomène qui constituerait précisément une catastrophe dont l'effet ne serait donc pas nul). Et dans les pays occidentaux, ce phénomène va connaître, très prochainement, un pic significatif correspondant au baby boom de l'après-guerre.

Les effets se produiront en deux temps : l'augmentation des départs à la retraite, puis celle des décès. Or le marché de l'immobilier devrait être affecté par ce phénomène de vieillissement qui se produit de façon aussi importante pour la première fois dans l'histoire. En fait, on peut même considérer que le marché a été déjà affecté ! La hausse des prix est précisément la première conséquence de l'augmentation de la durée de vie. L'effet immédiatement suivant n'en est que plus inéluctable.

Il faut savoir qu'en France, le baby boom correspond à une augmentation d'environ 190.000 naissances pendant 30 ans (de 650.000 naissances annuelles avant-guerre à 840.000 en moyenne entre 1946 et 1974, où le nombre des naissances a commencé à baisser à 750.000 en moyenne de 1975 à 2005). Par rapport aux années que nous venons de connaître, cela correspond à 30% de départ à la retraite, puis de décès supplémentaires une quinzaine d'années plus tard.

Le choc des retraites

Le premier effet est l'effet retraite qui a déjà commencé, mais qui est actuellement atténué par la tendance à prolonger la durée de la vie active (malgré les pré-retraites). On peut toujours le retarder de quelques années, mais il va finir par se produire. Il devrait même s'accentuer progressivement du fait que les femmes nées depuis 1946 ont été de plus en plus actives.

Ce premier effet concernera d'abord l'immobilier d'entreprise pour les travailleurs indépendants (agriculteurs, commerçants, petits entrepreneurs et professions libérales) qui cesseront leur activité. Les cessions de commerces, d'entreprise, de locaux professionnels ou exploitations agricoles devraient donc croître de 30% ces prochaines années. Et si le marché n'est pas capable de les absorber, une baisse des prix de plus en plus forte devrait se produire.

Normalement, les candidats à la retraite devraient bientôt se rendre progressivement compte de l'augmentation du phénomène et commencer à s'en inquiéter. La solution qui consiste à se débarrasser de son capital avant qui se dévalorise complètement devrait contribuer à provoquer un krach.

Pour l'immobilier résidentiel, toute la question est de savoir ce que sera le choix des retraités. Dans un premier temps, ils devraient rester dans leurs murs. Mais il est également possible qu'ils choisissent de déménager dans une maison familiale en province, à l'étranger pour les immigrés ou même pour les Français de souche, car le phénomène d'expatriation des retraités est à la mode.

Ce mécanisme pourrait être accentué par la crise du système des retraites. Comme pour l'immobilier d'entreprise, les retraités pourraient vouloir profiter du niveau élevé des prix actuels pour se constituer un capital plus important. Comme dans le cas précédent, si le phénomène s'accélère, ce qui devrait être le cas (pendant 30 ans !), les premiers vendeurs seront les mieux servis. Les autres devraient se retrouver avec un bien invendable sur les bras et une retraite amputée.

Et il ne faudra pas espérer un soutien du marché par les étrangers de l'Europe du nord, puisque le même phénomène aura lieu dans tous les pays. Le Japon, l'Allemagne, la Russie ont connu leur première baisse de la population l'année dernière. L'accentuation du phénomène fera baisser les prix de l'immobilier aussi dans ces pays. Or c'étaient les prix élevés qui motivaient principalement leur installation en France. Il ne faudra pas trop compter non plus sur une immigration des pays du sud dans la mesure où elle ne peut pas payer les prix élevés actuels. Peut-être après le krach... Mais ces pays se développent eux aussi. Ils ne seront peut-être plus intéressés par une immigration dans dix ou quinze ans.

Dans un deuxième temps, le problème concernera plutôt la construction de maisons de retraites. Mais la crise du système des pensions devrait aussi causer quelques problèmes dans les années qui viennent. D'où la nécessité de se constituer au plus vite un capital qui risque d'augmenter la tentation de se défaire des biens, tant que les prix sont élevés.

Le deuxième choc de la mortalité

« A long terme, nous sommes tous morts ». Pour des retraités, c'est à moyen terme. Or les investissements immobiliers sont aussi à moyen terme. A moins que la durée de vie n'augmente vraiment beaucoup ces prochaines années, et qu'on demeure en bonne santé pour retarder au maximum l'entrée en maison de retraite, dans 15 à 20 ans, les baby boomers commenceront à décéder en plus grand nombre (toujours +30%) que les générations précédentes [1].

Comme c'est à ce moment que la population des pays développés commencera à baisser sérieusement, les investissements immobiliers actuels risquent fort de ne pas trouver preneur dans 15 à 20 ans. Le compte à rebours démographique est inexorable.

L'idée que la pierre est toujours un bon investissement à long terme risque de passer dans la liste des mythes économiques. Ceux qui ironisaient en 2000 sur la bulle internet [2] avaient déjà oublié le krach immobilier des années 1990 et ses conséquences sur les bilans bancaires, au Japon en particulier. Cette situation risque de se reproduire avec des bases plus fondamentalistes (matérielles) que chartistes (boursières). Nous allons vivre, comme disait Borgès, une décennie intéressante.

Jacques Bolo


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Notes

1. C'est plutôt dans les sociétés de pompes funèbres qu'il faudrait investir aujourd'hui. [Retour]

2. Au début d'internet, une plaisanterie disait que le commerce en ligne produisait zéro millions de dollars et que dans cinq ans, il produirait zéro milliards de dollars. Les humoristes ont vu leur pessimisme confirmé par l'éclatement de la bulle, mais pas leurs prédictions : le commerce en ligne a produit, en France, 9 milliards d'euros en 2005. [Retour]


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