Marianne nous joue un second tour
Un sondage paru dans la revue Marianne, début décembre 2005, sur les prochaines élections présidentielles françaises annonce « un bouleversement du jeu politique ». En opposant Sarkozy à toutes les personnalités en vue du moment (Le Pen, Bayrou, Hollande, Royal, Lang et Villepin), il sortirait vainqueur dans tous les cas, sauf contre Villepin.
Son score, si l'on convertit les chiffres des intentions de vote en ne considérant que les exprimés, correspondent à 90% contre Le Pen, autour de 60% contre Bayrou ou la gauche, et 47% contre Villepin, qui gagnerait avec 53%. Et Marianne d'en conclure que « Villepin battrait Sarkozy nettement », ce qui est nettement exagéré, car en matière de sondage, il s'agit davantage de 3% en plus ou en moins que de 6% d'écart. D'autant que le taux de confiance est en général de 2% en plus ou en moins pour chaque score [1], et bien sûr les choses peuvent changer d'ici 2007. Mais surtout, il s'agit d'un sondage qui présente les résultats possibles d'un second tour, alors que le problème est plutôt de déterminer celui qui y sera présent. Le précédent de Jospin est dans toutes les mémoires, et cette information constitue une donnée que les candidats, les partis et les électeurs vont prendre en compte (mais apparemment pas les journalistes).
Or précisément, on peut dire aujourd'hui (un an et demi avant les présidentielles de 2007), que c'est la droite qui se trouve dans la position de la gauche en 2001. Le nombre de grands candidats déclarés est déjà de quatre (Sarkozy, Bayrou, Villiers, Le Pen), et on envisage évidemment d'autres possibilités (Villepin) ou les petits candidats habituels (le souverainiste Dupont-Aignan, un écologiste, les chasseurs, etc.). Bizarrement d'ailleurs, le sondage n'observe pas les réponses pour les deux candidats du Parti Socialiste vraiment déclarés (Fabius, Strauss-Kahn) en choisissant ceux (Hollande, Royal, Lang) qui semblent être les candidats des médias (il est vrai que c'est une de leurs habitudes de prendre leur rêves pour des informations).
Remettons les boeufs avant la charrue
La seule question qui se pose pour des présidentielles est de savoir qui sera présent au second tour. Et l'on se souvient que Jospin trouvait ridicule l'idée de ne pas y être. On peut imaginer, malgré toutes les mauvaises habitudes, que la leçon aura été retenue par une partie des dirigeants et surtout des électeurs. Concrètement, une plus grande partie de l'électorat de gauche devrait choisir de voter utile. Ce que l'électorat de droite n'a toujours pas compris en s'obstinant à se faire plaisir en votant à l'extrême droite depuis plus de vingt-cinq ans du fait du joli coup réussi par Mitterrand. Et il n'y a pas de raison qu'il en soit autrement la prochaine fois puisque le souverainisme et l'immigration, voire le droit de vote aux immigrés, la Turquie, permettent de polariser l'attention.
De fait, le sondage n'a pas non plus envisagé l'hypothèse d'un duel gauche-gauche au second tour. Ce serait une surprise, mais seulement du fait de la sorte de fascination permanente de la presse sur Sarkozy d'un côté, et sur la concurrence au PS de l'autre. C'est devenu le nouveau poncif journalistique. Comme les journalistes n'aiment plus guère le débat d'idées, les querelles de personnes (ou les conseils bénévoles en communication) sont devenues les seuls moyens de divertir le public. Finalement, Paul Amar qui avait été renvoyé pour avoir cru drôle de donner une paire de gants de boxe à chacun de ses invités, Bernard Tapie et Jean-Marie Le Pen, aura été un précurseur bien mal récompensé pour son innovation.
Hypothèses gratuites
Voyons un peu quelles sont les différentes possibilités selon le nombre de candidats au premier tour en supposant même un score de droite à 60% et de gauche à 40%. On peut procéder par élimination sachant que le premier problème est l'influence des événements récents sur le score Villiers, Le Pen. On peut estimer qu'ils peuvent faire à eux deux de 15 à 25%. Les divers peuvent faire 5%. Bayrou peut faire entre 5 et 15%. Si le rapport de force entre Sarkozy, Villepin, est à peu près égal, il ne leur reste qu'entre 7,5 et 17,5% chacun (ou entre 15 et 35% s'il n'y a qu'un seul candidat). A moins bien sûr qu'une modification profonde des scores hors UMP ne se produise, avec un candidat surprise ou un très bon score de Villiers ou Le Pen.
Dans l'autre camp, s'il existe de nombreux candidats à gauche, le scénario prévu par Marianne peut se produire. Mais il faut pour cela qu'il y ait autant de candidats qu'à la dernière élection présidentielle de 2001 : PS + Ecologistes + Radicaux de gauche + MDC + PC + 1 (ou 2) Extrême gauche. L'élimination de Jospin a résulté évidemment de cet éparpillement, qui signifie qu'il n'a pas réussi à faire les concessions nécessaires pour décourager les candidatures de Chevènement ou Taubira. Sur le principe de l'hypothèse 2001, les résultats pourraient être quelque chose comme : Ecologistes + Radicaux de gauche + MDC (10 à 15%) ; PC + 1 ou 2 Extrêmes gauche (10 à 15 %) ; il ne resterait donc au PS que 10 à 20%. Tout cela dans l'hypothèse de 40% pour la gauche. Mais si des petits partis renoncent à se présenter ou si les électeurs décident de voter utile, les scores seront très différents, spécialement si les altermondialistes s'alliaient avec le PC, tandis que le PS fédérerait les partisans du oui de gauche au référendum européen. On aurait alors quelques indépendants d'extrême gauche (2 à 5%), PC/Extrême gauche (10 à 20%), et le PS aurait de 15 à 28%. Ce qui permettrait bien théoriquement un second tour Gauche-Gauche, même si ce n'est guère probable.
Ainsi, même dans le cas où la gauche n'aurait que 40%, la droite pourrait être en difficulté au point de risquer d'être éliminée. Ce pourrait être le cas si les divisions de la droite, et ses conséquences sur les électeurs, causaient une dispersion sur les petits candidats, ou une abstention plus forte (voire un report à gauche supplémentaire). Finalement, on pourrait avoir des élections présidentielles intéressantes. Mais il faudrait pour cela que les électeurs cessent de vouloir se faire plaisir. Rien n'est moins sûr. Moi, quand je veux me faire plaisir, je m'achète une glace ou je vais au cinéma.
Jacques Bolo
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Notes
1. Les spécialistes des sondages, pour éviter certaines manipulations trop flagrantes, ont réussi à imposer la publication de la fiche technique (taille de l'échantillon, méthode, etc.). Mais cela ne signifie pas grand chose excepté par rapport à un micro-trottoir, où les réponses sont trop rares, trop peu diverses, et surtout soigneusement sélectionnées, ou bien par rapport aux réponses volontaires à un questionnaire, où seuls ceux qui sont motivés répondent. En fait, il faudrait plutôt indiquer, comme le font les Américains, un taux de validité, qui aurait l'avantage de relativiser les résultats, surtout sur les petits scores. [Retour]
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