Emeutes dans le ghetto
Les événements de Clichy-sous-bois, une émeute à la suite de la mort de deux jeunes
électrocutés dans un transformateur après ce que la rumeur dit être une poursuite par la police,
ont déclenché la polarisation de la classe politique sur les questions de la délinquance, des
banlieues, de l'immigration clandestine ou légale, et surtout de l'intégration. Mais la plus grande
confusion semble régner à ce propos. Que Nicolas Sarkozy fasse étalage de fermeté, il est dans
son rôle en tant que Ministre de l'intérieur. Il ne va pas dire aux jeunes de tout casser. Encore
qu'il serait plus crédible si le gouvernement ne venait pas de baisser son froc céder aux
exigences des marins de la SNCM (bien qu'ils aient été qualifiés auparavant de pirates, puis
accusés de vols). D'autant qu'on sait aussi que le Syndicat des travailleurs corses avait réussi
à imposer la préférence insulaire dans le recrutement au cours du conflit précédent. Mais il en
est de même, depuis longtemps, pour les paysans qui détruisent des cargaisons de fruits et
légumes en provenance de l'étranger (y compris de l'Union européenne) ou saccagent des
supermarchés ; des camionneurs qui bloquent les routes et les dépôts de carburant, des
marins-pêcheurs qui incendient le parlement de Bretagne. L'ordre règne.
En comparution immédiate, les jeunes émeutiers viennent d'écoper de deux mois de prison
ferme. On ne saurait trop leur conseiller d'entrer à la CGT. En tout cas, l'émeute n'est
certainement pas un moyen de revendication, ni légitime, ni efficace (cela offre d'ailleurs une trop belle tribune aux hommes politiques pour préparer les prochaines présidentielles). Il semble bien que ce
mode d'expression des frustrations sociales renvoie simplement au mode d'intégration dans
les ghettos, à l'américaine, qui a eu lieu en France au cours de ces vingt dernières années. Le
résultat est le même, car en sciences sociales aussi, contrairement à ce qui se dit parfois, les
mêmes causes produisent les mêmes effets : ghettos de pauvres, ghettos de riches,
démagogie sécuritaire, assistanat, black studies, quotas, récriminations de petits blancs. Le
système se met en place lentement du fait de la forme concentrée des villes européennes, mais
on envisage sérieusement l'urbanisme pavillonnaire comme une solution, alors qu'il structure
le système [1].
L'erreur d'analyse sur l'intégration consiste à y mélanger la question sécuritaire. Elle est
d'ailleurs insultante, pour ne pas dire davantage, même quand on précise qu'elle ne concerne
qu'une petite partie des immigrés. Il en est d'ailleurs de même à propos du vote des immigrés
sous condition de ressource, d'imposition, de conduite, d'intégration ou de mérite. Qu'est-ce
que cela veut-il dire ? Que dans un foyer, seuls ceux qui travaillent vont voter et pas ceux qui
sont au chômage ou en cours d'études (s'ils sont majeurs) ? Rappelons d'ailleurs, en ces
temps de réductions d'impôts pour ceux qui en payent beaucoup (les riches donc), que tout le
monde paye des taxes, même ceux qui sont exonérés, les assistés, les exclus. De plus, pour
les Français, il n'existe pas de droit de vote censitaire, ou selon le niveau scolaire, ni même le
casier judiciaire (qui n'empêche pas certains d'être élus). Les droits humains sont sans
condition (voir Droit-de-l'hommisme),
les droits du citoyen sont sous condition de nationalité,
le droit de vote pour les étrangers devrait être admis sous la seule condition de
durée de résidence. Mais comme, selon le principe cher à Sherlock Holmes, quand toute autre
solution est impossible, la seule qui reste est la bonne, c'est donc sans aucun doute ce qu'a
voulu dire Nicolas Sarkozy. Il a simplement confondu un peu dans une même phrase sa
fonction de ministre de l'intérieur et celle de chef du parti majoritaire et candidat annoncé à la
présidentielle de 2007.
L'intégration est déjà là
Ce mélange des thèmes est en fait assez fréquent en ce qui concerne la dite intégration. Mais
même si on accepte cette façon de poser le problème, les immigrés sont d'autant plus intégrés
que la majorité vient d'anciens pays francophones (et qui peuvent être français s'ils en font la
demande. Par exemple s'ils sont nés avant 1994 de parents nés avant 1962, etc.). La majorité
des jeunes a également un cursus scolaire complet et une bonne partie d'entre eux a des
résultats suffisants. Les cancres résiduels ne méritent pas l'exclusion d'une communauté
culturelle restreinte au droit du sang. L'expulsion du territoire relève de la confusion des
genres si elle est utilisée comme méthode pédagogique. Notons au passage aussi que cette
notion d'intégration n'a plus le sens qu'elle avait autrefois puisque les jeunes du monde entier
ont les mêmes références pour la plupart depuis une trentaine d'années. On ne peut pas sans
cesse se plaindre de cette homogénéisation culturelle et prétendre ensuite le contraire pour
incriminer les jeunes de tout et du contraire de tout. Le niveau culturel des discours politiques
baisserait-il ?
Mais en outre, l'idée que certains immigrés ne voudraient pas s'intégrer par le travail est elle
aussi une absurdité. Les immigrés présents sur le territoire, et les immigrés clandestins
en particulier, sont forcément venus en France pour travailler. L'actualité récente des
clandestins de Ceuta a rappelé cruellement que certains sont prêts à mourir pour venir
travailler en Europe. Ici aussi, le mélange de toutes les questions, immigration, délinquance,
travail, intégration, brouille le message, comme on dit aujourd'hui. Reconduire à la frontière
ceux qui veulent travailler plus n'est donc pas un modèle pour les Français eux-mêmes. On
peut même dire que la stigmatisation des passeurs comme trafiquants d'esclaves relève de la
simple rhétorique [2]. Ils se remplissent les poches sur le dos des pauvres ? Quel scandale ! Décidément, où va le monde ? (On va même finir par vérifier si Sarkozy n'investit pas dans les
compagnies de charter ?)
S'intégrer ou intégrer
Un des problèmes de la dite intégration se réduit malheureusement à une simple question
d'acception du terme. Il semblerait aujourd'hui que l'intégration soit perçue comme le résultat
d'une mauvaise volonté des acteurs : ils ne veulent pas s'intégrer. Vulgate libérale aidant,
chacun est responsable de ce qui lui arrive. On semble compter pour rien l'augmentation du
chômage depuis 25 ans, quand Mitterrand a été élu (entre autres) parce que le chiffre était
passé de 600.000 à 1.700.000 demandeurs d'emplois entre 1974 et 1981 (il est de 2.700.000
en 2005). Le chômage des banlieues frappe 50% ou plus des jeunes black-beurs, alors que
la moyenne se situe à 25% pour la tranche d'âge, c'est-à-dire une petite dizaine de pour cent
pour les blancs. On n'entend pourtant pas dire que c'est de la faute des ouvriers quand on
délocalise. C'est soudainement de la faute des patrons voyous, du libéralisme, de la bourse,
du dumping social, de l'Europe... Les immigrés n'ont qu'à créer des entreprises (jeunes et
immigrés, les banquiers vont bien les accueillir). Certains le font bien. En attendant, les fils
d'immigrés n'ont qu'à prendre le travail qu'on propose aux clandestins : au noir, sous payé,
voire pas du tout si cela lui chante pour le patron indélicat. Les racailles seraient-elles
légalistes ? Trop intégrées ? Aussi fainéants que les Français ?
Parler d'intégration exige en fait de maîtriser un minimum la langue française et ses valeurs.
On ne s'intègre pas soi-même à un club de plus en plus fermé. On est intégré ou rejeté par
ses membres, comme le sont les blacks-beurs à la porte des boîtes de nuit. Si cette intégration-accueil ne se fait pas, les personnes visées vont précisément s'organiser autrement, dans des
réseaux communautaires. La fausse élite de ceux qui avaient profité de leur exclusion va bien
se retrouver tôt ou tard en concurrence avec ceux qui méritaient aussi leur part du gâteau.
Spécialement, dans le cadre de la mondialisation qui favorise ceux qui ont une double culture,
le réveil pourrait être brutal. De plus, dans cette concurrence internationale, si les résidents et
les nationaux se chamaillent très gauloisement, ou jouent trop perso, cela ne peut
qu'handicaper l'ensemble. Ceux qui contribuent à ces divisions ne peuvent pas prétendre
représenter l'intérêt national.
Jacques Bolo
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