Critique ?
Si j'ai pu dire ici même (voir Feu le socialisme),
le mois dernier, que le Parti socialiste devrait changer de nom, le communisme aurait dû le faire depuis longtemps. Ou mieux, il aurait dû se dissoudre ou fusionner avec les autres partis de gauche ou les gauchistes, comme il semble en
être question depuis le vote négatif au référendum sur la Constitution européenne du 29 mai
2005. Mais souhaitons que le choix du nom à venir soit plus heureux que celui des
sociaux démocrates italiens, L'Olivier. Ils ont malheureusement dû prendre le concepteur du nouveau
nom du Crédit lyonnais (renommé LCL).
Aujourd'hui encore, quand on critique les crimes du communisme, une stratégie observable est
de se faire traiter de Le Pen. C'est lui faire beaucoup d'honneur. Le stalinisme, voire le
léninisme ou le marxisme en général, ont toujours eu des critiques de gauche ou d'extrême
gauche, ou de droite évidemment : Gide, Victor Serge, Trotsky lui-même, Koestler, Aron, la
revue Socialisme ou barbarie (qui réunissait Edgar Morin, Cornelius Castoriadis, Claude
Lefort...), Camus, Merleau Ponty, Soljenitsyne, Arrabal contre Cuba plus récemment, etc., pour
les grands noms. En outre, il ne devrait pas être nécessaire de rappeler que le socialisme
démocratique ou toute la gauche non communiste se sont précisément constitués sur cette
critique ou une indépendance vis-à-vis du communisme ou du Komintern. Le Congrès de Tours
de 1920 s'est ainsi concrétisé par la scission entre la SFIO et le Parti communiste. Etrange
oubli de sa propre histoire, ou étrange mémoire sélective, pour des personnes qui se
revendiquent en général plutôt d'un souci historique qui frise le radotage.
La discipline aveugle qui caractérise le socialisme autoritaire et qui interdit toute critique, se
manifeste aussi par une sorte de monopole du droit de critique, à condition d'être encore plus
révolutionnaire. Plus généralement, le seul moyen de se démarquer, c'est-à-dire de pouvoir dire
autre chose que des platitudes rituelles, consiste à faire de la surenchère, être à la gauche de
la gauche de la gauche. Il en résulte évidemment une conséquence curieuse. Forcément, cela
revient à considérer en permanence que ses anciens camarades ou ses alliés habituels sont
donc de droite [1] ! Au fond, on peut se demander si tout cela n'est pas une sorte de jeu rhétorique, une sorte de grand oral de la grande école du parti, le moyen de devenir un cadre
du mouvement. On s'explique mieux alors l'arrivée à la tête du Parti Socialiste, réputé de droite,
de François Mitterrand et pourquoi pas prochainement de Laurent Fabius sur ce même principe
de savoir parler le marxiste.
Inquisition
Mais la différence entre le lauréat de l'exercice de style et les militants semble reposer quand
même un peu sur la croyance aux belles histoires qu'on leur raconte. Finalement, le procédé serait
donc bien plus universel qu'on le pense. Il ne faut plus s'étonner [2]
que nombre d'Américains, même les mieux informés, aient cru ou aient reproduit les déclarations de George Bush jr sur les armes de destruction massive en Irak. La politique ne semble pas être le domaine du rationnel qu'elle
prétend être. Et les conséquences de ce double langage sont toujours dramatiques. Les procès
de Moscou, de Prague ou de Budapest, de Tirana ou de Chine se sont en général mal terminés
pour les accusés, chargés des crimes les plus invraisemblables jusqu'au risible. En 1949, en
Hongrie, Laszlo Rajk, alors Ministre de l'intérieur du gouvernement communiste, ancien de brigades internationales
pendant la guerre d'Espagne, a ainsi été accusé d'être un agent nazi, trotskiste, titiste et agent de la
CIA, et fut exécuté, après avoir été torturé par ses anciens collègues.
Le fait d'être accusé de n'importe quoi par ses propres camarades peut être considéré comme
une conséquence de cette surenchère à la recherche d'une sorte de pureté révolutionnaire
permanente. On savait depuis la Révolution française que la révolution dévorait ses enfants.
Mais même si ces éliminations réciproques relèvent des conflits de personnes assez banals,
quoique poussés à leurs conséquences ultimes, cette comédie singeant le formalisme juridique
pose quand même un problème sur la croyance des participants. Notons au passage que, dans
le cadre marxiste, cette confiance dans les superstructures juridiques semble aussi relever
de cette sorte de double langage, d'un sens de l'humour peut-être !
Mais qu'en était-il du rôle des intellectuels dans les partis frères en France et dans les autres
pays non communistes, qui ont accrédité la falsification, à quelques notables exceptions près.
Depuis les années trente, les dénégations se sont accumulées avec la mauvaise foi la plus
insolente. Comment se fait-il que des jeunes, depuis les années 1960, 70, 80, 90, 2000,
pourtant informés, puissent encore entrer au Parti Communiste ? Si c'est pour défendre les
travailleurs, il suffisait d'entrer dans les syndicats. Car si c'est pour prendre le pouvoir, il ne faut
pas trop rêver non plus. Il reste évidemment quelques petits avantages que procure le
clientélisme municipal.
Disneyland
Mais la crédibilité intellectuelle du communisme a aujourd'hui totalement disparu hors d'une sorte de conception
abstraite, et pour tout dire romantique et idéaliste, de la révolte ou de la révolution, plutôt propre
au gauchisme. Car il n'est même plus question de dictature du prolétariat, de socialisation des
moyens de production, etc. Aujourd'hui, il n'existe apparemment pas de théorie alternative, ce
qui valide celle de la fin de l'histoire. Au mieux, il ne reste rien d'autre qu'une sorte de
syndicalisme révolutionnaire ou de social démocratie (cent ans de perdu) dont les contours en
sont de plus en plus flous. Les communistes semblent condamnés à rejouer compulsivement
leur folklore en faisant semblant d'y croire, sans l'humour nostalgique du parc de loisir stalinien
reconstitué dans l'ancienne Allemagne de l'est. On ne saurait trop recommander à un investisseur de gauche de
créer en France (ou en Italie) un parc à thème, concurrent d'Eurodisney, qui pourrait accueillir les nombreux
nostalgiques du communisme d'Europe de l'ouest, ou pourquoi pas en Espagne pour l'anarchisme.
Finalement, la seule excuse des communistes contemporains, malgré la faillite de la stratégie
politique communiste (léniniste ou marxiste) depuis 80 ou 150 ans, réside dans le précédent
de la religion chrétienne, dont les résultats ne sont guère plus brillants après 2000 ans. Les
mêmes phénomènes ont d'ailleurs pu y être constatés (dogmatisme, inquisition, hérésies,
double langage, dictature...) sans que cela ne semble guère affecter l'obstination des croyants.
En cette matière religieuse aussi, les nombreuses tentatives de rénovation, couronnées de
succès ou avortées, depuis l'origine jusqu'aux sectes actuelles, nous inciteraient plutôt à jeter
le bébé avec l'eau du bain.
Jacques Bolo
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