Constitutionnalité des lois
Récemment, Pascal Clément, Ministre de la justice français, a proposé un projet de loi
concernant la pose de bracelets électroniques pour suivre les délinquants sexuels après leur
libération. Cette mesure a provoqué un tollé (syndicat de la magistrature, Président du Conseil
constitutionnel, partis d'opposition, etc.) parce qu'il proposait de l'appliquer rétroactivement aux
personnes déjà libérées, sous contrôle judiciaire. Le ministre s'est habilement repris par la suite
en déclarant que ce n'était pas la loi qui était rétroactive, mais les moyens de contrôle qui
étaient actualisés.
Sa maladresse a consisté à proposer candidement aux députés de passer sur cet aspect
effectivement inconstitutionnel de non-rétroactivité des lois en ces termes : « Il y a un risque
d'inconstitutionnalité et tous les parlementaires pourront le courir avec moi. Il suffira pour eux
de ne pas saisir le Conseil constitutionnel, et ceux qui le saisiront en prendront sans doute la
responsabilité politique et humaine. » Belle subtilité, puisque le Conseil n'est pas habilité à
vérifier de lui-même la constitutionnalité de chaque loi. En fait, on peut se demander si le seul
scandale ne réside pas simplement dans le fait d'avoir révélé le pot aux roses, en avouant que
les lois françaises peuvent donc être anticonstitutionnelles.
Comme on le sait, l'instruction civique est le parent pauvre de l'éducation nationale (on
comprend maintenant pourquoi). Pour pallier cette carence, le texte de la déclaration des droits
de l'homme est parfois affiché dans les écoles et les professeurs sont invités à en commenter
le texte, pour faire réfléchir les élèves. Le sujet de réflexion pourrait devenir : « Quelle est la
valeur des lois inconstitutionnelles ? », ou plus généralement une réflexion sur « Quelle est la
différence entre le pays légal et le pays réel ? ». Et plutôt qu'un débat, il vaudrait mieux donner
ces thèmes comme sujet du bac, pour que la forme soit égale au contenu de la gratuité de la
réflexion, sans aucune conséquence sur la vie réelle.
Précédent
Au fait, puisque la laïcité a aussi été un thème de réflexion récente, le conseil constitutionnel
a-t-il été saisi à propos de la loi sur le voile ? On sait que les partisans du non à la Constitution
européenne ont précisément invoqué la possibilité que la cour de justice européenne soit saisie
à son sujet avec la nouvelle constitution. La différence est sans doute que les citoyens eux-mêmes (et pourquoi pas les Turcs) peuvent la saisir. Décidément, le rapport à la loi est différent dans d'autres pays du monde. Ce qui, en France, est considéré comme une américanisation de la justice.
Or les textes existants, comme la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10
décembre 1948, dont la France est signataire, sinon l'inspiratrice, comme on l'entend dire,
suffisent sur le sujet. L'article 18 dit que : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de
conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction
ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en
public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. »
Antigone, et l'analyse des textes
Notons d'ailleurs que cette réflexion existait déjà dans le cadre scolaire à propos d'Antigone.
Fille d'Oedipe, elle désobéit au roi Créon, son oncle, en rendant les honneurs funéraires à son
frère Polynice, dont la dépouille était condamnée à être exposée devant Thèbes. Il avait tué son
frère Etéocle qui refusait de lui laisser le trône à tour de rôle, comme il était
convenu. La pièce de Sophocle (reprise entre autres par Cocteau, Anouilh, Brecht...) est
généralement considérée comme une réflexion sur l'opposition entre la loi de la cité et la loi
religieuse ou morale [1].
La question se pose alors de savoir s'il ne faut pas retirer Antigone des programmes scolaires,
car une telle oeuvre pourrait être considérée comme de la propagande fondamentaliste
(juridique ou religieuse). Ou bien, faudrait-il changer l'interprétation habituelle qui est plus
favorable à Antigone qu'à Créon. A moins, bien sûr, que cela ne participe de l'apprentissage
de la tradition française qui consiste à parler pour ne rien faire. Mais on n'est jamais trop
prudent. On ne sait que trop comment les jeunes réagissent habituellement à ce genre de cas
de conscience. Certains d'entre eux ne comprennent pas que les grands principes concernent
seulement la stigmatisation des actes ou des idées de nos adversaires, pas des nôtres. Je
conseille donc fortement aux professeurs laïques d'éviter le sujet dorénavant. Les jésuites ne
sont pas ceux que l'on croyait (leur enseignement est réputé et leur modèle apparemment
contagieux). Et on devrait sans doute supprimer aussi Tartuffe du programme, par précaution.
Plus généralement, peut-être faudrait-il remettre en question l'enseignement des valeurs par
les grands textes, selon le modèle antique de la pédagogie, et envisager un enseignement plus
explicite que les professeurs eux-mêmes pourraient comprendre (afficher la Déclaration
universelle des droits de l'homme dans les écoles n'a pas suffit, une formation s'impose). Mais
surtout, il faudrait automatiser les contrôles du Conseil constitutionnel, pour permettre à la
démocratie de ne pas sombrer tôt ou tard dans le ridicule.
Jacques Bolo
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