On entend depuis quelques temps, cette proposition qui semble alléchante de « travailler plus
pour gagner plus » de la part du patronat, du gouvernement, ou des libéraux. Cette
proposition est fausse. Ou pour le moins, elle comporte de fortes restrictions. Car elle repose
tout simplement sur une généralisation abusive qui confond les représentations de l'agent
économique avec l'économie politique globale.
Il semble facile à admettre que si quelqu'un travaille plus d'heures, il puisse gagner
effectivement plus. A condition toutefois d'être strictement rémunéré à l'heure ou à la tâche. Ce
n'est pas la situation la plus fréquente, mais le gouvernement veut supprimer certaines
barrières légales à ce propos. Remarquons déjà que le paiement des heures supplémentaires
a été réduit depuis peu. Ce qui signifie qu'un salarié travaillera plus pour gagner
moins que ce qu'il aurait gagné en plus auparavant.
Mais l'argument semble dire que si tout le monde travaille plus, tout le monde gagnera plus.
Ce qui est absurde au niveau macro-économique ! Dirait-on à un paysan qu'il gagnera plus s'il
travaille plus ? Plus de subventions à la production peut-être ? Mais si tous les paysans
produisent plus, ils devront trouver des débouchés s'ils ne veulent pas faire chuter
les cours. Les subventions à l'exportation ne sont-elles pas là pour ça ? Mais si les
subventions ne sont pas généralisables, le problème des débouchés l'est. Ainsi, quand il a été
question de faire diminuer le chômage par diverses mesures d'aide, les chefs d'entreprise ont fait
remarquer très justement qu'il est nécessaire d'avoir des commandes pour embaucher. Y
aurait-il un redémarrage de la croissance à l'horizon ?
Cette idée de travailler plus relève simplement de la remise en cause de la loi sur les 35
heures. Un de ses objectifs était précisément d'embaucher au lieu de permettre de faire des heures
supplémentaires. Ce qui a provoqué un mécontentement de ceux qui arrondissaient leurs fins
de mois par ce moyen. Le retour aux heures supplémentaires va donc retarder ou
empêcher les nouvelles embauches. Les chômeurs eux, devront attendre pour simplement
toucher un salaire. Ce sont bien les premiers qui voudraient travailler (plus) pour gagner plus.
Il est vrai que les indemnisations ont été réduites, le coût pour la collectivité est donc plus
supportable.
Travailler plus pour gagner moins
Ce slogan « Travailler plus pour gagner plus », se résume en fait
simplement à l'hypothèse d'une relance par la consommation. Elle semble vertueuse en se fondant sur le travail.
Mais on ne voit pas ce que cela change. Le travail ne produit que des stocks à écouler. Il
existe au moins trois facteurs qui, comme quand la gauche avait choisi ce moyen en 1981, suppriment les
bénéfices supposés de la relance : 1) Fournir un pouvoir d'achat supplémentaire à ceux qui ont
déjà un travail peut les inciter à dépenser leur argent en produits importés qui n'auraient pas
d'effets intérieurs positifs. 2) Une augmentation des revenus peut inciter à l'épargne. D'autant
que l'absence de traitement du chômage, et la perception croissante de ce risque pour soi-même conduit à se
constituer des réserves. 3) Si l'argent est effectivement dépensé, la
conséquence directe d'une hausse du pouvoir d'achat est l'inflation. Dans ce cas précis, on
aboutit alors à « travailler plus pour gagner moins ». Avec en plus, dans le contexte actuel, une
hausse des taux d'intérêt et un éclatement de la bulle immobilière. Au moins, on obtiendrait
ainsi une baisse des prix. Mais je doute que ce soit l'effet recherché.
D'une façon générale, le dernier risque est celui qui est le plus important parce qu'il décrit tout
simplement la situation actuelle. Il n'est pas besoin d'augmenter le pouvoir d'achat pour le
vérifier tout simplement parce qu'il a toujours augmenté. Ce sont les besoins qui augmentent
parallèlement, comme on le sait. Par contre, la stratégie actuelle, qui prolonge celle de ces dix
dernières années, repose sur une forte augmentation des revenus les plus élevés, patrons et
cadres supérieurs. Et la conséquence en a précisément été l'augmentation tout aussi énorme
des prix de l'immobilier. Les cadres ont donc bien pu s'acheter des gadgets et faire ainsi marcher
le commerce. Mais ils ont relativement moins pu se constituer un patrimoine[1].
Le ralentissement des constructions nouvelles a donc accentué la hausse du secteur, aggravant encore le
phénomène. En cas de nouvel éclatement de la bulle, ou en cas de chômage, l'absence de
réserve se fera sentir. Or le contexte est différent d'il y a dix ou vingt ans du fait des
délocalisations de la main d'oeuvre qualifiée elle-même. La précarité des cadres est un
phénomène plus banal que par le passé.
En fait, le seul modèle économique qui sous-tend ce raisonnement du travailler plus est celui
de la croissance, et du pari de sa relance. Mais il existe des arguments qui peuvent mettre en
doute cette hypothèse optimiste qui correspond elle aussi à la représentation micro-économique des
entrepreneurs à la conquête de nouveaux marchés. Le dernier facteur en
date est évidemment celui du prix de l'énergie et des matières premières. L'erreur
fondamentale repose sur le fait qu'une entreprise peut faire faillite, alors qu'il vaut mieux éviter
que ce soit le cas pour un pays, ou le monde dans son ensemble. Quand le bateau coule, les
survivants sur le canot de sauvetage ont du mal à supporter que les premières classes soient
mieux traitées. Et il arrive toujours un moment où des extrémités soient envisagées, qui
n'étaient évidemment pas au menu en temps normal.
Jacques Bolo
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