L'Echec récurrent du logement social
Les récents incendies, de l'hôtel Paris Opéra en avril (24 morts) et du Boulevard Vincent Auriol (17 morts) dans le 13e arrondissement de Paris, puis du 3e arrondissement (7 morts) en août 2005, dans des logements où s'entassaient des immigrés, relancent le débat sur la pénurie de logements. La solution envisagée est généralement la construction de logements sociaux. Mais aujourd'hui, en France, 20% de la population vit en logement social. Depuis cinquante ans, la pénurie de logement est permanente, et l'immeuble qui a brûlé dans le 13e était lui-même géré par l'Association France-Euro-Habitat, liée au mouvement Emmaüs de l'abbé Pierre, symbole de cette croisade contre le manque de logement commencée l'hiver 1954. L'échec est consommé.
Effets pervers
Et si la stratégie adoptée était finalement la cause de la pénurie. Comme en ancienne Union-soviétique, où le logement était aussi notoirement bon marché qu'il était insuffisant, l'existence d'un double marché, subventionné et libre, provoque des aberrations. Car les HLM étant constitués par définition de logements de qualité inférieure, en demander la croissance revient à programmer la baisse de la qualité du parc immobilier. Comme sa réputation est aussi à la mesure de cette réalité, cela revient effectivement à planifier la construction de ghettos. D'autant que les villes bénéficiant d'une population aisée refusent ce déclassement qu'on envisage de leur imposer comme seule solution.
Du côté du parc privé, l'existence d'un secteur aidé constitue forcément une concurrence déloyale pour le marché libre en empêchant son expansion naturelle, d'autant que ce sont les administrations qui gèrent aussi l'attribution des zones constructibles. La rareté qui en résulte répartit le parc privé en un secteur de qualité hors de prix et des taudis qui réalisent des profits en rognant sur l'entretien tout en bénéficiant de la pénurie. Le secteur public s'aligne de fait sur cette norme. Les bons emplacements des logements sociaux (auxquels il faut ajouter les logements de fonction) sont accordés par népotisme, d'où les scandales récents, tandis que les gestionnaires de parc laissent les ghettos se dégrader en se livrant illégalement à la discrimination raciale au nom de la mixité sociale.
De fait, le secteur du logement social se constitue plutôt en système générateur de corruption et de clientélisme (comme l'est aussi le refus de son implantation dans les beaux quartiers) qui fait régresser la république vers un système d'ancien régime. La discrimination raciale qui règne dans les deux secteurs (privé et public) aggrave encore la dégradation morale de l'ensemble. La défense même des populations concernées par des associations jouant les mouches du coche renforce encore le principe du clientélisme. Les promesses de construction de logements sociaux n'engageant, comme dit le poète, que ceux qui les croient.
Pour la qualité
Sur un plan technique aussi, la construction de logements sociaux est une erreur, sans parler de l'esthétique qui est quand même une donnée fondamentale pour un bien où l'on doit passer sa vie, et qui provoque la stigmatisation sociale que l'on sait. Mais surtout, la mauvaise qualité est un mauvais calcul dans ce domaine comme dans tous les autres. Construire des immeubles qui durent vingt à trente ans signifie qu'il faut renouveler tout le parc en vingt-trente ans. Or, comme une grande partie du parc est de mauvaise qualité, soit parce que les grandes périodes de construction commencent à dater (début du XXe siècle, années trente, ou justement années soixante pour les HLM de mauvaise facture), la nécessité de renouvellement de l'ensemble risque de ne pas pouvoir être échelonnée si on choisit la solution du provisoire. On se condamne ainsi à reproduire à l'infini la situation actuelle.
La solution qui s'impose est la construction de logement de qualité destinés à durer aussi longtemps que les immeubles haussmanniens des années 1870-1914 qui peuplent encore la capitale (et dont la rénovation a commencé assez tardivement ces dernières années). Ces immeubles étant destinés à entrer à tour de rôle sur la liste des immeubles insalubres car ils ont fait leur temps, les nouvelles constructions ne doivent pas posséder un niveau de qualité inférieur aux immeubles existants pour proposer un renouvellement du parc par le haut et, dans ce secteur aussi, un développement durable. Comme la pénurie existe actuellement, ces constructions devront, dans un premier temps, et jusqu'à ce que le marché soit rééquilibré, s'ajouter au parc existant. Sinon, toute mesure de construction par remplacement ou destruction relève de l'organisation de la rareté, quelles qu'en soient les justifications. Si cette politique n'est pas délibérée, elle est simplement imbécile (j'ai bien peur que ce soit le cas).
On entend d'ici les partisans des logements sociaux qualifier cette politique de libérale, ou insinuer qu'elle favorise seulement les riches. Mais au contraire, il s'agit de faire financer le logement par ceux qui en ont les moyens, en leur fournissant une contrepartie pour les motiver. L'intérêt sera double, puisque ces types de logement de qualité permettront de créer plus d'emplois du fait de leur meilleur équipement. Un troisième avantage sera que la progression sera générale puisque les appartements libérés seront occupés à leur tour par les classes moyennes qui libéreront leurs appartements au bénéfice des classes inférieures. Le phénomène serait également porteur de sens pour l'ensemble de la population qui retrouverait ainsi l'ascenseur social. Ce point est important, car certains logements sociaux récents ou bien situés suscitent des convoitises et des rancoeurs contre les classes populaires ou les immigrés, et sont précisément à l'origine de détournements au profit de clientèles politiques.
Un intérêt à la création de cette nouvelle situation serait paradoxalement de favoriser la mixité sociale en déplaçant les riches dans des quartiers ou des banlieues anciennement populaires, ou simplement d'accélérer ce déplacement déjà en cours. Les résistances à la mobilité seraient balayées par la qualité des offres, et une fois amorcé, le mécanisme d'amélioration des quartiers entretiendrait le phénomène, d'autant que les impôts locaux fourniraient des moyens aux municipalités. La rotation dans les quartiers anciennement riches produirait naturellement la mixité dans ces endroits aussi. Un autre intérêt non négligeable résiderait dans le fait que ce mouvement relèverait de l'autonomie des acteurs eux-mêmes et non de décisions d'attribution plus ou moins arbitraires de la part d'administrations opaques.
Moyens d'action
Une autre contrainte actuelle est la nécessité de construire pour le long terme des immeubles modernes économes en énergie. Un surcoût d'une vingtaine de pour cent à la construction permet d'économiser jusqu'à 50% de consommation énergétique sur des dizaines d'années. On peut toujours dire que ce surcoût pourrait être financé pour les logements sociaux, mais cela signifierait forcément autant de logement en moins, et susciterait les jalousies mentionnées. La stratégie correcte consiste à faire payer aux riches ce qu'ils consomment en participant progressivement à l'amélioration globale.
La seule excuse des partisans des logements sociaux réside dans le fait que l'État et les collectivités locales ou régionales ne peuvent théoriquement pas intervenir sur le marché privé. Dans la pratique cependant, une action est possible avec les prêts aidés, les subventions à certains équipements, les exonérations d'impôts (à supposer que ce soit légitime, ce qui est fort douteux). Il serait sans doute plus pertinent de remplir correctement les missions normales des collectivités concernant le logement, comme la construction de cités universitaires qui libérerait les appartements correspondants et atténuerait la pression sur les marchés, spécialement pour les studios rendus disponibles pour des célibataires sans-logis.
Prétendre qu'il n'existe pas de solutions est comme on le voit d'autant plus faux que même dans l'urgence, pour le relogement des rescapés des incendies, il suffit d'affecter à l'achat de logements les aides destinées au relogement d'urgence au lieu d'entretenir des marchands de sommeil avec des fonds publics. Cette prise en charge coûte des sommes folles (jusqu'à 2200 € par mois), pour loger dans de mauvaises conditions des familles dont la plupart peuvent payer un loyer raisonnable. Ne pas mieux utiliser ces moyens pourrait faire suspecter des manoeuvres frauduleuses à de mauvais esprits. Il est d'autant plus contradictoire de prétendre qu'il n'existe pas de logement disponible qu'on envisage régulièrement des réquisitions de logements vides dont il suffirait d'acquérir une partie pour traiter les cas les plus critiques, et pour constituer un stock tampon suffisant en attendant les effets des constructions.
Pour ces projets de construction de logements de qualité, le domaine foncier de l'État ou des collectivités locales pourrait être utilisé dans le cadre de grands travaux qui sont nécessaires dans ce secteur depuis longtemps. Le financement peut provenir de la vente d'une partie du parc de logements sociaux existant ou ceux qui seraient construits à mesure. On ne peut pas justifier une action de grande envergure par un prétexte comme les jeux olympiques pour prétendre ensuite avoir les mains liées en se rejetant mutuellement la responsabilité. D'autant que cette stratégie de construction de logements de qualité ne présente pas les risques et les nuisances d'opérations aléatoires et temporaires comme des manifestations sportives. Ceux qui ne décideront pas d'agir dans ce genre de direction n'auront pas d'excuse. Et ils pourront en être comptables rapidement dans la mesure où le temps de l'impunité des politiques est révolu.
Jacques Bolo
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