L'extrême-droite française a forgé ce concept de droit-de-l'hommisme pour discréditer la tendance actuelle à considérer que ces droits s'appliquent enfin à l'ensemble de l'humanité. Car il faut bien dire qu'au cours des XIXe et XXe siècles les droits de l'homme avaient une extension plutôt censitaire ou ségrégative, correspondant précisément au fond de l'idéologie inégalitaire d'une société organisée en castes ou en ordres sur le modèle de l'ancien régime. Il existe encore de nombreux endroits où cette pratique existe, mais dans les pays développés, les citoyens estiment de plus en plus qu'ils bénéficient des mêmes droits que l'élite (même si c'est loin d'être le cas en réalité).
Est-ce cette influence de l'extrême-droite, une nouvelle mode s'est installée qui croit peut-être nuancer cette idéologie réactionnaire en précisant doctement qu'« il n'existe pas de droits sans devoirs », ce qui marche bien avec le public captif (et soumis à l'arbitraire) du système scolaire par exemple. Sans doute ceux qui pontifient ainsi veulent-ils manifester leur prise en compte de certaines contraintes inhérentes à la vie sociale ? Mais, plus probablement, manifestent-ils bien parfois une sorte de contrition personnelle pour ne pas les avoir prises en compte auparavant, quand ils étaient de jeunes cons qui méprisaient les vieux cons réactionnaires qui leur rappelaient les devoirs en question. Mais comme dit la chanson (Brassens) : « Le temps ne fait rien à l'affaire, quand on est con, on est con ». L'autre hypothèse est en effet qu'ils se trompent aujourd'hui comme ils se trompaient hier. Assez banalement, en vieillissant, on devient réactionnaire à son tour. L'imposture en la matière consiste à se prétendre républicain ou pédagogue en détournant les fondements de la république au profit d'une caste autoritaire, ce qui constitue une régression.
Car un précédent existe. Il ne date pas d'hier, et devrait être connu de certains qui, prétendant connaître la chanson, ne connaissent que le refrain (et les deux premiers couplets). En effet, les paroles de l'Internationale (Eugène Pottier, 1871) contiennent un troisième couplet intéressant pour notre propos :
« L'état comprime et la loi triche
L'impôt saigne le malheureux
Nul devoir ne s'impose au riche
Le droit du pauvre est un mot creux
C'est assez languir en tutelle
L'égalité veut d'autres lois
Pas de droits sans devoirs dit-elle
Egaux, pas de devoirs sans droits »
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La messe est dite. A ce stade, au minimum, les deux propositions seraient équivalentes et simultanées, si on manifestait un sens de la conciliation. Mais plus vraisemblablement, ce serait quand même la reconnaissance de droits qui conditionne les devoirs. Sinon, il s'agit simplement de contraintes imposées par la force, qui correspondent quand même à la réalité sociale pré-démocratique, même si ces contraintes n'étaient pas forcément illégitimes précédemment en cela qu'elles étaient fonctionnelles (comme les impôts). L'illégitimité repose comme toujours essentiellement sur le monopole et l'arbitraire de l'autorité et sur l'inégalité de ces droits.
Mais ce n'est pas encore assez. Puisque, on le voit, les leçons de l'histoire sont oubliées, ou que tout semble à refaire à chaque génération. Une autre considération indulgente face à la persistance dans l'erreur permet de penser que la représentation de la question est incomplète, sa compréhension instable précipitant régulièrement dans l'erreur (ici selon un critère d'âge). Une nouvelle hypothèse consiste donc à proposer que les droits de la personne sont inconditionnels. Il n'est pas question de limiter les droits par des devoirs pour la bonne raison que l'absence d'accomplissement de ces devoirs n'annule pas ces droits.
Le droit-de-l'hommisme consiste ainsi à considérer que l'inconditionalité des droits de l'homme, ceux par exemple de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, s'appliquent aux pays signataires. Il faudrait en conséquence modifier les textes ou les pratiques qui ne les respectent pas. Une mesure simple consisterait à supprimer la possibilité de privation de droits civiques pour un condamné. Une situation comme celle des prisonniers militaires afghans de la base américaine de Guantanamo ne devrait pas être acceptée non plus. Ces pratiques se différencient de celles qui portent atteinte traditionnellement aux droits de la personne en cela qu'elles argumentent qu'on doit respecter certaines règles pour mériter le respect de ses propres droits.
Mais après tout, cette conception rectifiée relève simplement de la prise en compte du seul premier article de la Déclaration, « les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droit », qui ne fait reposer ces droits que sur le simple fait de naître et non sur une quelconque autre condition.
Jacques Bolo
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