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Europe 3.6.2005

Non à l'Europe ? ou Non à la politique ?

Le non au référendum du Traité constitutionnel du 29 mai 2005 a été interprété assez généralement comme un « non populaire ». Bizarrement, il semble être devenu soudainement beaucoup plus unitaire ! Cette attitude est compréhensible du côté des clans des partisans du non, qui peuvent ainsi se prévaloir chacun de la totalité des votes. Il n'est tout à coup plus question d'un non de droite et d'un non de gauche, social ou souverainiste. C'est de bonne guerre.

En fait, le débat était simplement biaisé depuis le début. Dans la mesure où il n'était pas possible de renégocier le traité, qu'il n'y avait pas de plan B, il s'agissait d'une simple ratification qui aurait dû avoir lieu devant le congrès. D'ailleurs, les partis représentés dans les deux chambres, et qui étaient ceux qui avaient négocié le texte au parlement européen, étaient d'accord à plus des deux tiers – ce qui est bien le moins pour un texte à valeur constitutionnelle. Faire un référendum apparaissait alors comme un simple plébiscite, ce qui a contribué un oppositionnisme de rigueur, spécialement quand les commentateurs anticipaient ce joli coup de Chirac quelques mois avant les élections. Il n'est donc pas seul à bénéficier d'une impunité statutaire, ni à changer d'avis au gré des circonstances.

Bref, quand le non ne concernait que 30 à 40% des électeurs, il pouvait être considéré comme un vote d'humeur ou souverainiste marginal. Mais à 55%, « le message a été entendu », même du côté des partisans du oui. Tout d'un coup, ceux qui étaient plus ou moins considérés comme des imbéciles sont devenus porteur d'une sorte d'inquiétude respectable, le peuple résistant aux élites (cosmopolites ?) et à la pensée unique (néanmoins minoritaire !). Finalement, il semblerait donc maintenant que la majorité ait juridiquement raison, contrairement au rappel d'Emmanuelli concernant le vote des pleins pouvoirs à Pétain.

La politique consiste de toute façon en la capacité à constituer des coalitions. Le fait que cette coalition soit constituée bizarrement d'une extrême gauche et d'une extrême droite (à plus de 90% de leurs électeurs respectifs), et d'insatisfactions catégorielles ponctuelles (ouvriers délocalisés, voire ostréiculteurs subissant une interdiction de mise sur le marché pour cause de pollution), ou quand même liées à l'Europe (restaurateurs réclamant la baisse de la TVA refusée par Bruxelles, ou paysans craignant la baisse des subventions), n'a pas une grande importance. Cela constituerait plutôt une curiosité, si ce n'était un révélateur des motivations électorales ou corporatistes en général, ou un signe de la fin de l'opposition droite/gauche comme seul critère.

La question de savoir si ce non peut constituer une future majorité peut trouver sa réponse moins dans l'union des élites partisanes du non que dans sa thématique, souverainiste, en tout état de cause. Qu'il s'agisse en effet de résistance aux délocalisations ou à l'immigration (ou à la Turquie), c'est bien d'un repliement sur soi (ou sur une Europe réduite à une copie de soi) qu'il s'agit. L'idée latente de racisme est marginale par rapport au protectionnisme qui est la seule réalité pragmatique du refus du libéralisme. Alors que l'Europe n'a toujours été jusqu'ici qu'un grand marché commun, puis marché unique.

Quant à l'opposition des extrêmes (gauche et droite) contre l'idée de "bonnet blanc, blanc bonnet" identifiée à la coalition (gauche et droite) du oui, le fond de cette conception correspond simplement au refus du réalisme et du réformisme propre aux partis de gouvernement. C'est une tradition des partis communistes (années 1930 et 1980) et même des partis socialistes (opposition au Cartel des gauches) de refuser de se compromettre dans la gestion de la société bourgeoise. Et à l'extrême droite, la scission du MNR a justement porté sur la volonté de participation. En fait, la fin des idéologies a laissé orphelins ceux qui préféraient l'affrontement gauche/droite pur et dur, rebaptisé "retour du débat politique" après le référendum. Les différences (factices donc) des partisans du non sont le symétrique idéologique de celles des partisans du oui. Dans le monde réel, elles correspondent simplement au fait qu'une alternance entre la droite et la gauche de gouvernement est préférable à celle entre l'extrême gauche et l'extrême droite (Hitler et Staline dans les années 1930-1940, FN-MNR-Souverainistes et PC-LCR-LO-Attac en 2005).

Ce « non à cette Europe » est surtout un non à la participation politique. Ce référendum a peut-être simplement donné l'occasion de comptabiliser enfin les abstentionnistes.


Jacques Bolo


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