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Politique - Septembre 2018

Benoît Hamon populiste

Résumé

Avec les politiciens, il faut toujours s'attendre au pire. On n'est jamais déçu.

Dans une interview au Nouvel Obs du 9 septembre 2018 par Cécile Amar et Julien Martin, Benoît Hamon cède à la mode populiste en déclarant entre autres : « Macron incarne les élites décadentes et obsolètes », qui donne le titre de l'article. Hamon a quitté le Parti socialiste pour fonder Génération.s. Dans cette interview, il se réjouit de la démission du ministre de l'Écologie, Nicolas Hulot, dans une perspective « d'un mouvement européen écologiste et social » qu'il conçoit comme uniquement de gauche, considérant que « des écologistes partout, c'est l'écologie nulle part. » Présomptueuse tentative d'OPA : l'écologie politique existe depuis 1970 environ, avec la candidature de l'agronome René Dumont à l'élection présidentielle en 1974 entre autres. Si la gauche avait voulu être écologique, elle aurait pu l'être depuis très longtemps.

Concrètement, pendant plus de quarante ans, la gauche a fait une réputation de bobos aux écolos au nom du populo. C'est cette représentation qui est devenue la norme adoptée par la droite et l'extrême droite, alors que les militants écologistes français sont majoritairement originaires de l'extrême gauche. Eux-mêmes se sont reconvertis sur le même principe de l'OPA dans les années 1980. Le courant apolitique parmi les écologistes était souvent issu des défenseurs des animaux et des non-violents plus ou moins hippies. Mais historiquement, les écologistes français ont surtout été des antinucléaires.

Hamon attaque particulièrement Macron qu'il considère comme un libéral à la solde des lobbies industriels, en négligeant d'ailleurs le rôle central du lobby nucléaire sous tous les gouvernements de gauche et de droite. En fait, Hamon exagère simplement ici l'épisode de l'arbitrage de Macron en faveur du lobby des chasseurs qui a causé la démission de Hulot. C'est assez typique. Les politiques, écolos ou de gauche, ont tendance à généraliser et à tout considérer comme des symboles. Cette idée même de lobby est très naïve dans sa grande banalité et donne en permanence un arrière-goût complotiste à la politique. Par définition, les arbitrages sont forcément des décisions résultant de la prise en compte d'intérêts divergents et souvent contradictoires, ne serait-ce qu'au niveau budgétaire. C'est vrai au niveau national ou individuel tant pour les petites que pour les grandes décisions. L'idée contraire consiste à ne pas admettre les intérêts d'autrui ou à vouloir le beurre et l'argent du beurre.

Hamon critique également le « discours antimigrants au prétexte de se réapproprier le vote des classes populaires », ce qui l'honore d'autant plus qu'une partie de la gauche et de l'extrême-gauche cède à ce discours populiste, comme il le note très justement. Mais c'est contradictoire avec l'antilibéralisme ou l'antimondialisme dont il se réclame. On doit savoir ou reconnaître que le discours antilibéral et anticosmopolite est un classique du populisme rance d'extrême-droite. Parler « d'élites décadentes sur le plan moral et obsolètes sur le plan économique » est aussi, en d'autres termes, la rengaine permanente de la gauche du fait qu'elle se réclamait jadis du « socialisme scientifique », considéré alors comme le nec plus ultra de la théorie. C'était donc contradictoire, puisque le socialisme était tout aussi mondialiste et planificateur (trait commun avec les technocrates d'alors). Mais, avec ses « élites décadentes », Hamon adopte bien littéralement le discours d'extrême-droite classique qui montrerait la décadence de la gauche si on pouvait encore attendre quelque chose d'elle. C'est un discours mensonger, par définition, pour tous ceux qui le tiennent : si on ne veut pas être décadent, il faut innover soi-même.

Pour feindre de se démarquer du fascisme qu'il redoute, Hamon remplace simplement la systématicité marxiste de la dictature du prolétariat par un catalogue de promesses très incertaines : « le revenu universel, la transition écologique, une France zéro carbone en 2050, la taxe robot, la reconnaissance du burn-out, la santé environnementale ». Son argument de la nécessité du niveau européen pour les réaliser (pourquoi l'Europe et non le Monde) est d'autant plus nébuleux qu'Hamon constate lui-même la montée généralisée des populismes un peu partout en Europe, dont certains sont arrivés au pouvoir (en Italie, Hongrie, Pologne).

Contrairement à l'idée d'élites décadentes, le cas Macron, qui faisait d'ailleurs partie de l'équipe du PS, peut s'analyser banalement comme quelqu'un qui en a eu marre de la surenchère style « plus à gauche que moi tu meurs » qui structure la gauche. Il a choisi un discours effectivement plus libéral, quoique étatiste et directif (ce qui est contradictoire !), parce qu'en France l'offre de contenus programmatiques et celle de personnel politique est très limitée, d'autant plus que les macronistes ont éliminé la concurrence. Le défaut de Macron serait plutôt qu'il est très optimiste en pensant pouvoir faire mieux que les autres, mais c'est le discours de gauche pour le contredire qui est complètement obsolète, du fait que la gauche a sélectionné seulement la compétence à servir les rengaines habituelles.

Macron correspond plutôt au discours saint-simonien français traditionnel. On peut certes parler d'élitisme, mais ce volontarisme technocratique s'oppose aux aristocrates traditionalistes qui sont les vrais porteurs des critiques de la décadence dans un but réactionnaire antirépublicain et antiparlementaire. La gauche a malheureusement tendance à les rejoindre dans l'immobilisme au nom de la défense des acquis sociaux, parce que son modèle date de l'époque du plein-emploi et qu'elle a négligé les chômeurs depuis les années 1990. L'inconvénient logique de la « défense des travailleurs » est qu'on néglige ceux qui ne le sont pas (jeunes, chômeurs, pré-retraités). Mais côté Macron, il ne suffit pas d'être volontariste sur le même mode de la doxa de gauche ou de droite de l'époque des Trente glorieuses, actualisée par le marketing des années 2000. L'idée pragmatique est bonne, mais encore faut-il être efficace et, pour cela, il faut que l'intendance puisse suivre. J'ai déjà rappelé que le sociologue Michel Crozier avait pointé la capacité des résistances bureaucratique et sociétale à torpiller le réformisme par la résistance passive.

Quand on joue beaucoup la comm, il faut s'attendre à ce que les opposants fassent de même. Les politiques sont des professionnels du débinage. Ce que dit Hamon sur les élites est de la démagogie pure dont la seule fonction est de discréditer l'adversaire. C'est la seule chose qu'on apprend à gauche depuis très longtemps. Cette fois, il cède au populisme à la mode qui fédère des mécontentements hétéroclites en mettant tout sur le dos des « zélites ». C'est devenu une vraie difficulté pour les gouvernements en place, du fait que les médias actuels font dans la surenchère sur les scandales et les ragots et qu'il n'y a donc pas de relais pour les trucs intéressants. Le résultat est ici que tout le monde joue à savonner la planche de Macron, avec comme résultat de scier la branche sur laquelle tout le monde est assis !

Au cours de l'interview de Hamon, outre cette démagogie décevante de sa part, sa critique des autres tendances de gauche (France insoumise, les communistes, EELV, le PS) se réduit à exiger qu'ils se soumettent à sa propre tendance sous son autorité. C'est exactement ce que font les autres (tout en disant le contraire). Comme j'ai eu l'occasion de le dire souvent, la gauche a gardé ses mauvaises habitudes organisationnelles staliniennes et ne sait pas discuter ni respecter les minorités : les différentes tendances internes doivent se rallier à la motion majoritaire et faire comme si elles n'existaient pas. C'est encore plus difficile maintenant que les partis ont éclaté (on peut envisager que les leaders se détestent toujours autant).

Au final, on peut dire que la fin du parlementarisme classique de la Troisième et de la Quatrième République a été une erreur dont la France ne se remet pas. Le marchandage qui avait cours était critiqué par les réactionnaires comme une décadence républicaine. Mais les choses étaient plus claires et les tribuns d'alors avaient un peu plus d'envergure. C'est encore pire de faire semblant d'être d'accord quand on marchande en catimini. C'est normal pour la gauche, qui refuse les « réalités du marché », d'en subir les conséquences.

Le problème des élites actuelles (partout dans le monde) est simple. La parole officielle sur le mode langue de bois n'est plus prise au sérieux. Comme le disait Anatole France, dans Les Opinions de Jérôme Coignard, cela consiste  : « à parler pour ne rien dire, et les moins sots [...] seront condamnés à mentir plus que les autres. En sorte que les plus intelligents deviendront les plus méprisables » (p. 108). Il y a une demande de sincérité des comptes (spécialement pour ceux qui parlent de déficits publics). Les gens sont instruits aujourd'hui[1] et ce sont les plus instruits qui ont voté pour Macron. Les autres politiciens, pourtant élites eux aussi, sont obligés de jouer la connerie sur le mode dévoilé par Georges Frêche. Tout tourne à vide quand on est obligé à jouer à plus con qu'on est pour parler de politique. La solution est donc simple pour le gouvernement : mettre en place la méthode qui consiste à savoir rendre des comptes, celle des syndics de copropriété dont Macron, sous l'influence de récit national directif de la Ve République, ne voulait pas entendre parler.

Jacques Bolo

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Notes

1. Je rappelle encore et toujours que le niveau scolaire était un flux annuel de 1 % de bacheliers en 1900, 3 % en 1936, 10 % dans les années 60, et 70 % au début du XXIe siècle. [Retour]

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