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Médias - Mai 2018

Tireurs fous et Rituels nases

Résumé

Une nouvelle fusillade aux USA a suscité les mêmes commentaires rituels. C'est lassant.

Un nouveau cas de fusillade à Santa Fe au Texas a fait dix tués et treize blessés dans le lycée où était scolarisé le tireur présumé, un adolescent de 17 ans, Dimitrios Pagourtzis. Bien qu'il ait joué pour l'équipe de football américain du lycée, il semble cette fois qu'il ait été harcelé par l'entraîneur. Son père a déclaré, selon le Time, qu'il était une victime : "Something must have happened now, this last week." [Il a dû se passer quelque chose cette semaine].

Comme d'habitude, on a entendu immédiatement une accusation contre les armes (qui appartenaient au père du jeune homme) et contre la NRA (National Riffle Association) qui défend la détention et le port d'arme au nom du deuxième amendement de la Constitution américaine. Au passage, cet amendement (« A well regulated militia, being necessary to the security of a free State, the right of the people to keep and bear arms shall not be infringed » [une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un état libre, le droit de détenir et de porter les armes ne sera pas transgressé]) signifie plutôt que les citoyens peuvent participer à la défense nationale sous forme d'une milice (contrairement aux armées de mercenaires des souverains de l'époque). Et s'il est vrai que l'utilisation généralisée des armes peut inciter à leur utilisation, cet argument me paraît un peu plaqué, ne serait-ce que parce qu'il revient systématiquement comme unique cause.

Par principe, il faudrait prendre la peine d'étudier chaque cas particulier avant de conclure automatiquement que « c'est la faute de la NRA ». A priori, d'ailleurs, ces fusillades relèveraient plutôt de phénomènes d'imitations, comme pour les suicides d'adolescents et, effectivement du fait de la grande quantité d'armes aux États-Unis, le processus s'entretiendrait de lui-même. De plus, s'agissant de comportements extrêmes qui peuvent être considérés comme des actes de déséquilibrés, il peut s'agir d'une forme de moyens d'expression pathologiques de dépressifs. Le problème de la détention d'arme réside simplement dans la disponibilité de produits dangereux pour des gens fragiles. La question s'était posée au début d'Internet sur les pages qui décrivaient la fabrication d'explosifs. On doit toujours pouvoir les trouver en ligne, mais elles n'ont pas déclenché d'épidémies de passage à l'acte.

Puisque la question se pose ces derniers temps, on pourrait distinguer les actes qui relèvent d'un trouble personnel des actes intentionnels de terrorisme qui visent une cible idéologique. L'identité du mode opératoire peut entretenir la confusion. Certes, il serait aussi possible de considérer le terrorisme comme un trouble psychologique. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit surtout d'un acte qui se porte contre autrui (extra-punitif) plutôt que contre soi-même (intro-punitif). Ce point est intéressant puisque l'idéologie américaine est plutôt de se considérer soi-même comme responsable de ses problèmes au lieu d'accuser les autres. Selon cette optique, on peut penser que la fréquence même de ces fusillades, terroristes ou pathologiques, contredit cet idéal de soi américain.

On pourrait aussi considérer que les médias sont davantage responsables que les vendeurs d'armes. Le phénomène d'imitation est bien issu du compte-rendu de ces fusillades par les médias, d'autant plus que les médias américains exploitent cyniquement le principe « If it bleeds, it leads » [si ça saigne, ça cartonne].

Le problème soulevé à l'occasion de ces fusillades semble être exclusivement la violence, qui rappelle le terrorisme, et concerne donc les armes à feu utilisées. Mais l'agresseur tient habituellement un discours de légitime défense ou de vengeance, souvent autodestructrice au final. Bizarrement, à l'époque de la lutte contre le harcèlement, de #balancetonporc et de #metoo, personne ne semble trouver normal de réagir violemment à une situation d'agressions répétées.

Au contraire, il semble que dans le milieu scolaire américain, on tolère les pratiques de harcèlement ou qu'on pratique l'omerta. Cette tolérance vient de changer pour l'Église et pour le harcèlement sexuel, mais elle persiste donc à l'école, dans l'armée ou dans les violences policières qui sont régulièrement dénoncées, mais rarement sanctionnées. Concrètement, seuls les college movies au cinéma semblent traiter le problème du harcèlement à l'école, en lui apportant une consolation idéalisée ou les méchants sont toujours punis, avec l'exception d'Elephant (2003), de Gus Van Sant, qui décrit précisément la fusillade du lycée Columbine (1999). On a dit à son propos que le titre Elephant, assez surprenant, exprime l'idée d'une évidence massive. Mais le film ne me paraît pas très convaincant. On peut constater en tout cas qu'il n'a eu aucune efficacité si son but était d'empêcher que cela se reproduise. Comme pour la presse, les fictions peuvent plutôt avoir l'effet contraire de susciter l'imitation.

Quoi qu'il en soit, au lieu de déclencher un réflexe journalistique conditionné anti-NRA chaque fois qu'une fusillade se produit, il faudrait vraiment étudier davantage chaque cas en tant que tel pour voir précisément de quelle catégorie il relève si on veut pouvoir tenter de lui apporter une réponse préventive adaptée. Cela devrait permettre de faire des statistiques détaillées sur les causes de passage à l'acte. Les Américains ont dû certainement produire des études de ce genre. Les médias européens devraient commencer à faire sérieusement leur travail d'information et de sélection des intervenants pertinents plutôt que jouer sur les émotions par des marronniers sensationnalistes faciles pour servir la soupe aux politiciens doloristes ou démagos.

Jacques Bolo

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