Sur le même mode de compréhension biaisée que l'affaire Macron-Mélenchon ce mois-ci, une conférence de Poutine, où il parlait d'intelligence artificielle, a donné lieu à une débauche de désinformation digne de la nouvelle guerre froide qui a cours en ce moment dès qu'il s'agit de la Russie. Si on parle de fake news à propos de Trump et de la Russie, justement, on peut vérifier que les médias français n'ont rien à leur envier quand ils titrent :
« Vladimir Poutine voit dans l'intelligence artificielle un moyen de dominer le monde » (Numérama)
« Poutine pense dominer le monde en maîtrisant l'intelligence artificielle » (Sciences et avenir)
Bon, le premier a une ambiguïté faux cul qui peut prétendre se dédouaner, mais le second y va franco, auréolé de toute sa science. Les médias sociaux font le buzz. La pub rentre. Tout baigne !
Vladimir Poutine avait simplement répondu à une question du public en disant que « celui qui deviendra leader dans ce domaine sera le maître du monde », ce qui est très différent. D'autant qu'il avait ajouté « Et il est indésirable que ce monopole soit concentré dans des mains précises » (ce qui est un peu mal dit ou mal traduit). Le passage de l'interview est disponible sur Youtube avec la traduction :
« L'intelligence artificielle est l'avenir non seulement de la Russie, mais de toute l'humanité. Les possibilités sont colossales et les menaces sont difficiles à évaluer aujourd'hui. Celui qui deviendra leader dans ce domaine sera le maître du monde. Et il est indésirable que ce monopole soit concentré dans des mains précises. Pour cette raison, si nous sommes leaders dans ce domaine, nous partagerons cette technologie avec le monde entier, comme nous le faisons déjà avec les technologies atomiques et nucléaires. Mais pour ne pas être les derniers en ligne, il faut y travailler dès aujourd'hui »
Outre le côté préparé des questions à un chef d'État qui n'est pas forcément spécialiste des questions qu'on lui pose, cette réponse est une bonne synthèse des incertitudes actuelles. Elle ne concerne pas vraiment la Russie, qui n'est pas spécialement en pointe dans la recherche en intelligence artificielle, comme la dernière phrase l'indique. D'ailleurs, les travaux dans ce domaine ne relèvent généralement pas de la compétence des états en tant que tels, mais plutôt d'entreprises privées qui constituent des monopoles, précisément comme Google à qui appartient Youtube où l'on trouve cette interview.
Il n'en demeure pas moins que la falsification est totale quant au contenu de l'interview de Poutine de la part de certains médias et sur les réseaux sociaux qui s'en sont donnés à coeur joie. Comme pour l'affaire Macron/Mélenchon, la question se pose de savoir si certains ne comprennent pas ou n'écoutent pas vraiment ce que les gens disent, en procédant au mieux par association d'idées, style : « Poutine/maître du monde ». Mais on se demande quand même pourquoi, surtout dans ce domaine ! Car ceux qui répètent sans vérifier pourraient s'interroger sur la cohérence de ce qu'ils répercutent sur le sujet. Il est vrai que l'IA suscite cette sorte de fantasme de puissance.
Une chose est certaine, d'après ce constat, c'est que l'intelligence humaine n'est certainement pas ce que l'intelligence artificielle va devoir imiter pour avoir un quelconque intérêt autre qu'humoristique. Dans les années 1980, au cours d'un stage informatique, j'avais proposé l'idée d'une telle machine à produire automatiquement des conneries. C'est peut-être de ça qu'on veut parler quand on dit que l'IA ne dépassera jamais l'être humain ?
Jacques Bolo
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