Les primaires de la droite se sont achevées par la victoire de l'outsider François Fillon en éliminant les deux favoris, l'ancien président Nicolas Sarkozy et l'ancien Premier ministre de Chirac, Alain Juppé, actuel maire de Bordeaux. On ne peut pas vraiment dire que les électeurs de ces primaires ont choisi de renouveler le personnel politique. On pourrait comprendre l'élimination de Juppé qui était un peu âgé (71 ans) et il aurait plutôt dû se présenter la fois précédente. Sarkozy agaçait en prétendant encore avoir changé tout en refaisant son numéro habituel. Mais Fillon a été son Premier ministre pendant cinq ans et il propose bien une forme de continuité. C'est bien ce qui a été choisi. Il ne faut pas se faire trop d'illusion sur la volonté de renouvellement.
Plus généralement, les commentateurs (qui se sont trompés) ont un peu trop tendance à finir par s'auto-persuader de leurs analyses médiatiques, d'ailleurs fondées sur de fausses confidences des politiques eux-mêmes, entre plan de comm' et méthode Coué. Et ça se termine par une biographie de politicien par un journaliste. Le discrédit des élites découle plus d'une impression permanente de déjà-vu que de leur collusion.
La spécificité de ces primaires de droite a surtout consisté dans la forte éventualité d'une participation d'électeurs de gauche pour se débarrasser de Sarkozy au profit de Juppé. Cela a desservi Juppé au second tour, puisque Fillon a réussi à le faire passer pour un candidat trop à gauche, avec l'aide de ceux qui jouaient la carte de la droite décomplexée au premier tour (Copé ou Sarkozy lui-même). Mais le fait que Fillon arrive en tête n'était pas prévu. Et cela correspond sans doute à une image de gestionnaire sérieux qu'il a réussi à faire passer auprès des électeurs conservateurs.
Ce résultat inattendu laisse une drôle d'impression pour ces premières primaires de la droite française. On se demande d'ailleurs pourquoi Villepin ne s'y est pas présenté. Les autres doivent le tenir avec quelques casseroles encore fumantes. En fait, comme c'est parti, avec la gauche divisée, Fillon peut se considérer comme déjà élu. Cela ne devrait même plus être la peine de faire des élections s'il ne fallait pas respecter inutilement les procédures au seul bénéfice des commentateurs.
Car la vérité est bien là. La réalité des primaires, de la droite cette fois et de la gauche un peu plus tard (programmées tardivement pour favoriser la candidature du président sortant), correspond plutôt à la victoire des médias sur les partis. À force de parler de « grand oral de Sciences-po », les médias ont réussi à imposer ce mode de fonctionnement américain. « Medium is message » disait Mac Luhan. Le spectacle télévisuel permet aussi de booster les ventes de la presse.
Cette ultra-médiatisation a commencé à l'époque de l'augmentation du nombre de chaînes télés dans les années 80, et elle s'est poursuivie avec les chaînes d'infos. Les politiques se battent pour occuper le devant de la scène avec des « petites phrases » que les journalistes font semblant de déplorer en s'empressant de les diffuser. L'infotainment humoristique (dont les marionnettes des Guignols de l'info, si bien nommés) finit d'assurer le spectacle permanent en jetant de l'huile sur le feu. Internet n'a presque rien changé. Sa seule vraie différence est que les internautes participent. L'apport conceptuel d'Internet a été de populariser la notion de « troll ». Elle rappelle que les malveillances florentines sont inhérentes à la concurrence politique, pour ceux qui se feraient des illusions.
La réalité de tout système politique tend à devenir une machine à favoriser systématiquement les gens en place. L'échec classique de la démocratie réside dans l'oubli du principe du renouvellement des élites par celles qui en ont bénéficié. C'est évident dans les dictatures où les présidents élus refusent d'abandonner le pouvoir. Le présidentialisme de la Cinquième république ne consiste pas simplement à rétablir une sorte de monarchie symbolique, mais bien d'assurer le maintien en place par des artifices institutionnels.
La rengaine gaulliste de lutter contre l'instabilité par le rejet des partis, comme le répètent docilement les journalistes, a abouti à la sélection des candidats par les médias au lieu de favoriser la démocratie interne aux partis politiques. Le but politique n'est plus le débat négocié qui doit tendre vers un accord des interlocuteurs ou des factions, mais le spectacle qui exacerbe leur opposition. La notion de gauche d'une lutte des classes irréductible a contribué au renforcement de cette mise en scène des antagonismes. La dialectique intellectuelle (disputatio) est un artifice d'exposition qui annonçait bien la théâtralisation médiatique.
Jacques Bolo
|