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Conneries / Société - Mars 2015

Islamophobie (suite)

Résumé

Des mots, encore des mots, toujours des mots... (refrain)

Comme j'ai eu l'occasion de le dire, les intellectuels sont un peu optimistes en croyant qu'ils peuvent résoudre les problèmes avec des mots. Généralement, ils se contentent de s'engueuler avec des arguments plus ou moins faux culs. Au mieux, en faisant le tour de la question, au pire, en envenimant les choses. Ça ne va pas forcément mieux en le disant.

En janvier dernier, je parlais de « Ce qu'islamophobie veut dire » en limitant ce mot au racisme anti-musulman (une des raisons était que si on utilise cette expression, y a toujours un con qui balance : « l'islam n'est pas une race » ou « tous les musulmans ne sont pas arabes », comme si on ne le savait pas).

Je parle ici des faux débats causés par des mots. Pour illustrer ce problème, j'avais mentionné ailleurs ce cas que je considérais alors comme absurde :

« Je propose d'accuser d'antisémitisme tous les athées. En effet, les athées sont contre la religion. Le judaïsme est une religion. Donc les athées sont contre les juifs. Ceux qui sont contre les juifs sont antisémites. Donc les athées sont antisémites. »

J'étais optimiste. Les gens sont encore plus cons que je le croyais. L'argument pour se revendiquer de l'islamophobie, qu'on peut admettre comme blague sur ce modèle, est réellement assumé par certains sous le prétexte qu'ils sont athées et donc contre l'islam.

Mon précédent article répondait au romancier Olivier Rolin qui disait que le suffixe « phobie » signifie « peur » face au terrorisme islamique (comme agoraphobie, arachnophobie...). Question de mots. On peut répondre, comme le sociologue Marwan Mohammed, que le mot est construit sur le modèle du terme homophobie, xénophobie, qui ne signifie pas qu'on a peur des homos ni à la rigueur des étrangers. Ça signifie plutôt qu'on les déteste et qu'on le revendique.

Plus sérieusement, « islamophobie » ne signifie pas qu'on déteste la religion musulmane, mais ceux qui la professent, et généralement pas pour des questions théologiques. Un sondage récent demandait si le catholicisme, le judaïsme, l'islam, étaient compatibles avec la République, et pourquoi pas la laïcité, avec les réponses qu'on imagine. Cela signifie surtout que certains ignorent ce qu'est la République et la laïcité. Les bonnes enquêtes sociologiques utilisent des fausses questions pour masquer les vraies mesures. Il faudrait aussi que ceux qui se croient journalistes ou sociologues le sachent aussi pour ne pas faire de l'humour involontaire.

Se baser sur l'étymologie est un moyen de comprendre les mots qu'on ne connaît pas. Parfois ça marche, parfois pas. Il faut quand même vérifier l'usage. J'ai aussi dit que les musulmans qui utilisent « islamophobie », dans le même sens que les athées fanatiques, ont tort. Ils ont donc doublement tort s'ils critiquent Caroline Fourest quand elle dit que les mollahs iraniens ont introduit ce terme contre ceux qui critiquent l'islam, puisque c'est de cette même fausse définition qu'il s'agit. Outre que le mot devrait être traduit du persan, on a répondu à Fourest que le terme existait depuis l'époque de la colonisation. Ce n'est pas la réponse correcte. Le mot aurait pu changer de sens. Il faut plutôt comprendre qu'il n'y a pas d'athéisme spécial pour l'islam. C'est d'ailleurs ce que revendiquent Caroline Fourest elle-même ou la bande à Charlie dont elle a fait partie, ainsi que les athées qui ne sont pas des hypocrites. Comprendre le terme autrement que comme du racisme anti-musulman est donc une erreur. On appelle ça un barbarisme.

Ceux qui ont introduit « christianophobie » sur ce faux modèle (et qui sont d'ailleurs généralement des islamophobes racistes) ont aussi tort. L'islamophobie concerne ceux qui refusent la présence de musulmans en terres qu'ils considèrent comme chrétiennes. Le terme christianophobie concernerait la même chose en terres d'islam (ou bouddhistes, hindouistes ou confucéennes, comme ça peut être le cas) ou ceux qui sont contre la conversion au christianisme.

La question de la « tolérance religieuse » concerne le principe cujus regio ejus religio qui exige d'adopter la religion du prince (avec quelques exceptions comme à l'époque des juifs de cour). C'est ce contre quoi l'Édit de Nantes avait été adopté pour admettre le protestantisme et mettre fin aux guerres de religion, avant sa révocation par Louis XIV, puis le rétablissement de la tolérance par Louis XVI. L'émancipation des juifs par la Révolution a suivi, avant la loi de 1905 sur la laïcité.

Concernant l'islam, on remarquera que la politique de la République une et indivisible consistait dans les accommodements raisonnables du multiculturalisme à la canadienne pendant toute la période coloniale. Ces accommodements subsistent dans les départements d'Alsace-Lorraine toujours sous le régime du Concordat napoléonien ou dans certains départements ou territoires d'outre-mer.

On est bien dans une certaine souplesse linguistique quand on parle de République ou de laïcité. Ça signifie quelque chose comme : « ça marche comme ça, sauf quand ce n'est pas le cas ». Ce qui relève surtout d'un gros n'importe quoi de politicien qui embobine les électeurs avec de belles paroles. J'ai montré que c'est une tradition française avec le texte de Renan qui concerne aussi ce genre de sujet.

Jacques Bolo

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