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Sports - Juilet 2014

Football, jeu de hasard

Résumé

On s'énerve pour le foot, mais au fond, l'équipe gagnante a surtout beaucoup de chance.

Bien que la Coupe du monde de football 2014 ait confirmé l'adage selon lequel « à la fin, c'est l'Allemagne qui gagne » (Gary Lineker), on a pu aussi s'apercevoir que le hasard est, somme toute, primordial dans le jeu. D'abord, dans l'histoire, l'Allemagne n'a remporté que quatre coupes du monde. Il faudrait donc en déduire que les autres équipes nationales ont gagné au hasard les autres fois.

Quand on parle de hasard, on pense évidemment à l'épreuve finale des tirs au but, en cas d'égalité, après les prolongations. Ça s'est aussi produit pour cette édition, deux fois en huitième de finale (Brésil/Chili et Costa Rica/Grèce), une fois en quart de finale (Pays-Bas/Costa Rica), et une fois en demi-finale (Pays-Bas/Argentine). Mais ce n'est pas du hasard seulement pour ça. Dans le cours du jeu, on sait bien que le fait de marquer ou non dépend en partie de la chance, dans le tir lui-même ou dans l'arrêt du gardien. À la rigueur, on pourrait considérer que le but récompense statistiquement le nombre d'occasions ou de tirs cadrés. Mais tout le monde voit bien que ce n'est pas comme ça que ça marche.

De toute façon, tout le jeu dans son ensemble dépend d'un nombre infini de paramètres qui, pour éliminer l'importance du hasard, supposeraient une perfection totale, sans perte de balle dans les passes ou les dégagements. Ce n'est évidemment pas possible. On a approximativement cette situation idéale dans le handball ou le basket, du fait qu'il est plus difficile de perdre la balle quand on joue à la main. Chaque équipe monte plus ou moins à tour de rôle, et le résultat dépend de l'adresse finale devant le gardien pour le hand ou sous le panier pour le basket. Le nombre important de buts correspond mieux au niveau de l'équipe. La statistique joue par le nombre pour corriger le hasard.

Au football, la rareté des buts, renforcée par le jeu défensif, fait que le résultat s'apparente à la roulette russe. Tous les ans, dans les coupes nationales, des équipes réputées plus faibles, parfois de troisième division, éliminent des favoris. C'est vrai aussi dans la Coupe du monde. Cette année, l'Espagne, qui avait remporté la coupe 2010 en Afrique du sud et championne d'Europe 2012, n'a pas passé le premier tour, tout comme l'Italie, qui partait favorite ou l'Angleterre, toujours bien cotée. Mais pour toutes les équipes supposées de même niveau, le nombre de buts est très aléatoire. Chacune peut avoir beaucoup d'occasions et ne pas marquer, ou n'en avoir qu'une seule et gagner.

La véritable fonction du football est de servir de sujet de conversation. D'ailleurs, les chaînes de sport ou d'infos font du remplissage avec des débats entre spécialistes. Ils le sont effectivement, mais le principe de leurs discussions interminables est précisément fondé sur la vaine tentative de trouver une justification à ce hasard persistant malgré tout. La nouveauté relativement récente de l'omniprésence des statistiques a simplement remplacé la mauvaise foi chauvine du supporter. « Refaire le match » se réduit de plus en plus à se résigner à rationaliser la contingence de ses péripéties au lieu d'en contester le résultat, comme auparavant. On peut dire que la méthode progresse, mais elle s'applique à vide et bouffe du temps pour pas grand-chose.

Il est d'ailleurs possible que le rôle important de la psychologie et de la motivation s'explique par l'incapacité des joueurs à tolérer ces incertitudes. Le score ridicule du Brésil contre l'Allemagne en demi-finale de cette coupe du monde (1 à 7) peut simplement correspondre à un accablement superstitieux après un doublet, puis un triplet humiliants dès le début du match. Il est difficile d'admettre qu'à chaque but, tout recommence. Rien n'empêche de marquer quatre buts, ou d'en prendre quatre de plus. Ce qui est pourtant le cas. Et les plaisanteries à ce sujet en fin de match, quand ce n'est plus possible de rattraper le coup (surtout les sept buts), signifient au fond que c'est ça qu'il aurait fallu comprendre en début.

Une constante, les supporters semblent avoir du mal à comprendre que leur équipe favorite puisse perdre. Contrairement au championnat où le match nul est possible, le principe de la coupe est celui d'un jeu à somme nulle, avec un gagnant et un perdant. Théoriquement, en championnat, tout le monde pourrait finir à égalité, et les différences indiquent donc mieux les niveaux, puisque toutes les équipes se sont affrontées. Ce qui n'exclut quand même pas le hasard. Mais si tous les supporters pensent que leur équipe peut gagner alors qu'il ne peut y avoir qu'un seul gagnant, cela signifie bien que tous les supporters, sauf ceux d'une équipe, ont tort. Autre test de raisonnement. Souvent raté.

L'idée générale d'une compétition est bien d'évaluer un niveau. On pense qu'il correspond au mérite. Mais la tendance, en sport comme ailleurs, est de vouloir perpétuer un privilège alors même qu'on constate qu'une victoire est fugace et sans aucune garantie. Les achats de meilleurs joueurs pour les clubs riches tentent de fixer les résultats. Mais c'est souvent illusoire, en particulier du fait des blessures, pour le sport de haut niveau. Sur la durée, tous les clubs ont eu leur heure de gloire.

Au final, on n'a qu'un spectacle. Ce qui caractérise le foot, sur ce point, serait plutôt les fautes d'arbitrage, les tricheries (simulations, fautes diverses non repérées par l'arbitre) ou les violences sur le terrain. Seuls les matchs arrangés sont sûrs d'être gagnés. Ce qui pourrait être le destin de ce sport, temple de la professionnalisation et, tout simplement, du business. On se dit que c'est peut-être déjà le cas. Là, pas de hasard.

Jacques Bolo

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