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Conneries / Internet / Médias - Septembre 2013

Imposture de l'autodéfense

Résumé

Le fait divers de l'autodéfense réduit les politiciens au rôle de journalistes. D'où la confusion.

Le soutien manifesté sur Facebook (plus d'un million et demi de likes) au bijoutier de Nice qui a tué un cambrioleur qui s'enfuyait en moto, en lui tirant dans le dos, est très simple à expliquer. Il repose simplement sur la confusion entre « autodéfense » et« légitime défense ». Tout le reste en découle. Mais ce n'est pas la même chose.

D'ailleurs, le procureur n'a pas retenu la légitime défense, tout à fait normalement, en suscitant l'incompréhension hargneuse de ceux qui mélangent les deux. On peut toujours chicaner dans certains cas. Mais tirer sur quelqu'un qui s'enfuit n'est pas de la légitime défense. L'autodéfense consiste à faire justice soi même sans s'en remettre à la police. La légitime défense consiste à répondre de façon proportionnée à une menace directe.

Soutenir le bijoutier sur le thème de la légitime défense est une imposture. Ceux qui entretiennent la confusion en profitent généralement pour se justifier par le laxisme de la justice. Conjoncturellement, ils évoquent le projet actuel de réforme sur les alternatives à la prison. Mais cela ne concerne pas la délinquance de ce genre qui est sanctionnée plus sévèrement. Le délinquant récidiviste qui a été tué par le bijoutier avait surtout volé des motos auparavant. On peut discuter sur l'escalade, mais la définition actuelle de la légitime défense n'est pas en cause.

Le problème vient peut-être des nombreuses séries télé américaines, et de leurs (mauvaises) imitations locales, dont la particularité est la surenchère dans le spectaculaire avec la rengaine de l'indulgence de la justice. La question de cette influence se pose dès qu'on joue aux cow-boys ou à l'inspecteur Harry. On sait aussi que les Américains sont loin d'être laxistes, puisque les peines peuvent atteindre des centaines d'années de prison et que l'industrie carcérale est en plein boum. Mais les contradictions ne gênent pas les imbéciles.

Dans les débats qui ont suivi, et qui n'ont pas lieu d'être, un élu UMP (contrairement à certains de ses collègues) a justement précisé que l'autodéfense, dans les conditions de ce fait-divers, risquait surtout d'entraîner des victimes par balles perdues. D'où la justesse de la référence au Far West. L'élu en question, et d'autres, ont malheureusement cédé au lieu commun du risque de tuer des enfants, comme si tuer des adultes était acceptable. Ce genre de clichés biaisés ajoutent à la confusion.

L'affaire du million de soutiens du bijoutier sur la page Facebook a fait croire un instant à une manipulation. Un site avait annoncé qu'une majorité des soutiens provenait de l'étranger. Le journal Le Monde a rectifié. J'ai préféré personnellement le rappel du journaliste/blogueur Hugues Serraf qui a exhumé une chanson de Renaud qui parlait d'un semblable drame de l'autodéfense, avec la même autosatisfaction de ses partisans.

Outre l'aspect un peu « cliché de gauche » (laxiste, bobo, droit-de-l'hommiste, gaucho) de la chanson de Renaud, l'information importante était que ce n'est pas un phénomène nouveau. Ce n'est donc pas la peine d'invoquer la recrudescence de la délinquance sur ce point. On peut aussi se rappeler que la chanson de Brassens, La mauvaise réputation, qui date des années 50, se concluait sur un exemple analogue.

Le propre d'Internet n'est pas de créer l'événement, mais de le révéler. Ce que montre cet épisode Facebook est qu'il existe, chez certains, une conception de la société fondée sur la répression et l'autodéfense. Elle développe d'ailleurs une tendance complotiste qui considère même l'État comme complice des délinquants. C'est très curieux de constater qu'à l'inverse, l'extrême gauche considère l'État au service des patrons ou des nantis. Il faut donc en conclure que c'est bien l'impression que les institutions donnent à certains. Problèmes de socialisation.

En sociologie, l'erreur réside dans le fait qu'il ne faut pas sous-estimer la connerie. Le lynchage n'est pas justifiable et pourtant on constate bel et bien que des politiciens le justifient. On passe rapidement des conneries de l'autodéfense à l'autodéfense de la connerie. J'ai souvent parlé du problème de l'incompétence. Ceci en est un bon exemple.

Car la question de l'efficacité de la répression est déjà réglée depuis longtemps. Si la sévérité était efficace, il y a longtemps qu'il n'y aurait plus de délinquance puisque la peine de mort existait auparavant. Mais il est aussi démontré que l'excès de répression est contre-productif. Plus la justice est sévère, plus les délinquants sont violents pour échapper à la punition qu'on considère pourtant comme dissuasive. Le cas s'était produit en Angleterre dans le passé, quand le vol avait été puni de mort. Il faut tirer toutes les conséquences de l'idée que, si les peines sont impitoyables, les délinquants réfléchiront à deux fois avant de commettre un délit. Au contraire, s'ils risquent la mort, ils tuent. Les professionnels et les politiques devraient le savoir et le dire. C'est leur travail.

Ceux qui soutiennent la méthode du bijoutier, à commencer par ses collègues, prennent tout simplement le risque d'être tués par leurs futurs agresseurs.

Jacques Bolo

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