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Politique - Avril 2012

Présidentielles : un homme, des idées

Résumé

Les petits candidats à l'élection présidentielle 2012 entretiennent la mystification sur ce qu'est la politique. Robert de Jouvenel nous avait rappelé le fonctionnement réel du pouvoir. Les élus sont les représentants auprès du peuple des experts qui décident.

Protestation piège à cons

La présidentielle 2012 est tranchée, il n'y a que deux candidats, Sarkozy et Hollande. Les autres représentent l'état d'inconséquence de l'opinion. Ce qui est aussi une information intéressante. Le fait qu'un des deux candidats légitimes, voire le deux, puisse ne pas être au second tour confirmerait d'ailleurs l'état de déliquescence complète de la société française. On n'ose espérer une telle démonstration.

L'inanité des autres candidats se manifeste essentiellement par leur manque total de soutien crédible. Ils ne sont pas plus cons que les autres. Ce n'est absolument pas la question. Mais ils n'ont absolument aucune équipe politique sérieuse pour les soutenir. Jean-Luc Mélenchon a le PC et les intellos gauchistes ; Marine Le Pen, outre le FN, a Collard et Couteaux ; Bayrou a Sarnez et quelques égarés ; Eva Joly a les écolos. C'est-à-dire rien pour tous ces candidats, exactement comme les petits, Dupond-Aignan, Poutou, Arthaud, Cheminade.

Les challengers inutiles en sont d'ailleurs à dire qu'ils ne veulent pas de postes, ni se rallier. On se demande pourquoi ils se présentent. Pour protester ? Pour témoigner ? Contre quoi et pour quoi ? On imagine quelqu'un qui s'inscrirait à Pôle emploi et obtiendrait des entretiens d'embauche pour protester et témoigner contre le chômage ! Il ferait perdre son temps aux recruteurs et coûterait de l'argent aux entreprises sans changer la situation.

Ambitions déguisées

Même pour les petits candidats les plus crédibles, la situation peut se résumer à l'erreur qu'a fait Ségolène Royal en 2007 de ne pas utiliser le Parti socialiste, qui était pourtant disponible, même si la guerre des chefs et la primaire avaient laissé des traces. C'était à elle de le reprendre en main. En gros, elle a fait la campagne actuelle de Mélenchon. Ou, ce qui revient au même, Mélenchon fait la campagne de Royal.

Et on s'étonne de l'enthousiasme ? Il ne faut pas s'étonner. L'enthousiasme dans les petits partis est précisément l'équivalent de la guerre des chefs dans les grands. La proximité avec le petit candidat revient forcément à ambitionner des bonnes places par la suite. La politique consiste à dissimuler des ambitions derrière les grands mots. Et c'est précisément la raison pour laquelle les deux seuls véritables candidats sont Nicolas Sarkozy et François Hollande qui ont tout un appareil politique disponible. La question réelle est la redistribution régulière des cadres. L'existence des petits candidats correspond à l'impatience devant le manque de renouvellement, et sans doute la sclérose du système de promotions internes.

Oh, bien sûr, si un autre était élu, il trouverait immédiatement un grand nombre de bonnes volontés pour se mettre à son service. C'est d'ailleurs souhaitable et parfaitement légitime. Le problème est donc qu'on ne sait pas lesquelles et que ça pourrait être du n'importe quoi (bon, c'est déjà souvent le cas). Bayrou est le plus cohérent sur ce point qui envisage de piocher à droite et à gauche, au risque d'ailleurs de griller, auprès de leurs camarades, ceux dont il prononce les noms.

Du pouvoir

On a vu que Royal avait un peu trop pris au sérieux la rengaine gaulliste sur la présidentielle comme la rencontre d'un homme et de la nation. Simple imaginaire fasciste. La réalité du pouvoir est davantage dans l'administration comme l'avait montré Robert de Jouvenel (l'oncle de Bertrand).

« Administrer, c'est signer. Il n'y a pas encore une heure que le ministre a pris possession de son ministère, et déjà il voit surgir devant lui un fonctionnaire, qui lui tend une pièce, en lui montrant l'endroit où doit figurer son paraphe. Cette scène est symbolique. Le chef de bureau qui est là, respectueux et impératif, enseigne au ministre tout à la fois l'étendue de ses pouvoirs, et leurs limites.
Voici, lui dit-il par toute son attitude, un ordre que vous n'avez pas donné, il se réfère à des choses que, selon toute vraisemblance, vous ne connaissez pas. Nous l'avons conçu et rédigé avant vous, en dehors de vous ; vous pouvez tomber : nous l'exécuterons même après votre départ. Cependant nous avons besoin de votre signature et, sans elle, nous ne pouvons rien.
Et le ministre signe. Ainsi, il a connu en une minute toute la fierté qui s'attache au pouvoir et toute la modestie qui convient aux entreprises humaines. Il détient désormais une grande puissance - dont il est l'esclave.
Au début, le ministre essaie sans doute de savoir ce qu'il signe. Il voit alors les pièces s'amonceler sur son bureau, ses subordonnés s'affolent, les commandes sont en retard, les paiements deviennent irréguliers, les décisions restent en suspens, un immense désordre encombre toute l'administration dont il a la garde. Il faut qu'il renonce. »

Le pouvoir du président lui-même réside seulement dans sa capacité à bien s'entourer. Personne n'est omniscient. Les décisions à prendre relèvent de la compétence de spécialistes. Celles qui sont prises par un président relèvent de sa capacité à comprendre ce que ces spécialistes proposent, avec l'aide de son entourage immédiat. En général, le grand public ne connaît pas bien ce premier cercle. Quand un président se présente pour un second mandat, on en a davantage entendu parler. Avec Sarkozy, c'est même devenu la norme.

Les journalistes commencent à comprendre le truc. Même si ce n'est pas encore très clair pour Hollande, on commence à avoir quelques idées sur l'équipe, mais les think tanks de gauche sont encore en concurrence. On peut d'ailleurs limiter la candidature Mélenchon à la lutte entre les think tanks sociaux-démocrates et gauche-de-la-gauche, ou des intellectuels indépendants correspondants. Le pauvre Mélenchon est la marionnette de la tendance de gauche qui craint d'être éliminée par la mondialisation. C'est sans doute ainsi qu'il faut comprendre le livre récent de Mauduit sur les économistes libéraux à la solde du grand capital. En bref, si la gauche de la gauche n'est pas au pouvoir, ils n'auront plus de postes à l'université et ne seront plus invités dans les médias. Il ne leur restera plus que le parti de Cheminade, spécialisé dans la lutte contre la finance internationale. C'est peut-être lui qu'ils auraient dû soutenir...

Retour sur terre

Avec sa « présidence normale », Hollande promet aux gens en place qu'il ne va pas se mêler de tout. La limitation du cumul des mandats signifie aussi qu'il va y avoir des places qui vont se libérer. Il faut bien que les premiers fassent des concessions. Cette normalité est plutôt une bonne nouvelle. Il faut savoir décoder. Promettre le changement revient à promettre que rien ne change (selon la citation célèbre). Car le reproche de conservatisme envers la gauche est une arme à double tranchant de la part de Sarkozy. Le « conservatisme » était la version de droite de la « préservation des acquis » à gauche. Il faut savoir ce que ça signifie. L'idée de faire tout péter des petits candidats revient à scier la branche sur laquelle on est assis.

Le véritable problème de la politique, et de cette élection, est plutôt de donner une perspective à moyen terme (puisque tout keynésien sait qu'« à long terme, nous sommes tous morts »). Et comme c'est plutôt mal barré, il vaut mieux assurer un peu ses arrières. Je ne suis pas sûr qu'on puisse proposer de prendre des risques à des gens inquiets.

L'erreur de Sarkozy a plutôt été de céder à la mode actuelle du « management par le stress », qui provoque les suicides que l'on sait. Quand il nous parle de sécurité, ça fout la trouille. Il faut plutôt calmer le jeu. Le problème de toujours parler de « la crise » est qu'on voit ce qui va mal, au lieu de voir ce qui va bien et qu'on pourrait envisager d'imiter. Le discours en vigueur ces vingt dernières années, avec sa « préférence pour le chômage », son « travailler plus pour gagner plus » et la stigmatisation des immigrés, signifiait le chacun pour soi avec une prime au gagnant.

Certains, qui croyaient être des gagnants, se sont aperçus qu'au final, on était tous dans la même galère.

Jacques Bolo

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