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Politique - Avril 2012

La « gauche n'importe nawak »

Résumé

La gauche de la gauche contre les bobos nous la joue Georges Marchais contre les gauchos. On cherche toujours le plan B. La lutte des classes moyennes entre elles fait bien rire les riches et pleurer les pauvres. La politique est tout sauf industrielle.

Gauche de la gauche

Le succès actuel de Mélenchon laisse l'impression bizarre d'un retour vers les années gauchistes, celles des dix ans qui ont suivi Mai 68, jusqu'à l'échec (en sièges) de la gauche aux législatives de 1978 (malgré une majorité en voix). On suppose que cette déception est la vraie raison de « L'Union de la gauche » qui a permis la victoire de François Mitterrand à la présidentielle de 1981. Une des raisons de ce sentiment de déjà-vu est sans doute aussi que Jean-Luc Mélenchon imite De Gaulle tandis que Hollande imite Mitterrand. Ça fait drôle !

On se trouve plutôt dans la configuration de 1978 que celle de 1981, puisqu'il n'y a pas d'unité à gauche. Le centre gauche est même récupéré par Bayrou, qui l'attire plutôt à droite. D'ailleurs, le PS est considéré comme de droite par la gauche de la gauche. Dans ce cas, je ne vois pas où est le problème électoral, puisque la droite, plus l'extrême droite, plus le centre droit, plus le centre gauche, plus le PS (de droite) sont donc très majoritaires. Si la gauche se limite à Mélenchon, les quelques candidats gauchistes restants et les écolos gauchistes, qui sont donc tous divisés, même en obtenant 20 %, pourquoi pas ou 25 %, ça fait donc la droite à 75 %. Dans un autre article, j'avais montré que la gauche n'avait jamais été majoritaire en dehors de la décennie 80, et encore, de très peu. Tout le reste du temps, c'était plutôt 60/40 en faveur de la droite avec extrême droite. La stratégie gauche de la gauche de la gauche met la barre plus haut, c'est-à-dire plus bas ! On s'interroge sur la santé mentale de ses militants.

Référendum permanent

On sait de quoi on parle. Cette gauche de la gauche de la gauche nous rejoue la rengaine du référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005. « Ils ont voté et puis après ? » chantait Léo Ferré. Car il n'y avait pas de plan B. Tout le monde savait que le référendum était un plébiscite concocté par le président Chirac, qui s'est révélé tout aussi foireux que sa précédente dissolution de l'Assemblée. La majorité des citoyens a dit « non », moitié contre l'Europe qui incarne la « mondialisation libérale », moitié pour emmerder Chirac, qui avait droitisé sa politique, contrairement à ce qu'on attendait après son plébiscite, le vrai, contre Le Pen, pour la présidentielle de 2002. Mais en cas de « non », c'était l'ancien traité qui s'appliquait, tout aussi « libéral ». Cet argument pourtant valide était récusé par celui du plan B (qu'avait imprudemment avancé ce con de Delors !). Il faudra enregistrer un jour qu'il n'y en avait pas. Capito ! (Je fais un effort européen).

Pour la gauche de la gauche de la gauche, le vrai problème était l'opposition à l'Europe libérale, rejoignant l'extrême droite sur le rejet de « plombier polonais » (sur le mode du « je me comprends » dans le cas de l'extrême droite, et du « n'importe nawak » dans le cas de la gauche de la gauche). Cette gauche de la gauche de la gauche reprochait à la gauche « molle » ou « libérale » de « voter avec Giscard » (toujours les années 70), et ne se posait pas de problème de conscience d'avoir voté avec Le Pen. « On a gagné ! On a gagné ! » La victoire n'est pas regardante. « - Ce n'est pas Le Pen, c'est le peuple ! » Ouais !

La conséquence politique de ce déplacement des lignes est l'analyse actuelle en terme de représentation du peuple ou de la « classe ouvrière » par l'extrême droite, théorisée par la droite Soral-Zemmour. En étant indulgent, on peut les considérer comme orphelins de la période de la Guerre froide, où Staline représentait les travailleurs joués par Gabin au cinéma. Ces années 70, où Soral, Zemmour,... et moi, avons grandi, étaient sans doute les plus importantes du siècle. Ce fut l'époque charnière entre l'Ancien Monde qui n'en finissait pas de finir et le monde contemporain devenu réalité. Quand on fait référence au populo, c'est de cette époque qu'on parle.

La clé était la scolarisation (passant de 4 % à 15 % de bacheliers entre 1930 et 1970) qui offrait une promotion sociale qu'on croyait indéfinie. Mais une société où tout le monde est scolarisé (65 % de bacheliers) produit notre époque bobo que cette gauche de la gauche nationale déteste autant que le FN. Il faut se réveiller. On ne peut pas vraiment retourner en arrière. D'abord parce qu'on ne peut pas désapprendre ce qu'on sait, ensuite parce que le monde moderne se tertiarise, et qu'il faut acquérir un niveau de qualification supérieur si on ne veut pas être largué par les autres qui progressent vite et qui ne nous attendront pas. Et surtout, parce que les « Trente glorieuses » n'étaient pas si joyeuses que ça (guerres, dictatures, colonialisme...).

L'Europe d'en haut et la France d'en bas

La véritable « pensée unique » consiste à dire à longueur de médias : « c'est la faute à l'Europe », dans tous les camps. Les plus acerbes sont d'ailleurs des parlementaires européens. Au moins, pour une fois, ils savent de quoi ils parlent ! Le meilleur exemple de ce phénomène a d'ailleurs longtemps été les paysans que l'Europe gavait de subventions et qui étaient ceux qui la contestaient le plus. On en parle moins. Mais on incrimine l'Europe dans le cas de la crise grecque sur ce même principe...

On a inventé le souverainisme, parce qu'on ne comprend décidément pas le « principe de subsidiarité ». C'est trop compliqué de se dire que ce qui ne peut pas être traité à un niveau remonte au niveau supérieur. Il vaut mieux tout faire remonter au chef de l'État, c'est plus simple. Le mécanisme est le même qu'avec la décentralisation sur le principe de la compétence générale : on s'occupe de tout à tous les niveaux parce qu'aucun élu ne veut abandonner la moindre prérogative. On engage du personnel par clientélisme, et on s'étonne que les impôts locaux augmentent. Bizarrement, on se retrouve au final dans la situation des États-Unis où chaque état critique le pouvoir fédéral assimilé au socialisme (pour ne pas dire à la France). L'Europe, c'est « Washington », avec ses lobbies, sa bureaucratie, ses « fromages ». Et la France subsidiaire d'en bas est le pays des « deux cents fromages de terroir » qui incrimine Washington et les fils d'immigrés kenyans même pas américains de souche.

« Je lutte des classes »

La dégradation de la vie intellectuelle se manifeste par ce mauvais jeu de mots. Franchement, comment peut-on encore voter à gauche dans des conditions pareilles ? Les slogans de Mai 68, eux, avaient de la gueule ! L'analyse politique, par contre, est aussi rétro qu'alors. Cette gigantesque classe moyenne que j'ai évoquée ailleurs se croit encore exploitée. Elle n'a pas compris que la pyramide sociale, quand elle se tasse pour la grande majorité de la population, ne permet pas de s'élever bien haut. L'ascenseur social n'est pas cassé. Il s'arrête au deuxième étage. La lutte des classes a lieu entre le premier et le second. On voudrait, avec le niveau culturel atteint par 66 % de la population, avoir le niveau social et le prestige des 10 % de bacheliers des années soixante. Même les médecins, avec leur numerus clausus, ont perdu leur aura.

Ce n'est pas la peine se s'inquiéter pour les super-riches. Le troisième étage a un ascenseur privé. Mais il faut comprendre le truc. Ils bénéficient simplement du « principe du clochard » (ou de l'aristo, ou du clochard aristo : toujours Gabin). Si tous les Français, ou même seulement les Parisiens, lui donnait un euro, il aurait 60 ou 10 millions. La concentration des grandes entreprises permet donc d'offrir quelques bons salaires à une élite. Mais si on partageait le salaire de deux ou vingt millions d'euros par an du PDG entre ses deux cent mille employés, ils n'auraient que dix euros de plus par an ou par mois (j'arrondis).

Au passage, on oublie les 10 % résiduel du rez-de-chaussée dans les pays développés. Quand les classes moyennes refusent l'assistanat, cela signifie que la « lutte des classes » (entre le premier et le second étage) a aussi des perdants : ceux qui n'en font pas partie. On comprend qu'on s'oppose à la mondialisation. Les très pauvres sont beaucoup plus nombreux au niveau mondial. J'ai démontré (« Populisme et 'classes moyennes' ») que l'oubli des avantages dont bénéficient les classes moyennes en France (prêts aidés, éducation gratuite, etc.) reposait simplement sur la totale ignorance de la comptabilité (le remboursement de crédit n'est pas une charge mais une capitalisation).

Le socialisme-national Soral-Zemmour se paie le luxe théorique de justifier le protectionnisme identitaire par le critère marxiste d'« armée de réserve du capital » (rappelé aussi par Julliard), visant aujourd'hui les immigrés non européens (« je me comprends ») qui concernait auparavant les immigrés européens ou de l'exode rural. J'ai déjà eu l'occasion de dire, plusieurs fois, que les immigrés avaient plutôt retardé les délocalisations en important sur place une main-d'oeuvre bon marché. Il ne faut pas oublier non plus que le bon vieux temps de la guerre froide se situait aussi en pleine colonisation. J'ai montré que les colonies constituaient un marché captif qui offrait des débouchés aux industries métropolitaines et aux diplômés, dans la coloniale (armée, administration, enseignement, commerce). La « démondialisation » qu'on invoque a déjà eu lieu avec la décolonisation.

Politique industrielle

La gauche de la gauche croit parler de politique industrielle. Elle parle de « politique », d'« économie politique », de « politique sociale », de protectionnisme, d'incitations, d'exonérations, de subventions, c'est-à-dire de « répartition (intérieure) de la valeur ajoutée ». C'est Apple et Samsung qui ont une « politique industrielle » par les innovations dont ils inondent la planète. Le marché industriel est mondial, le marché politique est local.

L'erreur de l'opposition à la mondialisation et à l'Europe, consiste à ne pas intégrer qu'un marché mondial n'est pas contrôlé par l'État. C'est le véritable sens de « l'État ne peut pas tout », de Jospin. Un état ne peut pas fixer les prix à l'étranger et obliger les anciennes colonies à acheter nos produits plus chers que les produits chinois. Aujourd'hui, nous sommes en concurrence avec nos partenaires européens et avec les pays émergents. C'est pour lutter contre cette concurrence qu'on délocalise actuellement, pour pouvoir vendre à l'étranger avec des prix accessibles aux populations locales. Notre seul marché national ne permettrait pas à nos industries exportatrices d'avoir la taille critique. On peut comparer la différence qui existe entre le marché intérieur de la Grèce et celui de la France. On voit qu'on ne comprend rien à la situation quand on propose aux Grecs le protectionnisme !

Comme je l'ai dit pour le discours du FN, prétendre défendre l'intérêt national en plombant la France depuis trente ans avec ces histoires ineptes d'immigration n'est pas du populisme parce qu'on fait parler le peuple. C'est du populisme parce qu'on laisse parler les cons. Pas le peuple, mais ceux qui prétendent parler pour lui. Le populisme, c'est le discours des élites qui n'ont plus rien à dire. La gauche de la gauche de la gauche s'y met. Même motif, même punition.

Jacques Bolo

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