EXERGUE
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Médias / Politique / Conneries - Août 2011

C'est la faute des médias :

Les émeutes anglaises... et DSK !

Résumé

Les émeutes de Londres nous montrent la différence entre dictature et démocratie, entre brutalité de la répression et exploitation médiatique. Le jeu des forces sociales oppose la révolte et l'efficacité des compromis démocratiques. L'existence même des crises pose, encore une fois, la question de l'irresponsabilité des responsables qui assurent seulement le service minimum de la parole.

Le lien entre les émeutes anglaises et Dominique Strauss-Kahn n'est pas seulement de nous distraire pendant l'été. DSK s'était déjà exprimé à propos des émeutes de 2005 en France. Comme je l'avais signalé à l'époque :

« Dominique Strauss-Kahn, invité de l'émission a déclaré, à la grande surprise de tous les participants, que les émeutiers de 2005 n'étaient que des délinquants. Même Patrick Buisson, proche du Front national, a été débordé sur sa droite. Et les intervenants, vraiment très polis, trop, pour être honnêtes, n'ont pas cru bon de le contredire. On ne sait jamais. Il pourrait être élu président. » (Émission « Questions qui fâchent » de Michel Field, sur LCI, avec Nicolas Beytout, Patrick Buisson, Alain Duhamel et Jérôme Jaffré, le jeudi 8 juin 2006 de 18h30 à 20h).

C'était la pré-campagne des présidentielles 2007. Patrick Buisson est devenu conseiller ès clivage de Nicolas Sarkozy. Dominique Strauss-Kahn est empêtré dans une accusation de viol à New York.

On constate au passage que ces « questions qui fâchent » ne fâchent personne, puisque les débats, de plus en plus, confrontent des gens d'accord entre eux. On voit d'ailleurs ce qu'il en est au Royaume Uni, où le Premier ministre conservateur, David Cameron en profite pour promettre martialement de rétablir la loi et l'ordre. On imagine quelle a pu être la divine surprise pour lui, en période de crise de légitimité personnelle, européenne et mondiale ! Le parti travailliste ne se risque pas à le contredire sur ce point, et fait même chorus en employant les mêmes termes, tout en incriminant mollement les coupes dans les budgets sociaux. Seuls quelques gauchistes attardés, généralement proches de la retraite, exaltent la notion sacralisée de révolte, sans souci d'analyse circonstanciée.

Cette valorisation de la révolte jouit de l'exemple récent des printemps arabes ou des « indignados » espagnols et autres. Le fait est qu'on semble noter une recrudescence de la contestation chez les jeunes qui ne s'insèrent plus aussi facilement dans la vie active. Mais il ne faut pas oublier non plus que les conflits sociaux sont permanents, même dans les dictatures qui, précisément, ne subsistent que parce qu'elles répriment les tensions latentes. J'ai eu l'occasion de mentionner également (dans « Le sens de la vie ») que les conflits en Côte d'Ivoire, Tunisie ou Égypte, Syrie, etc., relevaient d'une même lutte pour les places au soleil.

L'analogie avec le printemps arabe n'est pas seulement dans la tête des analystes accrédités. Elle est aussi, forcément, dans celle des manifestants qui ont accès aux mêmes images. Ce que les théoriciens discutent à la télévision et dans les colloques académiques correspond à des passages à l'acte pour les classes populaires, ou pour les jeunes gens. Dans un article à propos des événements en Birmanie, « L'illusion des droits de l'homme », j'appelais cela le principe Tiananmen, en souvenir des événements chinois :

Les jeunes Chinois modernistes ont voulu faire une manif comme à la télé. On a également pu le constater : ils ne savaient d'ailleurs pas trop quoi faire au bout d'un moment. En 1989, le contexte était à la fin ou à la démocratisation du communisme. Mais ça n'a pas été le cas en Chine. Le pouvoir s'est inquiété. L'ironie, d'où le quiproquo, a voulu que l'époque soit pourtant à la modernisation en Chine même. Deng Xiaoping a peut-être craint une nouvelle révolution culturelle, qui lui avait laissé de mauvais souvenirs. Sur le simple plan pratique, la police n'étant pas préparée, on a fait venir l'armée, ce qui a aggravé le problème. Les luttes de pouvoir au sein du Parti communiste chinois ont fait le reste : les conservateurs se sont servis du désordre pour déclencher la répression. Rien que de très classique (partout dans le monde).

Comme en Chine en 1989, comme en Birmanie en 2007, le succès du printemps arabe de 2011 dépend plus de la réaction du gouvernement local que de la solidarité internationale. Les Occidentaux ne sont pas intervenus en Chine, ni en Birmanie, ni en Syrie, pour le moment. On imagine qu'ils l'ont fait en Libye (ou en Irak) pour se débarrasser de Mouammar Kadhafi (ou Saddam Hussein), sans parler du pétrole.

Bref, c'est le niveau de réaction du pouvoir qui définit la dictature. Pour les révoltés, il ne faut pas se tromper dans l'évaluation des forces en présence. Idéaliser la révolte pour la révolte, en espérant que ça pète, parce que ça ne peut pas être pire, relève de la bêtise des généraux qui envoyaient les soldats au casse-pipe sous la mitraille.

Comme en 2005, les émeutes anglaises ont commencé, le 6 août, après la mort d'un jeune homme, tué par la police anglaise, qui a rapidement été accusé d'être un délinquant, avant toute enquête (aux dernières nouvelles). Selon un sociologue, Alain Bertho, dans le journal Médiapart du 8 août 2011, « Des émeutes après la mort d'un jeune, il y en a déjà eu une petite vingtaine dans le monde depuis le 1er janvier 2011 ». Il faudrait peut-être prévenir la police pour qu'elle se prépare.

Parler de « causes sociales », comme la gauche, concerne moins les coupes budgétaires (dont la rallonge profite surtout aux politiques qui les réclament) que l'exigence d'égalité de droits fondamentaux, qui devrait être un souci de la démocratie. La forme de vandalisme ou de pillage renvoyant à la délinquance ne fait que déplacer le problème, puisque la délinquance est effectivement une forme de révolte non politique, individualiste (la gauche dirait « libérale »). Sa forme organisationnelle (« politique ») correspond plutôt à la forme du gang, comme pour la mafia. Ce qui permet une condamnation simultanée par la droite et par la gauche. Cela pourrait permettre aussi une certaine indulgence, si la politique n'était pas fondée sur le maintien de l'ordre et sur la technique qui consiste à faire un exemple pour l'obtenir.

La stratégie de la fermeté absolue, de « tolérance zéro », laisse un goût bizarre avec le parallèle actuel de la répression en Syrie qui qualifie, sans convaincre, les manifestants de terroristes ou de subversifs téléguidés par l'étranger ou Al Qaida (ça ne marche que pour les démocraties). Le Premier ministre, David Cameron, vient de faire un discours à la Chambre des communes, ce jeudi 11 août 2011, où il parle de :

« Certains jeunes grandissent sans connaître la différence du bien et du mal. Ce n'est pas un problème de pauvreté, c'est une question de culture. Une culture qui glorifie la violence, la rébellion contre l'autorité. Une culture qui parle tout le temps de droits et jamais de devoirs » [1].

On remarque bizarrement (outre l'allusion à la « culture » de style « je me comprends ») que ce discours accuse essentiellement la gauche (les gauchistes retraités qui tombent dans le panneau) d'être responsable des émeutes qui relèvent plutôt d'un hooliganisme anglais traditionnel. Dans le contexte, la gauche institutionnelle a beau jeu de dire que le projet de suppression d'une dizaine de milliers de policiers, comme source d'économie, fait un peu tache. Et comme à son habitude, la droite fait l'impasse sur la question de la « soumission à l'autorité » dans les dictatures. C'est bien l'insoumission qui caractérise la démocratie.

La différence entre la démocratie et la dictature se manifeste par la dureté de la répression. Mais le résultat final est que l'ordre doit régner partout, jusqu'à la prochaine fois. Le problème est toujours, de part et d'autre, de ne pas se laisser entraîner dans la surenchère et d'inscrire une stratégie dans la durée.

L'erreur des politiques est de ne pas admettre que, quand la violence se produit, le système démocratique a déjà failli, au moins par le manque de cadres offerts aux citoyens pour exprimer leur mécontentement. C'est précisément le cas général de l'absence de cadres institutionnels prévu à cet effet dans les dictatures, ou de l'absence de cadres intellectuels pour le hooliganisme. On voit aussi que le passage de la dictature à la démocratie est difficile, dans le cas expérimental du printemps arabe, du fait que la redistribution des postes n'est pas acquise. Notons que les hooligans en question auraient justement trouvé des emplois, et des repères, dans la police.

L'erreur des émeutiers consiste à ne pas comprendre que la violence n'est pas justifiée dans un système démocratique. L'émeute et le pillage sont évidemment des solutions à courte vue qui cadrent avec les perspectives au jour le jour des catégories les plus précaires de la population. Le hooliganisme s'explique par le simple fait que les jeunes hommes sont indisciplinés et que le seul exutoire du football n'est pas suffisant, spécialement quand le gang des policiers (anciens hooligans), commet une agression contre le gang des jeunes.

Mais on peut aussi affiner l'analyse. 1) Au lieu de considérer le régime dans son ensemble, on peut comprendre les émeutes, en régime démocratique, comme la persistance de poches résiduelles non démocratiques de fait, sinon de droit. L'existence d'exclusions ou de discriminations est bien une restriction à la nature démocratique du contexte. 2) On peut comprendre la bonne conscience des dictateurs (ou de la droite) comme le sentiment qu'ils ont d'incarner la légitimité sociale dans des poches d'état de droit pour la partie privilégiée (de fait, sinon de droit) de la population. Rousseau disait bien qu'une monarchie est une République car elle incarne l'État en tant qu'il représente (plus ou moins bien) l'intérêt général. Mais une monarchie ne peut pas être un état démocratique achevé. Le Royaume Uni en est une.

Une crise constitue le symptôme de l'échec d'une politique ou pointe les limites de la démocratie. Puisque Cameron soulève la question « du bien et du mal » au Royaume Uni, on peut aussi se demander ce qu'on attend, comme je le réclamais en janvier 2010, pour « pendre Blair », sur le modèle de Saddam Hussein, pour le million de morts qu'il a causé en Irak sous de faux prétextes. Je disais alors que la démocratie a l'avantage, ou l'inconvénient, de :

« supposer cette participation collective et un consentement de l'opinion. Ce consentement permet de diluer la responsabilité des dirigeants. La démocratie est devenue un système généralisé d'« irresponsabilité des responsables » (politiques et économiques) qui produit sciemment une communication biaisée, et qui ne connaît pas de sanction. »

Ma proposition, à l'époque, visait à limiter l'invocation de la responsabilité collective, qui justifie les émeutes et le terrorisme, qui ciblent n'importe qui :

« Il faut en finir avec l'impunité de ceux qui prennent ce genre de décision si on ne veut pas que la chaîne des responsabilités soit explorée plus avant, en considérant que la complicité des exécutants ou des citoyens passifs est engagée. Puisqu'un véritable procès n'a pas lieu, et qu'on connaît le résultat à l'avance comme celui de Saddam Hussein, pendre Blair, Bush, Rumsfeld, Powell et quelques communicants, sans autre forme de procès, serait un bon début. »

Les émeutiers s'en prennent à un bouc émissaire symbolique. Le laxisme de droite consiste à rouler des mécaniques au parlement ou dans les médias et de se contenter de faire des exemples pour croire que tout entre dans l'ordre. La question est bien l'irresponsabilité des responsables.

À Londres, la proximité de la vie normale et de l'activité parasitaire mondiale de la City, en ces temps de crise économique globale, peut aviver des tensions réelles. Le lien est connu. J'ai déjà parlé de l'influence du salaire des traders et des patrons sur la hausse de l'immobilier (« Quel salaire pour les patrons ? », « Augmentez les patrons ! » et autres), ainsi que de la présence du petit personnel que suppose forcément la richesse (« Publicité clandestine de Véolia »). Les émeutiers ne valent pas mieux qui envient ce modèle par l'intermédiaire des stars du sport omniprésentes dans les médias. Cet idéal de réussite suppose l'échec de la majorité. Un système aristocratique est le principe institutionnel de cet état. L'abolition de la monarchie me paraît un préalable minimum pour une discussion sérieuse. Sa persistance décorative est le véritable signe du laxisme démocratique.

On peut aussi se limiter à la question conjoncturelle des émeutes si on n'est pas assez intelligent pour avoir une vision plus vaste. L'affaire DSK nous a fait éclater à la gueule que le problème peut se résumer assez simplement dans le fait de ne pas laisser son avenir se terminer en fait divers. La difficulté est que les médias et les politiques ont plutôt tendance à faire monter la sauce, car ils vivent de leur exploitation [2]. On le voit bien avec Internet qui fait exploser la médiatisation de ceux qui cherchent à faire volontairement le buzz avec une orgie de bêtisiers.

Mon message aux émeutiers, à DSK, aux politiques et aux autres, est simple : ce n'est pas la peine de se forcer à faire des conneries, on en fait suffisamment sans le vouloir.

Jacques Bolo

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Voir aussi :

Notes

1. Sur ce sujet, j'ai déjà signalé que le débat est ancien, puisqu'on trouve dans les paroles de L'Internationale (Eugène Pottier, 1871), les vers suivants :

« L'état comprime et la loi triche
L'impôt saigne le malheureux
Nul devoir ne s'impose au riche
Le droit du pauvre est un mot creux
C'est assez languir en tutelle
L'égalité veut d'autres lois
Pas de droits sans devoirs dit-elle
Égaux, pas de devoirs sans droits
 »

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2. On a vu jusqu'où peut aller le rôle des tabloïds au Royaume Uni, qui ont trouvé une occasion en or de détourner l'attention de leur turpitudes (illégales) à l'occasion des émeutes. Au point qu'on se demande, parfois, jusqu'à quel point ce genre d'affaires n'est pas un peu arrangé. On sait que des provocateurs (de tous bords) sont toujours présents dans les émeutes ou les groupes clandestins, ou qu'il suffit de laisser pourrir la situation. [Retour]

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