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Médias / Économie - Juillet 2010

Crise grecque dans la presse française

Le 10 juin 2010, une assemblée générale de la Société des rédacteurs du Monde (actionnaire de référence de ce groupe de presse) devait choisir le candidat à la reprise du journal. Au trio Bergé-Niel-Pigasse s'est ajoutée l'offre de Claude Perdriel à la dernière minute, soutenue par Sarkozy (comme la corde soutient le pendu).

Le problème récurrent de la presse française s'apparente à celui de la crise grecque. La seule différence est que les comptes et les déficits sont connus depuis longtemps. Mais cela ne semble pas trop affecter le moral du secteur ou le crédit auprès des investisseurs. Comme à l'époque de la bulle Internet (pour ne pas dire de l'affaire Madoff), la solution est encore et toujours de faire appel a un investisseur pour renflouer le Titanic. En fait, il semblerait même qu'il s'agisse de réinvestir dans le Titanic pour décrocher encore une fois le Ruban bleu. Et pourtant, on connaît la fin du film.

La qualité du Monde n'est pas en cause. Ce qui est en question est son budget de fonctionnement. On connaît le grief classique contre le syndicat du livre dont les salariés ont des salaires de ministres (d'où sans doute l'argument des ministres pour être augmentés). Il en est de même de ceux des journalistes et de la direction. Que la gauche soit fâchée avec la comptabilité, on le savait. Il semble ici que les sociaux-démocrates ou les sociaux-libéraux appliquent une politique digne du Parti communiste concernant la revalorisation des salaires dans une entreprise en crise. Ce n'est pas « très sérieux » pour le « très sérieux » journal « de référence ». C'est sans doute la conséquence de la « mentalité latine » de la France (« mentalité grecque » donc) qui consiste à arroser les copains. Mais il faut bien s'aligner sur les salaires allemands pour maintenir un standing de journaliste télé (« un train de vie de ministre ») pour ne pas avoir la honte dans les dîners en ville. Ce qui est une attitude finalement très anglo-saxonne : chacun sait ce que gagne l'autre, même s'il fait pudiquement semblant de l'ignorer (noblesse catholique oblige).

Bizarrement, il n'est pas question non plus de rigueur ou d'austérité comme pour de vulgaires PIGS (Portugal, Italy, Greece, Spain) méditerranéens. La solution est plus classiquement de « trouver un investisseur ». Cette solution communiste consiste à « faire payer les riches » et à soutenir le capitalisme traditionnel (rhénan) contre le méchant libéralisme et la logique comptable. Finalement, ce que recherche la presse de gauche est d'avoir son Dassault (ou son Bettencourt). Les Bergé-Niel-Pigasse et Claude Perdriel sont sur les rangs pour jouer les César Borgia.

Tradition française oblige, les « aides à la presse » viennent compléter le dispositif, puisque le césarisme (ça tombe bien) est le propre des Borgia (et de la gauche communiste). Ce qui s'appelle un « coup de pouce » de l'État qui n'est d'ailleurs pas refusé non plus par la presse libérale. On est plutôt dans la « République des camarades » (Robert de Jouvenel) qu'en démocratie. Car en démocratie, la liberté de la presse dépend des lecteurs et non des sponsors. Mais le commerce est un peu vulgaire.

Évidemment, il faut à la fois que les lecteurs veuillent bien payer et que le service rendu les satisfasse (comme le rappelait Jouvenel). Le risque des projets du Monde est qu'une stratégie d'économies réduise le service au lieu d'en réduire le coût unitaire. Si, comme pour Libération, la réforme consiste à réduire la pagination et le nombre de journalistes, il ne faut pas s'étonner que le nombre de lecteurs n'augmente pas. La solution normale est évidemment d'augmenter le lectorat en augmentant l'ouverture, donc la pagination. Il y a encore de la marge, puisque les lecteurs de presse achètent beaucoup de magazines pour combler ce qu'ils ne trouvent pas dans les quotidiens. Ce n'est pas la solution généralement choisie ces derniers temps, où des imbéciles n'en finissent pas d'« aérer la maquette » au point de vendre du vent.

Après l'épisode des gratuits, la concurrence d'Internet va sans doute trancher la question dans les prochains mois. J'ai déjà parlé de la faiblesse quantitative des nouveaux médias, qui en sont réduits à rechercher les scoops. Mais leur accumulation, et la simple existence de ce nouveau support, apportent une concurrence qui devrait éliminer les acteurs traditionnels les plus fragiles. La première conséquence d'Internet est de réduire les coûts salariaux, puisque les journalistes sont jeunes, souvent mal payés, voire bénévoles, sur les blogs. Même si la presse traditionnelle espère y voir un renouveau, des supports comme l'Ipad d'Apple vont mettre aussi ces contenus gratuits à disposition de tous.

À court terme, pour des institutions comme Le Monde, le problème est qu'elles ne pourront pas compter sur le renouvellement du lectorat qui aura pris de nouvelles habitudes. Il est évident qu'il leur faut renforcer leur version en ligne et acquérir de nouveaux clients pour ce positionnement de quotidien de référence ou le faire évoluer sans le trahir. Il n'est pas sûr qu'il ne soit pas trop tard, car la concurrence est déjà bien installée.

Jacques Bolo

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