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Relativisme / Société - Avril 2010

L'erreur d'Éric Zemmour

(Cet article est initialement paru sur mon blog de Médiapart le 30 mars 2010.)

Éric Zemmour vient encore de faire parler de lui. Qu'il s'agisse du choix du prénom ou de l'école républicaine, ce type est un débat sur l'identité nationale à lui tout seul. Sa thèse principale est que l'intégration des immigrés échoue parce que la France a abandonné l'assimilation à la française qui avait si bien marché pour les vagues d'immigration précédentes. Il a déclaré, au cours d'une confrontation télévisée, que cette assimilation avait très bien fonctionné pendant 70 ans et il considère que l'échec actuel est le résultat du laxisme relativiste bobo post-soixante-huitard depuis 40 ans.

Certains, qui entrent dans son jeu du modèle identitariste chrétien (et gaulliste), considèrent que la cause en est l'immigration actuelle, non européenne, non chrétienne, (oubliant au passage que le christianisme est une religion universelle). Certes, on ne peut pas nier que les différences culturelles posent des problèmes spécifiques. Mais ce n'est pas la question.

L'erreur de Zemmour réside au contraire dans son affirmation elle-même. Il est faux de dire que l'assimilation à la française a marché pendant 70 ans, comme il est faux de dire que l'intégration a échoué pendant 40 ans. C'est même presque le contraire. Les plus informés en l'histoire disent à juste titre que les immigrés italiens, espagnols ou polonais, quoique catholiques, ont eu à subir un rejet pendant des décennies. Au mieux, c'est la troisième génération qui est intégrée – y compris, d'ailleurs, grâce à l'effet intégrateur du contraste avec l'immigration extra-européenne récente (le dernier arrivé fermant la porte derrière lui). Car il est faux de dire que les immigrés européens étaient intégrés. Eux aussi « restaient entre eux ». Eux non plus n'avaient pas perdu leur accent (on pense à Jane Birkin). Comme je le disais ailleurs : « Je me souviens d'un ami montpelliérain qui se moquait gentiment de certains vieux immigrés espagnols, en disant : 'Escoussez moi dé pas bienn parler lé francèss por qué ya qué trente ans qué yé souis enn Francia' » (« Feu la république, vol. 3 : L'Affaire Finkielkraut »).

Mais il y a plus grave ! Au point qu'on se demande parfois où l'on a la tête. 70+40 = 110. 2010-110 = 1900. A-t-on déjà oublié que cette période concerne précisément celle de l'antisémitisme, où un capitaine Dreyfus, pourtant prénommé Alfred, bien intégré (à l'état-major de l'armée) a dû subir ce que l'on sait ? A-t-on oublié que cet antisémitisme contestant l'intégration d'une communauté « non européenne », quoique judéo-chrétienne comme on dit aujourd'hui (je me marre !), est arrivé au pouvoir en 1939 et a imposé le port de l'étoile jaune pour qu'on les reconnaisse bien, parce qu'ils étaient TROP intégrés ? Au point qu'on leur a interdit certains métiers où ils réussissaient trop, avant de les envoyer là où on sait, en commençant naturellement par les « juifs étrangers ». Le point que je veux souligner ici est exclusivement que l'assimilation a peut-être fonctionné pendant soixante-dix ans, mais qu'une certaine France ne l'a pas intégré. C'est aussi le cas aujourd'hui.

Ajoutons (par pure méchanceté) que si cette intégration des juifs n'a pas eu lieu pendant les quarante premières années du XXe siècle, elle n'a eu lieu pendant les trente suivantes (40+30 = 70, « le compte est bon ») seulement du fait de la culpabilité et de la honte, pour tout dire de la « repentance », à laquelle Éric Zemmour s'oppose (quoique valeur chrétienne de la France millénaire), et qui commence effectivement à se dissiper. Trente ans de honte pour les youpins ça suffit (y a prescription), on va pas se taper quararante ans de honte pour les Négros et les Bougnoules en rab.

Bref, l'erreur de Zemmour qui se croit si real-politik, si machiavélien (comme j'ai pu le remarquer l'année dernière à propos d'une affaire semblable) est en fait banalement idéaliste, tendance image d'Épinal républicaine, limite fleur bleue (blanc-rouge). Comme je l'ai dit, il veut que les jeunes travaillent à l'école et réussissent comme lui. On voit bien qu'il représente une sorte de caricature d'élitisme souverainiste républicain qui s'oppose à la gauche que parce que la gauche est un peu gnangnan (et parce qu'il travaille au Figaro). Au fond, ce qu'il regrette (comme Soral) est la gauche stal de sa jeunesse. Quand la gauche avait des couilles. Une gauche de gauche quoi. Comme la plupart des lecteurs de Médiapart.

Mais Zemmour, t'es foutu, les bobos sont partout.

Bobos de tous les pays, unissez-vous !

Jacques Bolo

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