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Société - Mars 2010

Zemmour a encore frappé (impunément)

Éric Zemmour a encore fait le buzz, à la suite de l'émission de Thierry Ardisson, « Salut les terriens », du 7 mars 2010, sur Canal plus en répliquant à Bernard Murat, à propos des jeunes de banlieue : « Pourquoi on est contrôlé dix-sept fois ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c'est comme ça, c'est un fait ». Il doit être en promo pour son dernier bouquin (Mélancolie française, Fayard, 2010) [1].

Mais cette polémique est surtout stupide. Il est évident que dans les quartiers où il y a beaucoup de Noirs et d'Arabes, les trafiquants le sont aussi (outre le fait qu'y contrôler des jeunes signifie forcément y contrôler des Noirs et des Arabes). Il est par contre notoire que le trafic de drogue concerne tous les milieux, et que les trafiquants ne sont pas tous noirs ou arabes (sans parler du cyclisme où il n'y a pas beaucoup de Noirs). On peut douter aussi qu'on arrête des trafiquants grâce à des contrôles. Il y a plus de chance d'arrêter des consommateurs (qui sont éventuellement revendeurs pour payer leur dose).

Comme toujours, en ce qui concerne Zemmour, on a assisté à une levée de boucliers de la part des antiracistes [2]. À gauche, dans le cas de ce genre, on dit que les causes sont sociales et non raciales. Cela ne nie d'ailleurs pas le phénomène (et n'empêche pas de rire aux clichés ganja sur les rastas).

Il n'est pas nécessaire que Zemmour soit raciste. Il suffit qu'il tienne un discours qui plaît aux racistes pour qu'il joue un jeu dangereux. Ce type est obsédé par ces questions (un peu comme Finkielkraut). À une autre invitée de l'émission, Rokhaya Diallo, qui venait de lui parler de « la délinquance [qui] à cours dans les milieux que vous fréquentez », il répondait : « Entre le trafic de drogue et la délinquance en col blanc, il y a une petite différence. » Il a raison. Mais la délinquance en col blanc est beaucoup, beaucoup plus grave. Concrètement, en cas de crise économique généralisée, on va s'en apercevoir. Et c'est le cas en ce moment.

Un point de méthode correspond aussi à un schéma purement logique, qu’on peut caractériser à charge pour Zemmour (ou d’autres) : quand un délinquant est blanc, on ne le dit pas ; et à décharge : c’est évidemment parce que les Blancs sont majoritaires qu’on oublie de le mentionner. Avec à charge, un côté hypocrite, précisément selon le type de criminalité, ou selon le principe « blanc, normal ».

Zemmour ne dit pas que la délinquance avait pour cause la couleur de peau. Mais on peut considérer qu'il l'a sous-entendu. S'il veut ne pas le dire, il faudrait qu'il le précise, car tout le monde sait que le racisme joue sur ces sous-entendus. Ça aurait pour effet de rendre les gens moins cons au lieu de jouer sur la connerie. Dire que la délinquance a pour cause la couleur de peau signifierait d'ailleurs qu'il n'y avait pas de délinquance en France auparavant.

Puisqu'il est question, pour Zemmour lui-même, de l'importance de la délinquance, la question des drogues est un cas spécial. Les drogues illégales ne sont qu'un épiphénomène risible. Zemmour a doublement tort sur ce point. Le scandale est effectivement sa surreprésentation dans la répression, comparé à l'indulgence dans les autres domaines. D'autant que les drogues concernent surtout la santé du consommateur lui-même. Il n'y a aucune différence sur ce point entre les drogues licites et illicites. Les autres problèmes, comme la délinquance qui en découle, sont essentiellement les conséquences de la prohibition.

En l'occurrence, Zemmour est un peu faux cul. L'objectif actuel du gouvernement consiste à faire du chiffre en matière de délinquance pour préparer les élections et masquer éventuellement les autres problèmes (Zemmour participe donc à la campagne, comme les nombreuses émissions télé sur les faits divers). Il est donc parfaitement normal de viser la petite délinquance. D'autant que les pauvres sont plus nombreux que les riches ! C'est surtout du point de vue du nombre que le problème est social. On connaît aussi l'indulgence dont bénéficient les drogués riches. Pour ne fâcher personne, rappelons simplement le cas du ministre de la Culture du général De Gaulle, André Malraux, drogué notoire, qui ne devait pas s'approvisionner dans les banlieues.

Si on parle des conséquences, parlons de l'impact réel de cette petite délinquance (outre les moyens qu'on y consacre) ? La drogue ou la violence due à la drogue ne fait pas énormément de victimes en France. Si les drogues illicites étaient autorisées, elles en feraient probablement davantage. Mais on se trouverait alors précisément dans la configuration actuelle des drogues licites (tabac, alcool,...) !

D'une façon encore plus générale, la criminalité classique elle-même est surévaluée. Les homicides volontaires font environ 1 000 victimes par an en France [3]. Comme on connaît parfaitement le fait que les meurtres se passent souvent en famille, on ne voit pas très bien ce que le gouvernement ou la police peuvent faire contre. La délinquance routière, elle, cause beaucoup plus de décès : 5 000 actuellement (plus de 10 000 il y a une vingtaine d'années), et environ 200 000 blessés. Concrètement, un peu plus de prudence économiserait autant de vies que l'ensemble de la criminalité classique. Et cette délinquance routière n'est pas vraiment considérée comme telle (on parle bien d'« accidents »).

Il en est de même des accidents du travail (toujours « accidents ») avec environ 1 000 décès (accidents de travail et maladies professionnelles) et 65 000 incapacités permanentes. Dans les deux cas, les victimes sont pourtant de vraies victimes ! Ces décès concernent bien d'honnêtes travailleurs, qui ont souvent beaucoup de mal à se faire simplement indemniser. Le simple fait d'en parler aujourd'hui signifie sans doute qu'on est en train de revenir là dessus. On durcit les peines pour les chauffards, on remet en question les suicides à France Télécom, etc. Parler de la drogue comme le fait Zemmour fait régresser la question du risque au sensationnalisme électoral. Zemmour est connu pour critiquer le principe de précaution, qui renvoie précisément à ces victimes (dont il se fout, apparemment) !

Ne parlons pas non plus du délit de racisme, car on embarquerait la moitié des commentateurs sur Internet, ainsi que les directeurs des publications en ligne pour délit de presse. On connaît les discours insidieux qui feignent l'objectivité dans ce domaine, mais qui ne trompent évidemment personne, et surtout pas les racistes qui fonctionnent sur le mode du « je me comprends ». Il est notoire qu'ils se livrent à des campagnes en ligne, sous pseudonymes, pour enfoncer le clou dès qu'il est question de Noirs ou d'Arabes..., à la Zemmour.

Le maurrassisme (identitaire) latent est très répandu, même chez les personnes bien intentionnées (voir « Le néo-maurrassisme actuel comme incompétence »). Il ne faudrait pas être très sévère pour considérer Zemmour comme un délinquant, qui incarne le dérapage routinier et mondain d'un racisme qui est beaucoup plus vulgaire chez les gens moins cultivés que lui. Comme il le dirait lui-même, tout est une question de niveau.

Toujours au cours de l'émission d'Ardisson, il a cédé à ce racisme cultivé donneur de leçons aux indigènes ignares à propos du terme « discrimination » [4]. Non seulement il pérore pour enseigner à ceux qui l'ignorent (ce qui est bien bon de sa part) que « discriminer » signifie « choisir », mais il justifie les discriminations raciales, explicitement le droit de sélectionner des candidats sur n'importe quel critère, pour un emploi ou un logement, etc. En France, c'est un bien délit ! Que fait la police ?... Elle contrôle dix-sept fois les jeunes Noirs et les Arabes dans les banlieues [5] !

La tendance que Zemmour représente dans le champ politique est claire. Toujours chez Ardisson, à propos d'un article de la revue Les Inrocks, qui affirmait qu'il fallait se méfier d'Éric Zemmour parce qu'il était « un vrai réactionnaire ». Il a répondu :

« Dans les années 30, il y a eu une réunion de la 3e internationale sous domination stalinienne qui conseillait de taxer tous les adversaires de fasciste et de réactionnaire. [...] et dans les années 80 les antiracistes ont fait la même chose... Les Inrocks continuent dans cette lignée, ils n'argumentent pas, ils insultent. Moi « réactionnaire » ça ne me vexe pas, je réagis à l'ordre dominant qu'ils représentent. Donc moi ça me va. Et si je fais de l'audience ça prouve que les gens sont intéressés par ce que je dis. Ça prouve qu'ils sont quelque part représentés par ce que je dis. C'est normal que je puisse m'exprimer. »

Puisque « réactionnaire » ne le gêne pas, pourquoi insulte-t-il ses adversaires en les assimilant aux staliniens, que Les Inrocks ne sont certainement pas ? Ce que disait Les Inrocks n'était d'ailleurs pas une insulte. Cela signifiait simplement qu'il représente un retour de l'idéologie réactionnaire sur le devant de la scène médiatique. C'est précisément ce que Zemmour revendique ! Il joue également sur les mots en disant qu'un réactionnaire est simplement « quelqu'un qui réagit (à l'ordre dominant) ». Il connaît parfaitement le sens des termes politiques. Un réactionnaire est quelqu'un qui veut le rétablissement d'un ordre ancien (dominant) antidémocratique, et qui joue sur les mots en disant cet air connu selon lequel « un réactionnaire est simplement quelqu'un qui réagit ». C'est presque un des traits de caractère réactionnaire par excellence que de donner les leçons d'étymologie. Ça fait deux fois !

Il en est de même de l'argument selon lequel Zemmour représente une minorité (ou une majorité) silencieuse qui demande à être représentée. Ceci est parfaitement connu pour être une revendication du Front national. Ce n'est pas illégitime, mais cela ne contredit en rien le fait que le FN, ou Zemmour, représentent bien les réactionnaires. Quand on ajoute ses obsessions et des déclarations selon lesquelles « la plupart des trafiquants sont noirs et arabes », ceci confirme cela.

Éric Zemmour est un analyste politique informé. Dans les débats télévisés, il cloue le bec à ses contradicteurs qui ne sont pas aussi compétents que lui. Ce qui est souvent le cas de ceux qu'on lui oppose. En fait, il est bien naturel que tout le monde ne soit pas spécialiste de ces questions, et ne soit pas capable de justifier son propre vote. Pourtant, chacun peut être capable d'apprécier un comportement et de décider, ou d'agir, le moment venu. Dans le domaine politique, les convictions se manifestent « au feeling ». Zemmour, puisqu'il est un spécialiste, devrait se demander sérieusement à quoi correspond une position politique comme la sienne (ou son créneau marketing), qui va jusqu'à justifier les discriminations raciales.

Et pour être plus clair, Éric Zemmour devrait se demander s'il vaut mieux être un inculte qui fait le bon choix de la résistance au cours de la Deuxième Guerre mondiale, parce qu'il est patriote, de gauche, un peu gnangnan, droit-de-l'hommiste ou bobo (avant la lettre), ou bien un réactionnaire instruit, nietzschéen ou machiavélien, donnant des leçons d'étymologie (ou de philologie), qui aime l'ordre et la musique classique et finit par adhérer au parti nazi.

Jacques Bolo

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Voir aussi :

Notes

1. Comme lui disait Ardisson, en recevant Zemmour dans cette même émission : « Vous avez dit : « Le système télévisuel actuel fonctionne avec des acteurs, des animateurs et des écrivains qui vont faire des promos sur le petit écran, moi je ne suis pas dans ce spectacle et je le dénonce. Je suis un hérétique de mon époque ». Et donc ce soir, nous sommes heureux d'accueillir un hérétique qui vient faire sa promo sur le petit écran. » [Retour]

2. Antiracistes que les racistes contemporains appellent des « bien-pensants », parce que les racistes (et Zemmour), ils ont enfin compris le truc de gauchistes. Ils ont mis le temps. Mais ils sont un peu cons, les racistes [Retour]

3. Soit 1,5/100 000 par an, ce qui est relativement peu. Aux États-Unis, qui nourrissent notre imaginaire, ils sont environ dix fois plus nombreux, et en Colombie, cent fois plus. En Colombie, ce n'est pas la drogue qui fait ces victimes, mais le narco-trafic qui est surtout une affaire d'argent (sur ce principe, on en voit d'ailleurs pas comment il va cesser). [Retour]

4. J'avais déjà relevé un cas semblable dans un article précédent « Racisme, Antisémitisme, Stéréotypes (R.A.S.) » :

Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l'Université Rennes-I, dans un entretien à l'Observatoire du communautarisme, peut ainsi pontifier, elle aussi (décidément ! C'est pour ça qu'on les paye ?) : « Le mot 'discriminer' n'a a priori aucun sens péjoratif ou répréhensible puisqu'il désigne simplement le fait de distinguer, séparer, sélectionner ou discerner et vous m'accorderez qu'il est en principe tout à fait louable de savoir distinguer les êtres, les choses, les caractères ou les oeuvres ». On peut lui répondre aussi que n'importe quel imbécile (sans discrimination) sait pourtant qu'il existe plusieurs acceptions à ce terme.

[Retour]

5. Certains contestent ce délit de discrimination. Il existe un précédent. On peut rappeler que le Front populaire avait instauré ce genre de délit et que le pétainisme s'est effectivement empressé d'abolir ces dispositions légales. En tout état de cause, on peut toujours souligner que des discriminations informelles existeront toujours. Mais cela enlève la possibilité de se revendiquer de l'élitisme républicains pour juger du mérite. Une bonne partie de l'argumentation de Zemmour s'écroule. [Retour]


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