La sortie le 10 février du film de Safy Nebbou, L'Autre Dumas, a encore donné l'occasion d'une plainte pour racisme de certains membres de la communauté noire ou de certaines de ses organisations. Le grief porte sur l'utilisation de Gérard Depardieu dans le rôle d'Alexandre Dumas au lieu d'utiliser un acteur de couleur, puisque Dumas était un Métis (le terme d'époque est quarteron [1]).
J'ai déjà parlé d'une plainte de ces mêmes organisations contre Tintin au Congo, et j'avais considéré qu'il y avait mieux à faire. Dans le cas actuel, le reproche est plus justifié. Il indique effectivement la situation actuelle des Noirs dans le cinéma français. Il y en a peu. Ils sont moins connus et donc pas « bankables ». Safy Nebbou, le réalisateur, n'a pas de raison de prendre plus de risque que les autres. Et il n'y a donc pas de raison que ça change. Il a tort. Car je pense que ce sont plutôt les bons rôles qui font les bons acteurs, qui deviennent donc bankables, et non les bons acteurs qui font les bons rôles. Mais les bons acteurs n'ont aucune raison d'en laisser courir ce bruit, et les réalisateurs peuvent toujours choisir de les employer pour compenser les faiblesses des scénarios.
Ceux qui ironisent en disant que Dumas n'était pas noir-noir, s'offusquent donc qu'on le noircisse, en critiquant ceux qui s'offusquent qu'on le blanchisse. Les deux camps ont bonne conscience et sont sûrs de leur bon droit. Notons que les premiers défendent bien le statu quo de l'apartheid de fait qui règne dans le cinéma français. Ce qui les délégitime complètement. Les seconds ont tort, parce que Depardieu a quand même un physique à la Dumas, et mérite sans aucun doute le titre de Métis d'honneur pour l'ensemble de son oeuvre.
La question de la négritude d'Alexandre Dumas se posait déjà à son époque. Son père, le général révolutionnaire Dumas avait lui-même été chassé de l'armée par Bonaparte pour sa couleur. Son écrivain de fils était bien considéré comme le Noir qu'il était par la bonne société hypocrite de son temps. Que ce romancier noir ait eu des nègres (littéraires) était une cause d'ironie. C'est donc surtout le colonialisme postérieur qui n'a pas diffusé la reconnaissance de ce fait choquant que l'écrivain français sans doute le plus connu dans le monde était un Métis.
Les écrivains antillais Serge Bilé et Emmanuel Goujon ont raison de remarquer : « Que n'aurait-on pas dit à l'inverse si, pour les besoins d'un film, Denzel Washington avait incarné Jean Moulin, si Pascal Legitimus avait donné son visage à Molière, et si Sonia Rolland s'était prise pour Jeanne d'Arc ? » Mais cette situation concerne surtout le cinéma [2]. Car il est parfaitement possible que des Noirs dans les compagnies théâtrales (surtout locales) jouent des personnages blancs, comme les blancs jouent des Noirs ou des Indiens, quand il n'y en a pas de disponibles ou que le racisme ne le permettait pas. L'opéra accueille depuis longtemps des chanteurs et des chanteuses noires dans des rôles classiques d'Européens blancs.
Cette affaire montre que la question de la couleur de peau résiste à la négation de la notion de « race ». L'idéal assimilationniste des républicains forcenés ne peut pas nier ce principe de réalité. Le fait que ce problème soit posé aujourd'hui pour le cas Dumas est aussi un signe que les temps changent.
Récemment, la question de l'absence de Noirs s'était posée dans la publicité. Le changement a été très rapide. On voit que les mauvaises habitudes sont plus difficiles à perdre dans le cinéma, où l'on n'est pourtant pas les derniers à donner des leçons d'antiracisme. On constate que la prétention des artistes à être en avance sur leur temps est contredite par la réalité d'un traditionalisme nauséabond. Le cinéma français est bel et bien en retard sur la belle âme de ses protagonistes. Il reste le cinéma américain !
Jacques Bolo
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