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Politique - Octobre 2009

Démocratie leçon 13

Théories et pratiques du complot

L'émission « L'objet du scandale » de Guillaume Durant sur France 2, le 28 octobre 2009, a montré, pour ceux qui ne le savaient pas (grâce à Internet), que « les stars croient au complot ». Le cinéaste Mathieu Kassovitz et l'humoriste Jean-Marie bigard jouaient les grandes gueules de service. Une autre émission de France 3, « Ce soir ou jamais », de Frédéric Taddéi, avait déjà invité Kassovitz le 15 septembre sur le même sujet. On pourra d'ailleurs constater que règne actuellement « le complot » qui consiste à utiliser la médiation d'invités people pour parler de quoi que ce soit [1].

Cette question du complot du 11 septembre est une affaire qui a évolué curieusement. Dans un premier temps, la question était de savoir si les services secrets divers étaient au courant - tout en étant parallèlement accusés d'être incompétents pour ne pas l'avoir été ou ne pas avoir été capable de l'empêcher. Simultanément, tout aussi paradoxalement, la « rue arabe » se réjouissait de ce joli coup porté au grand Satan, tout en accusant la CIA ou le Mossad d'avoir monté toute l'affaire. Ensuite, sont venus les débats d'experts sur la question de la démolition et des impossibilités aéronautiques. J'avais moi-même trouvé absurde qu'un avion gros porteur passe à travers un trou circulaire, mais il paraîtrait, selon une de ces émissions, qu'il s'agit d'un trou de sortie, de l'autre côté du bâtiment du Pentagone.

Pendant ce temps, on nous dit qu'Oussama Ben Laden nargue les armées de la coalition occidentale depuis huit ans, alors qu'on nous repasse sans arrêt de vieilles vidéos et de mauvaises bandes audio. Les Arabes, le Mossad, la CIA ou les médias du monde entier ne peuvent-ils pas se cotiser pour lui offrir une caméra numérique [2]. Hollywood, qui aurait forgé (selon une autre théorie complotiste) les premiers pas de l'homme sur la Lune n'est-il pas capable de nous fabriquer un Oussama de synthèse plus vrai que nature, sans devoir employer des ruses éventées de paparazzi qui floute des photos faussement volées ! Il faudrait qu'on arrête de se foutre de notre gueule ! On veut des images !

Que le 11 septembre soit un complot arabe ou américain montre simplement, dans les deux cas, un goût absurde du spectacle. Aujourd'hui, le seul but semble être de bien passer à la télé, avec des journalistes qui proposent des conseils en communication au lieu d'informer. Au fond, l'effondrement des tours jumelles du World Trade Center n'est rien d'autre qu'une version gigantesque d'un record idiot, style Guiness Book, qui consiste à faire tomber le maximum de dominos. Déjà, dans le film Broadcast news (sauf erreur), cette image des dominos était utilisée comme démonstration de l'inanité de l'information à un parterre de professionnels de la presse... qui tombaient dans le panneau en s'excitant comme des collégiens ! Une bonne leçon devrait être tirée de l'affaire. Le simple fait de devoir se taper les mêmes images tous les 11 septembre devrait écoeurer les futurs terroristes. Car à être terroriste, on n'en reste pas moins téléspectateur.

Une seule chose est absolument certaine. Cette idée de complot, partagée (sur un point ou sur un autre) par une bonne moitié de la population, révèle que les limites de la démocratie ont été atteintes. Il faut se rendre à l'évidence, l'idée d'un complot montre bel et bien qu'un bon nombre de personnes, y compris en Amérique, croient le gouvernement américain capable d'être à l'origine des attentats ! Ce n'est pas un choc des civilisations entre elles. C'est plutôt une décivilisation interne. Il est démontré que les citoyens ne font absolument plus confiance à leurs gouvernements.

D'ailleurs, pourquoi imaginer des complots compliqués ? Un taré quelconque, quel que soit son camp, a considéré qu'il était judicieux de faire un coup pareil. La méthode terroriste est banale. On espère créer une crise pour produire une réaction. Et il est effectivement notoire que le terrorisme peut être instrumentalisé par les gouvernements. Après tout, surtout quand on accuse les complotistes d'antisémitisme, il ne faut pas oublier que le fameux Protocole des sages de Sion était précisément une manipulation des services secrets tsaristes ! La dénonciation de la théorie du complot est une arme à double tranchant.

Mais quel est le fond du problème. S'il existe un complot, c'est bien celui de nous faire perdre notre temps avec ce genre de péripéties anecdotiques. Eh puis quoi encore ? Il nous faudrait étudier un dossier de 100 000 pages pour démontrer la culpabilité des uns ou des autres. C'est cette obsession de démocratie directe qui confirme que les citoyens complotistes ne font plus confiance à personne et refusent toute médiation, politique, judiciaire ou journalistique. C'est bien une crise de légitimité

Et les complotistes s'abritent hypocritement derrière le lieu commun philosophique selon lequel : « ils ne font que poser des questions », comme on a pu le voir au cours des émissions de télé de la part de Kassovitz et de Bigard. À qui veulent-ils faire croire qu'ils ne font que se poser des questions et qu'ils ne croient pas que le gouvernement américain, la CIA, le Mossad ou qui que ce soit d'autre (une organisation occulte) tire les ficelles dans l'ombre ? Soit on cherche, comme au début de l'affaire, plutôt à pointer des négligences, soit on considère que les avions sont téléguidés, les immeubles sabotés et le Pentagone atteint par un missile. Et cette dernière hypothèse est bien celle d'un complot.

Inversement, quand on accuse les complotistes de négationnisme, on commet une confusion. Complotistes et négationnistes ont justement le tort de se polariser à l'infini sur le mode opératoire. Le but final du négationnisme consiste à nier le caractère intentionnel du génocide (voir aussi Unicité et négationnisme). La plupart du temps, il est ridicule d'accuser les complotistes d'antisémitisme. Leur but est presque uniquement une manifestation éclatante et spectaculaire de la défiance totale envers les gouvernements en général - et le gouvernement américain en particulier - ou envers les médias. Dire le contraire est de la mauvaise foi ou une tentative de manipulation si flagrante qu'elle renforce, chez les complotistes, leur thèse paranoïaque. Car accuser d'antisémitisme quelqu'un qui sait forcément lui-même qu'il ne l'est pas accrédite chez lui l'idée de manipulation (il en est de même pour le cas d'accusation d'antisémitisme envers ceux qui critiquent Israël).

Cette défiance complotiste a cependant un fondement avéré. On sait bien que le 11 septembre a servi de justification à la deuxième guerre du Golfe. On connaît les coupables de la manipulation qui a incriminé l'Irak qui n'y était pour rien : l'équipe de George Bush, celle de Tony Blair, etc. C'était bien un complot. Cette manipulation a déclenché une guerre (sans l'aval de l'ONU). Un des arguments a posteriori était de renverser la dictature de Saddam Hussein au nom du gazage du village kurde de Halabja en 1988, qui avait fait 5 000 victimes, suivi de la campagne Anfal, contre des villages kurdes qui aurait fait 180 000 morts. Saddam Hussein a donc été pendu pour cela. Le nombre de morts irakiens au cours de la guerre s'est élevé à plusieurs centaines de milliers (jusqu'à deux millions selon les évaluations). Et toute la question qui se pose aujourd'hui est de savoir si Tony Blair sera élu président de l'Europe ! On croit rêver !

La véritable question géopolitique actuelle est de redonner du crédit aux institutions, nationales et internationales. Cette affaire d'Irak a réduit à néant les prétentions occidentales à donner des leçons de démocratie. La seule vraie récusation à la théorie du complot ne concerne pas le 11 septembre. Toutes ces discussions infinies, comme les poursuites contre les dictateurs africains ou yougoslaves, ne sont que des diversions (un complot ?) dont sont victimes les tenants de la théorie du complot eux-mêmes. Une vraie « politique de civilisation » qui rétablirait la confiance des citoyens en la justice à l'échelle mondiale exige des sanctions à la mesure de leurs crimes contre les criminels de guerre et terroristes internationaux occidentaux. Il n'y a pas d'autre solution.

Jacques Bolo

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Notes

1. Ce qui est d'autant plus lassant qu'on finit par voir toujours les mêmes. Quand les situationnistes parlaient de « société du spectacle », ils faisaient référence au fait de vivre par procuration (en négligeant d'ailleurs la fonction cathartique, voir Debord). Le meilleur exemple correspond aux jeux télévisés, car nous regardons des gens jouer à notre place. Mais on en arrive à un stade de surenchère où l'on ne regarde que des stars jouer à notre place. [Retour]

2. Sur la question du renseignement, j'en reste à ma formation de QRN sur Bretzelburg, l'aventure de Spirou et Fantasio dans une dictature d'Europe centrale, où un roi manipulé par la junte militaire, bien que drogué, remarque quand même que c'est un peu bizarre qu'une émission de télé en direct saute. Les complots ne datent pas d'hier. [Retour]

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