En considérant, dans sa chronique du Figaro, du 10 janvier 2009, que Rachida Dati, Garde
des sceaux, n'aurait pas dû donner le nom de Zohra à sa fille, Éric Zemmour a franchi la ligne
jaune qui sépare le commentaire politique et la discrimination. Spécialement quand il déclare
à ce propos : « La France importerait-elle sur son sol l'affrontement de Gaza ? » !
Rappelons que l'affaire Siné avait concerné un commentaire sur la vie privée du
fils de Nicolas Sarkozy, supposé se convertir au judaïsme pour faire un riche mariage. Ce
pourquoi Siné avait été renvoyé de Charlie hebdo. Pour faire bonne mesure, il avait été accusé
d'antisémitisme, ce qui était pour le moins douteux (le 23 février 2009, Siné a été relaxé par
le tribunal de Lyon). Dans le cas de Zemmour, il n'y a pas de doute. Il s'agit de vie privée ET
de discrimination. Des parents arabes ou musulmans doivent avoir le droit d'appeler leur
enfant d'un nom arabe ou musulman. Il est fini le temps des Fet-Nat où les indigènes devaient
choisir les noms du calendrier [1]. D'autant que Zohra est un joli nom sans grande difficulté
d'assimilation pour les francophones. La seule conséquence pour l'enfant est qu'elle passera
en dernier en cas de classement alphabétique des prénoms. Ce qui peut être un avantage.
Contrairement à Siné, il n'y a eu aucune conséquence à cet écart de langage de Zemmour qui
révèle son maurrassisme. Pas de renvoi du Figaro où il travaille, ni des émissions de télévision
où il développe ses analyses politiques, pas de procès. Que fait la police ? Que fait la justice ?
Quel laxisme ! Quel relativisme ! Où va-t-on ? Apparemment, même ministre de la Justice, une
Arabe n'a pas les mêmes droits que les autres membres du gouvernement, qui ne se gênent pas
pour poursuivre ceux qui les mettent en cause.
Régression maurrassienne
C'est bien être maurrassien de considérer qu'appeler sa fille Zohra peut dissoudre l'unité
républicaine de la nation. Le cas Zemmour est symptomatique du néo-racisme républicaniste,
dans le meilleur des cas inconscient ou, dans le pire des cas, utilisant sciemment la légalité
pour criminaliser ceux qui en sont victimes [2]. Pourtant, aujourd'hui, le racisme est un délit. Sous Vichy ou sous le nazisme, la persécution des juifs était légale. Les criminalisateurs
pouvaient même considérer que la répression était alors une conséquence de crimes réels ou
imaginaires. La Nuit de cristal [saccage des magasins tenus par des juifs en Allemagne, le 9
novembre 1938] est la réaction, orchestrée par les nazis à l'assassinat d'un secrétaire
d'ambassade d'Allemagne en France, le 7 novembre précédent, par Hershel Grynszpan, un juif
conscient de la situation des juifs en Allemagne. Et l'antisémitisme en général est le propre de
ceux qui considéraient les juifs comme des personnes allogènes qui ne pouvaient pas s'intégrer
et qui dissolvaient l'identité germanique ou européenne. Les lois anti-juives de Pétain ont
commencé par abroger le décret Crémieux qui avait donné aux juifs algériens les mêmes droits
que les Français (en oubliant alors, il est vrai, les autres indigènes musulmans). La principale
conséquence du pétainisme a été d'exclure les juifs de l'administration et de certains métiers.
C'est encore le cas des étrangers pour l'administration en 2009. Leur tendance à rechercher
la naturalisation serait-elle la véritable cause de la tension ?
J'ai déjà mentionné que la régression maurrassienne semble être devenue la norme, y compris
chez ceux qui sont choqués par cette caractérisation. Il ne fait aucun doute qu'Éric Zemmour
est intelligent. Maurras aussi était intelligent. Zemmour est particulièrement compétent dans
son domaine. C'est un grand connaisseur de l'histoire politique et un grand observateur de
l'actualité. Contrairement à de nombreux commentateurs, il maîtrise parfaitement son sujet.
Ce ne sont pas ses informations qui sont en cause, ni même, la plupart du temps, ses analyses
de l'actualité. Ce qui est en cause, ce sont ses idées et ses choix politiques. Il a le droit de les
avoir, mais il n'a pas le droit de les confondre avec les informations qu'il donne.
Je parlais alors de « Maurrassisme comme incompétence ». L'incompétence de Zemmour consiste à ne pas savoir distinguer ses informations et ses idées personnelles. Son
statut d'éditorialiste aggrave cette incompétence, notoire chez les journalistes français. Très
souvent, le journalisme est un moyen de « faire de la politique par d'autres moyens ». Une
conséquence de cette confusion consiste à vouloir imposer ses vues personnelles comme une
vérité scientifique. On a connu ça avec le marxisme.
L'erreur de Zemmour et des maurrassiens est qu'ils confondent une nécessaire connaissance
de la culture française de la part des immigrés (sous réserve de différents niveaux et d'un
temps d'adaptation) avec une adhésion à une sorte de « catéchisme républicain ». Le problème
est qu'il s'agit davantage d'un catéchisme que de république. Il s'agit finalement d'une
adhésion à la tradition catholique, hypocritement généralisée à la tradition « chrétienne » par
un oecuménisme de circonstance. On sait que l'adhésion des catholiques à la République est
récente : il a fallu la Shoah. Et elle n'existait pas dans le maurrassisme. Ce maurrassisme
républicain est déjà une contradiction et une hypocrisie [3].
Réalpolitik
La critique par Zemmour du « droit de l'hommisme » appartient à cette conception qui dénie
ses droits au citoyen. Mais il est vrai que la notion de « république » est un euphémisme
(politiquement correct, comme dirait Zemmour) qui signifie surtout la dictature de la
majorité. Ce républicanisme se réduit le plus souvent au maurrassisme populiste qui manipule
des abstractions, et les images d'Épinal les plus éculées, en se revendiquant paradoxalement
du « pays réel ». Comme je l'ai déjà dit à propos de Finkielkraut, Éric Zemmour a des lectures
datées. Le problème est qu'il semble croire qu'il s'agit de science politique.
La science politique comme toutes les sciences empiriques, peut avoir tendance à considérer
les formes historiques concrètes comme seules possibles. Cela induit un biais conservateur ou
ethnocentrique. C'est ce qui permet à Zemmour de considérer le souverainisme comme plus
légitime et plus réaliste que l'universalisme. Sa tendance politique semble traiter d'idéalistes
les bobos ou les humanistes (toujours comme le faisaient les marxistes) sans envisager la
possibilité que cette réalpolitik ne soit qu'une vue de l'esprit comme les autres (toujours mon
relativisme). J'ai signalé un autre cas de réalpolitik dans « Hubert Védrine et le Rwanda ».
Comme je l'ai écrit dans mon livre Philosophie contre intelligence artificielle (note 125), on peut comparer cette attitude à celle du « sociologue allemand Max Weber qui
préférait, sur le mode réalpolitik, la bonne matérialité de la Prusse de son temps à l'illusion
universaliste ou humaniste. Aujourd'hui, les organisations internationales comme la Croix
rouge ou l'ONU existent toujours, mais ce royaume d'opérette a été démantelé comme de (pas
assez) nombreux autres. »
Mais surtout, d'où quand même un petit problème, on peut considérer que ce maurrassisme
mâtiné de nietzschéisme a été contredit par l'histoire. Cette connaissance ne semble pas avoir
été assimilée par certains qui reproduisent la leçon de Maurras en oubliant la leçon de
l'histoire. Dans mon article, à propos des néo-maurrassiens actuels, je disais
« Qu'est-ce qui permet de penser que Maurras avait d'autres intentions
qu'eux-mêmes ? Les conséquences ? Qu'est-ce qui permet de penser que cela
produira d'autres conséquences ? Parce que Maurras est méchant et que les
néo-maurrassiens sont gentils ? Qu'est-ce qui permet de penser que Maurras
qui se pose cette question [de l'identité nationale] est plus malhonnête
intellectuellement, ou mal intentionné, que celui qui se pose cette question
aujourd'hui, surtout en fournissant la même réponse ? Je suis un
positiviste. Je pense que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Mais
là est la subtilité (sinon ce serait trop facile [...]). La conséquence n'est pas le
génocide, mais une question de compétence intellectuelle. [...] L'ouverture du
monde et le pluralisme culturel actuels (dont les intellectuels comme Maurras
prenaient conscience au XIXe siècle), produisent les mêmes réflexions : cette
sorte de rationalisation identitaire chez tous les intellectuels et les personnes
instruites, aujourd'hui. »
Zemmour qui n'aime pas le politiquement correct doit s'attendre à ce qu'on lui oppose une
réplique aussi documentée et aussi franche que celle qu'il utilise. On peut comprendre qu'il
récuse les arguments gnangnan de ceux qui se limitent à invoquer les bons sentiments. Mais
si Zemmour veut jouer la franchise, il trouvera à qui parler. J'avais déjà signalé, à propos de
« nettoyer les banlieues au kärcher », de Nicolas Sarkozy : « Que des rappeurs s'offusquent
de termes agressifs fait un peu rigoler. Ce sont de bons élèves, finalement » (in « Les mots ne sont pas si importants »). Et j'ai également écrit une série d'articles « Peur des mots », pour critiquer la tendance actuelle qui consiste à considérer que des mots ou des expressions sont tabous, en croyant résoudre ainsi une discussion qui n'a donc pas lieu. C'est
le « politiquement correct », c'est-à-dire la bienséance, d'autant plus absurde qu'elle est
réclamée par des provocateurs ou des sortes de « révolutionnaires institutionnels » qui donne
à Zemmour un terrain de provocation facile.
Mais s'il veut secouer le cocotier, qu'il ne s'étonne pas qu'on lui secoue les puces quand il
dépasse les bornes. Chacun doit en assumer les conséquences, comme l'a fait Finkielkraut avec
ses propos sur les émeutiers de 2005. Finkielkraut synthétisera lui-même l'impression laissée
par son interview donnée à des correspondants du journal israélien Haaretz, publiée le
17 novembre 2005 : « Le personnage que désigne cet article m'inspire du mépris, et même du
dégoût. Je ne suis pas ce frontiste excité nostalgique de l'épopée coloniale. J'essaie seulement
de déchirer le rideau des discours convenus sur les événements » (« J'assume », Le Monde,
26 novembre 2005). Zemmour, qui est quand même beaucoup plus compétent en matière
politique que Finkielkraut mérite une réponse à son niveau. Il va nous falloir déchirer le rideau
des discours convenus sur la République qu'il invoque sans cesse, et remettre une fois pour
toutes les choses et les gens à leur place.
L'enfer républicain est pavé de bonnes intentions
Zemmour pourrait me répondre, avec cohérence, que son républicanisme vise au contraire
l'égalité des droits. Il n'y a aucune raison que je doute de ses intentions. Ma méthode, comme
je viens de le montrer à propos de Maurras, consiste à ne pas partir du point de vue de ses
adversaires pour juger quelqu'un, et à considérer que chacun se donne des bonnes raisons
pour agir, et non des mauvaises, évidemment [4]. À l'époque de Maurras, dans la mesure où ce
qui était affirmé était l'identité religieuse de la France, une bonne partie des chrétiens n'aurait
rien trouvé à redire à ce que les juifs et les musulmans (plus les athées, les socialistes et les
francs-maçons) se convertissent. Au contraire, ils auraient été accueillis, au moins par certains,
comme des fils prodigues ou des brebis égarées, dans le giron de notre sainte mère l'Église.
Alléluia !
Comme Finkielkraut, Éric Zemmour peut être considéré comme un chantre de l'intégration républicaine. Le fond de leur position consiste simplement en une banale généralisation de leur histoire personnelle : l'intégration républicaine a marché pour eux, elle peut marcher pour les jeunes blacks-beurs. Ils considèrent tous deux que le laxisme des professeurs est la cause du déclin scolaire. On peut leur accorder que les enseignants libéraux sont critiquables (voir « Comment doit-on enseigner ? »), contrairement à ce que ces professeurs croient eux-mêmes, car on a beau être libéral et laxiste, on n'en est pas moins homme et surtout professeur (et « ce n'est pas un professeur qui va avoir tort ! », comme disait un surveillant général dans ma
jeunesse).
Mais comme les modes de raisonnement de Zemmour et Finkielkraut sont l'histoire et la
littérature, et finalement surtout leur propre expérience, ils n'intègrent pas les données
sociologiques et économiques minimales selon lesquelles leur formation a eu lieu au cours de
la période de reconstruction et d'expansion dite des « trente glorieuses ». Durant cette période,
les effectifs enseignants de l'éducation nationale du seul second degré ont été multipliés par
quatre entre 1958 et 1978.
Année |
Nombre d'enseignants du
second degré (public) |
Croissance |
1958 |
66 387 |
- |
1968 |
164 906 |
248% |
1978 |
278 783 |
420% |
Source J. D. Reynaud et Y. Grafmeyer (Dirs), Français qui êtes-vous ?
|
Les élèves méritants issus des classes inférieures trouvaient alors automatiquement un
débouché qu'ils attribuent aujourd'hui à leur seul mérite. Comme si cet oubli et cette illusion
sur soi ne suffisaient pas, ils finissent donc par accuser ceux qui arrivent au mauvais moment
d'être des fainéants, des ignares et, finalement, non-intégrables. Zemmour et son alter ego
Finkielkraut retrouvent ici le biais connu de l'enseignant devenu réactionnaire en vieillissant
qui accuse ses élèves de son échec d'éducateur [5]. Un tel professeur devrait démissionner s'il
ne se sent plus capable d'assurer la mission que la République lui a confiée et qu'il semble
considérer comme une dette à son égard, dans une conception plus monarchique que
républicaine, voire simplement individualiste (« moi, moi, moi ! », comme dirait Finkielkraut).
Le fait est que la République doit bien une éducation aux élèves. Elle ne doit pas un poste aux
enseignants incapables ou dégoûtés, même s'ils n'ont pas forcément démérité par le passé. La
condition de leur statut est d'assurer leur service. À charge également pour eux d'actualiser
leurs connaissances et de ne pas sortir de leur domaine de compétence en se mêlant de
politique éducative s'ils ne sont capables que de débiter des lieux communs, usurpant ainsi
leur autorité.
Cela n'enlève évidemment rien au conseil avisé que Zemmour ou Finkielkraut peuvent donner
aux jeunes de travailler s'ils veulent réussir. La restriction voudrait qu'ils reconnaissent que
la réussite ne résulte pas seulement du travail. Et on peut quand même considérer que
certaines contestations se réfèrent aussi à une promesse républicaine non tenue, comme le
fameux « ascenseur social », surtout quand le contrat social et républicain n'est pas tenu pour
des raisons ethniques. Il ne s'agit pas ici de stratégie victimaire, mais d'une simple description.
D'ailleurs, de nombreux élèves issus de minorités réussissent. Il faut être aveugle ou mal
intentionné pour ne pas le voir. En général, ils refusent aussi la victimisation, en tenant ce
genre de discours de droite parce qu'ils ne supportent pas le discours misérabiliste de la
gauche, qui doit gérer sa clientèle. Peut-être n'est-ce là que l'histoire de Finkielkraut et
Zemmour eux-mêmes. Un simple effet de position.
Cela n'empêche en rien les possibilités d'injustices, qui peuvent être d'ailleurs plus
exceptionnelles que les réussites. L'affaire Dreyfus est un des mythes fondateurs de la gauche
qui caractérise la situation de minorités considérées comme non-intégrables par une partie de
la population coupable de cette attitude communautariste maurrassienne. On peut toujours
concéder à Zemmour que pour être docteur, avocat ou membre de l'état-major, il faudra bien
travailler un minimum et pas seulement bénéficier d'une politique de quotas. Il n'en demeure
pas moins que le résultat n'est pas acquis par des raisons exclusivement méritocratiques.
Par exemple, en France, depuis quelques décennies, il est exact que les médecins étrangers sont
payés deux ou trois fois moins que les médecins français dans les hôpitaux. On peut toujours
dire que c'est la loi qui veut que leurs diplômes ne soient pas reconnus - bien que ces
médecins soient pourtant utilisés comme tels. C'est donc la loi qui est mauvaise et l'hypocrisie
qui est avérée ou, ce qui revient au même, la République qui n'est pas assez républicaine. Alors
que les critiques des Zemmour-Finkielkraut sous-entendent que les immigrés ne sont pas
capables d'être médecins dans une conception héritée de l'époque coloniale (souvenir de leur
jeunesse).
Si les critiques de Zemmour bénéficiaient d'une meilleure documentation, elles pourraient
nuancer les poncifs républicanistes par l'information qu'il y a loin de la coupe aux lèvres, et
que la démocratie est un long combat. Il pourrait d'ailleurs informer les impatients que cette
situation ne date pas d'aujourd'hui. Comme je l'ai déjà dit sur le même sujet : « Le professeur Etienne-Emile Beaulieu, futur inventeur de la pilule abortive, raconte qu'il
a été recalé plusieurs fois au concours de médecine à Lyon [peu après la guerre], malgré ses
résultats, pour laisser passer les fils de médecins aux places qui leur étaient réservées. » Le
fait qu'il soit juif était-il en cause [6] ? Toujours est-il que l'exclusion des juifs sous Vichy montre que le « désir d'intégration » ne suffit pas quand il existe un « désir d'exclusion ». Nier
que l'exclusion existe encore aujourd'hui, de façon illégale, en en imputant la responsabilité
à ceux qui en sont victimes serait une bassesse si cela ne relevait pas de l'incompétence. Quoi
qu'il en soit, le verdict de l'histoire n'en est pas moins sévère. Comme je l'ai dit dans l'article
précité, on peut en conclure que « Finkielkraut [...et Zemmour donc] sont bel et bien du côté
des antidreyfusards [7] ».
Raison d'État
L'affaire Dreyfus est un bon exemple des conséquences de la raison d'État. On comprend très
bien la position de Zemmour. C'est la position machiavélienne ou nietzschéenne classique qui
définit la raison d'État contre l'illusion des droits de l'homme. Elle consiste à ne pas céder sur
le principe de réalisme et celui de la défense de ses propres intérêts nationaux, contre le
discours « bien pensant » (Zola, Lazare,...). Encore faut-il comprendre ce que sont les
véritables valeurs de la démocratie. L'affaire Dreyfus est une bonne illustration de l'opposition
entre l'option bien pensante qu'il vaut mieux avoir un coupable en liberté qu'un innocent en
prison, et l'option des défenseurs de l'ordre qui préfèrent un innocent en prison à un coupable
en liberté. C'est cette opposition qui permet précisément de faire la distinction entre
démocratie et la dictature.
C'est également la raison d'État qui fait passer cavalièrement les victimes civiles de génocides
par profits et perte pour assurer la continuité de l'État. C'est cette raison qui a fait négliger la
parole des victimes du génocide nazi à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale pour préférer
exalter le mythe de la France résistante, dans l'intérêt national bien compris. Il était d'ailleurs
bien connu que les juifs n'arrêtent pas de se plaindre de toute façon. Peut-être par
surcompensation, Zemmour n'est pas un adepte de la victimisation. Son imaginaire guerrier,
« marche ou crève », en ferait un adepte de la légion étrangère..., à moins qu'il ne soit du côté
des midinettes de la chanson « Mon légionnaire ». Car comme il a davantage le physique
d'Édith Piaf, il finirait plutôt mascotte du régiment.
On sait aussi que Zemmour est un grand admirateur de Napoléon 1er. La république à laquelle
il se réfère sans cesse pourrait très bien se réduire à l'empire. J'ai consacré un autre article à
la question de la distinction entre république et démocratie : « Feu la république... ». Voilà ce que j'en disais, pour résoudre la question qui concerne la nature du libéralisme démocratique (« liberté de la presse, d'opinion, de réunion, le suffrage universel, l'abolition de l'esclavage ») opposée au libéralisme sauvage (« s'en mettre plein les poches en se foutant des conséquences sur autrui ») :
« Une solution pourrait exister dans la thèse de l'historien Henri Guillemin sur
Napoléon [8], considéré précisément comme une sorte de seigneur de la guerre,
homme de main des bourgeois affairistes girondins, fossoyeurs de la
révolution [selon Guillemin]. Leur but conjoint aurait été de rançonner
l'Europe et le monde, en se moquant de la vie humaine, et en pervertissant les
institutions pour instaurer une dictature. Le génie de Napoléon aurait
essentiellement consisté à fonder une monarchie en s'appuyant sur une
imagerie révolutionnaire. Dans la mesure où cette imposture continue à faire
illusion deux cents ans après, on peut considérer qu'il a été particulièrement
efficace. Il faudrait dès lors considérer que « Empire », ou « bonapartisme »
(ou « Girondin ») désignent ce que visent généralement les marxistes,
altermondialistes, ou simples citoyens dégoûtés par les magouilles et les
égoïsmes. Mais c'est faire encore beaucoup trop d'honneur à cette époque
détestable et sans doute aussi limiter un peu trop la terminologie au contexte
français.
« On peut aussi considérer plus radicalement que l'Empire ne constitue pas un
détournement mais un accomplissement et que c'est la république elle-même
la cible véritable habituellement désignée par le terme « libéralisme
sauvage ». On peut en effet, en généralisant la thèse d'Henri Guillemin,
considérer les Français comme complices de Napoléon dans l'entreprise de
pillage de l'Europe dissimulée sous de grands idéaux. Notons d'ailleurs, outre
l'admiration sans bornes vouée à Napoléon depuis cette époque, que l'Empire
français était précisément identifié à la République pendant toute la période
coloniale (sorte de pillage généralisé au monde entier). Ce qui ferait ainsi
naturellement le lien avec le rétablissement de l'esclavage par Napoléon sur
lequel la République avait passé l'éponge. Comme c'est précisément le
libéralisme qui a aboli l'esclavage, la terminologie correcte pourrait être
rétablie : Démocratie libérale / Dictature républicaine. »
En outre, l'arrière-plan de l'idéal républicain était explicitement celui de l'ordre élitiste qui
régnait à Sparte, dont s'inspire la Révolution française, contre le foutoir discutailleur et
lobbyiste de la démocratie qui existait à Athènes. L'insatisfaction des républicains idéalistes
se fonde sur les imperfections de la démocratie athénienne comme sur celles des démocraties
contemporaines. Mais, il faut bien remarquer, comme pour l'ONU ou la Croix rouge contre la
raison d'État prussienne, que c'est bien Athènes qui subsiste alors que Sparte a disparu. On
peut considérer cependant que Rome ou l'Empire napoléonien en sont une synthèse. Leurs
mérites respectifs ont d'ailleurs surtout consisté à fixer dans les textes des institutions, dont
ils ne sont pas forcément les auteurs, et leur faute a justement consisté à chercher
constamment à les dénaturer.
Toute la question repose en vérité sur la confusion entre la raison d'État et le principe de
réalité, qui exige simplement que « ce qui doit être fait doit être fait ». C'est ce principe de
réalité qui motive, au fond, l'affirmation de la réalpolitik par Éric Zemmour. Une simple
confusion, due précisément aux glissements de sens que subissent les concepts aux cours des
manifestations historiques. Car les discussions démocratiques, droit-de-l'hommistes, ne
doivent pas être des moyens de se dérober à ses responsabilités. Mais c'est précisément la
raison pour laquelle ce sont les responsables qui doivent rendre des comptes aux citoyens. Car
ce qu'on nomme habituellement la raison d'État consiste surtout à étouffer les discussions
pour cacher les fautes ou les insuffisances des dirigeants ou d'un système. La confusion entre
les institutions républicaines et les personnages qui les incarnent, et qui finissent par se croire
tirés de la cuisse de Jupiter, fait régresser classiquement la république en empire.
On pourra me dire que Maurras n'est pas Drumont. Maurras défendait l'ordre. Mais il
considérait que cet ordre était la tradition catholique à laquelle, comme Napoléon, il avait la
réputation de ne même pas croire. Comme pour Zemmour, il pourrait n'en rester que les
prénoms du calendrier. L'ordre que défendaient Maurras et Napoléon était la raison d'État.
Cette république hiérarchique, cet « élitisme républicain », qui n'est légitimiste quand cela
arrange les roturiers qui en bénéficient, finit inévitablement en « noblesse d'empire »
héréditaire. Une telle noblesse roturière élitiste et autoritaire correspond finalement à une
forme historique parfaitement documentée : le fascisme, avec sa variante nazie quand elle est
plus spécifiquement raciste. Il faudrait que les républicains se ressaisissent pour devenir des démocrates.
Unité / diversité
On le sait, Zemmour vise plus particulièrement les musulmans et les Noirs dans ses diatribes.
Le fait qu'il soit d'origine juive pourrait être considéré comme un parti pris. Ici, encore, on
pourrait plutôt interpréter généreusement son attitude comme une manière un peu brutale de
secouer les puces des exclus et de les inviter à ne pas opter pour l'assistanat. Mais sa stratégie
consiste à prôner la négation de la diversité qu'il considère comme une illusion de bobos. Il
s'agit encore, une fois de plus, d'une erreur d'analyse de sa part.
Comme nous le voyons à propos du nom de la fille de Rachida Dati, sa position aboutit au
maurrassisme par un refus uniformisateur des différences visibles. Cette erreur d'analyse
républicaniste classique est aussi documentée. C'est ce qui avait fait dire à Raymond Aron, à
propos de la théorie célèbre de Sartre selon laquelle « on est juif dans le regard de l'autre »,
que cette idée est fondée sur l'ignorance de la réalité de la judéité. On ne peut pas la limiter
à l'attitude minoritaire des juifs assimilés et plus ou moins agnostiques (communistes ou
libéraux) que Sartre côtoyait à l'École normale supérieure, comme Aron et Zemmour eux-mêmes.
Aron rappelle, méthode sociologique oblige, qu'il existe bel et bien des juifs qui se
revendiquent d'une forte identité religieuse, éventuellement prioritaire par rapport à leur
identité française. Ces derniers rejoignent d'ailleurs en cela les chrétiens traditionalistes du
courant ultramontain. Mais tous les degrés existent dans les particularismes. Le courant
républicaniste choisit de les nier en croyant résoudre le problème, alors que la véritable
sociologie étudie les différences du pays réel sans les stigmatiser.
Je ne connais pas la position de Zemmour à propos de son judaïsme personnel. Le considérer
comme une question privée n'éclaire pas sur les différentes options. Car c'est cette négation
de sa propre identité qu'on appelle traditionnellement la « haine de soi ». Il est bien évident
que ce terme peut désigner une stratégie des juifs orthodoxes pour ramener au bercail les
brebis égarées, ou une stratégie discriminatoire des antisémites pour nier la possibilité
d'intégration au nom de la persistance de différences visibles (aussi anodines ou folkloriques
que les prénoms), ou même d'athées qui refusent l'intégration d'autres religions que celle à
laquelle ils sont habitués (ils supportent déjà les chrétiens, ils ne vont pas se coltiner les juifs
et les musulmans). Cette question se pose tout particulièrement de nos jours où les identités
religieuses et communautaires s'affirment.
Dans l'affaire du voile, l'exigence républicaniste de « limiter la religion à la sphère privée »,
comme le rappelle sans cesse Zemmour, signifie qu'on définit la sphère publique comme le lieu
de l'uniformité. La question est pourtant facile à présenter, sinon à résoudre. Même en faisant
beaucoup d'effort, un musulman traditionaliste ne va pas adopter les pratiques chrétiennes
ou athées pour le plaisir de s'intégrer (outre le fait que cette attitude est conjoncturelle, car
dans les années 1970, les Arabes étaient plutôt marxistes). Mais surtout, un Noir ne va pas
devenir blanc. Ce qui est bien la preuve de sa réelle mauvaise volonté. Je plaisante à peine.
Comme je l'ai déjà dit (Peur des mots : « Race ») :
Une bonne partie du racisme actuel consiste dans le fait qu'on prétend que les
immigrés ne sont pas assimilés tout simplement parce qu'on découvre avec
horreur que les gens ne sont pas identiques. L'école de la république ne réussit
donc pas sa mission ! Mais l'école républicaine n'a jamais réussi sa mission
uniformisatrice. Elle a essayé de réduire les patois et les particularismes par
la contrainte. On croyait qu'elle avait réussi. Mais ce n'était pas le cas. Quand
les religieux catholiques se sont mis à faire de la sociologie religieuse, ils se
sont aperçus que des proportions variables de prétendus croyants ne croyaient
pas aux dogmes classiques (divinité de Jésus, virginité de Marie, Trinité,
etc.) [9]. Au contraire, on ne parle aujourd'hui que des particularismes (corses,
bretons, basques, juifs, femmes, gays, noirs, beurs, etc.). L'échec est
consommé. Il n'est simplement pas assumé.
Le problème fondamental est que les gens sont différents. Ils peuvent être des hommes, des
femmes, des Blancs, des Noirs, des chrétiens, des musulmans, des juifs, des grands, des petits,
des moches, des beaux, des intelligents, des cons, de droite, de gauche, parler français, russe,
chinois, wolof, avoir une histoire et une culture différente, etc. Et surtout, ils sont des
individus qui rassemblent de façon inégale ces caractéristiques (ce que la gauche a aussi du
mal à digérer). Et pourtant, ils ont les mêmes droits. Égaux, mais différents. Ils n'ont pas à être
identiques (cf. Coluche : « Blanc : normal ! »). C'est comme ça et pas autrement.
Contrairement à une polémique qui a eu lieu à son propos, Zemmour n'est pas raciste parce
qu'il utilise le mot « race ». Son usage de ce mot s'oppose à la mode qui consiste à euphémiser
(dire « personne de couleur » pour « Noir »). Mais alors, pourquoi refuse-t-il la « diversité »
qui exprime très bien la situation nouvelle. Sans doute entraîné par ses lectures vieillottes et
ses mauvaises fréquentations réactionnaires, il semble céder en permanence à la régression
maurrassienne. Sa véritable position est banalement assimilationniste. Il ne comprend pas
l'égalité dans la différence. Comme un marxiste vulgaire, pour ne pas dire un vulgaire marxiste,
il ne comprend pas ce que signifient les « droits formels ». Ce qui est normal, puisqu'il combat
le droit-de-l'hommisme. Ferait-il d'incapacité, vertu ? Non, sa situation est plus banale : jouer
les partisans cyniques de la raison d'État fait partie de la formation normale à Sciences-po.
C'est juste un bon élève.
Face à ce déchaînement de la diversité visible, comme conséquence inéluctable de la
mondialisation, on peut concevoir que la résistance de Zemmour soit acharnée. Se prend-il
pour les Américains à Alamo (1836), Gordon à Khartoum (1885), ou la brigade légère à
Balaklava (1854) ? Ce serait plutôt, on s'en doute, Napoléon à Waterloo (1815). On le
comprend, car il s'agit dans tous ces cas d'une résistance illusoire devant la réalité. Serait-ce
aussi le sens profond de toute réalpolitik, qui n'a de « réal » que le préfixe ? La modernité
actuelle est pluraliste et relativiste. On peut le regretter, et regretter l'époque de la république
une et indivisible, quoique coloniale. Face à cette nouvelle situation, la réponse historique
correcte est plutôt celle de la « tolérance » envers les différences, comme à l'époque du
protestantisme, contre le principe féodal « cujus regio, Ejus religio » qui veut qu'on se
soumette à la religion du prince.
Si on s'appuie sur ce genre de référence historique, on peut considérer que le mécanisme
intellectuel souverainiste de Zemmour - et celui du conservatisme en général - est simplement
réductible à une phase antérieure aux Lumières et à toute la modernité intellectuelle. Le
relativisme, en permettant le décentrement, constitue un stade de l'intelligence, tant individuel
que collectif, dans l'évolution des sociétés. C'est ce stade relativiste élémentaire qui permet à
l'enfant de comprendre que « le mien » peut être aussi celui de la personne qui est en face de
lui. Dans l'histoire, c'est la découverte de l'Amérique qui a bouleversé la conception
ethnocentrique. Ce qui a permis à Las Casas de prendre le parti des Indiens. Le relativisme
s'est particulièrement illustré en France, de Montaigne à Rousseau, au point d'être constitutif
de son identité et de son universalisme. La réponse du courant ethnocentrique a été
l'esclavage, que le héros de Zemmour, Napoléon, s'est empressé de rétablir, toujours par
réalisme, parce que la rigolade des droits de l'homme, ça va un moment [10].
Un jour, sur un des plateaux de télévision où il est devenu une sorte de vedette, Zemmour a
lucidement avoué, alors que rien ne l'y obligeait, qu'il ne comprenait pas l'expression « mutatis
mutandis » quand il était étudiant à Sciences-po [11]. Ceci n'est pas pour nous étonner. Cette honnêteté candide est tout le personnage d'Éric Zemmour, que manifeste son grand rire
touchant quand il est mis devant ses contradictions. Un tel homme ne peut pas être
entièrement mauvais.
Au-delà de sa personne, il faut comprendre le cadre médiatique dans lequel il est mis en scène
pour nous divertir et pour nous révéler l'état du réel dans lequel nous vivons en lui donnant
une visibilité maximale. On n'est plus dans le monde révolu qui sert de référence à Zemmour,
qu'on pourrait circonscrire à la vieille ORTF, pour laquelle ce qui était montré à la télévision
était laborieusement composé comme un modèle à suivre surjoué. Ce qui nous est donné à voir
aujourd'hui, c'est le monde tel qu'il est, plus spontané, y compris dans sa scénarisation.
Et Zemmour, comme tout le monde, fait honnêtement ce qu'il peut, avec les limites qui sont
les siennes, et qu'il exhibe, ou même qu'il explicite, à chacune de ses interventions. Il a
simplement le tort de croire que ses propres limites constituent l'essence de la France, alors
qu'il élimine un apport essentiel de cette culture française à l'histoire universelle. Il commet
l'erreur classique de refuser les autres apports au nom de cet universalisme a priori, dont
Zemmour ne semble avoir conservé que le nombrilisme.
Sous bien des aspects, si elle continue sur cette pente, la situation dans laquelle risque de se
trouver la France est celle de la fermeture du Japon avant l'ère Meiji, ou de la Chine, il y a peu,
et de la Corée du nord actuellement. Cette fermeture ne s'est pas faite toute seule. Ce sont bien
les idéologues de chaque époque de ces pays là qui ont refusé d'intégrer les apports extérieurs
en se repliant sur eux-mêmes. Alors que le travail de l'intellectuel est de traduire les apports
extérieurs pour permettre de les intégrer. C'est notre défi actuel. Et c'est le biais des idéologues
d'avoir une guerre de retard.
Jacques Bolo
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Notes
1. Les références datées de Zemmour lui font sans doute croire que la loi 11 germinal an XI, qui restreignait le choix
des prénoms, est toujours en vigueur : « Les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus dans l'histoire ancienne pourront seuls être reçus, comme prénoms, sur les registres de l'état civil destinés
à constater la naissance des enfants ; et il est interdit aux officiers publics d'en admettre aucun autre dans leurs
actes. »
Mais cette contrainte a été progressivement levée en 1966, en élargissant le choix aux prénoms tirés de la mythologie,
aux prénoms régionaux, aux diminutifs ou variations (Zohra étant une variation de Rose, Rosa) et en 1981 pour
aboutir en 1993, à l'article 57 du Code civil : « Tout prénom inscrit dans l'acte de naissance peut être choisi comme prénom usuel. Lorsque ces prénoms ou l'un d'eux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent
contraires à l'intérêt de l'enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur patronyme, l'officier de l'état civil en avise
sans délai le procureur de la République. Celui-ci peut saisir le juge aux affaires familiales. »
Le procureur républicain Zemmour se contente d'en appeler à l'opinion publique. [Retour]
2. À propos des émeutes de 2005, j'écrivais dans l'article « Le pari perdu d'Alain Finkielkraut » :
« Quand on accuse les émeutes d'être sans voix, il est facile de se demander qui aurait pu être
la voix de ces émeutes. En France, on ne peut pas ne pas penser immédiatement à des exemples
comme celui de Zola à propos de l'Affaire Dreyfus. Or il se trouve que Finkielkraut a consacré
une émission (le 17.6.2006) à une sorte de réhabilitation du fait que Dreyfus aurait été lui-même
sans voix. Il n'aurait pas été à la hauteur de son affaire selon des commentateurs aussi illustres
que Péguy : « Dreyfus [...] indigne de cette investiture » ou que Blum : « Pas le moindre
mouvement de révolte. [...] S'il n'avait pas été Dreyfus, aurait-il même été dreyfusard ».
« Cette troisième émission peut servir de grille pour expliquer l'interprétation si peu
démocratique des émeutes quand on constate que la glorification de l'attitude de Dreyfus
(légitime comme attitude personnelle) est, selon Birnbaum, invité de l'émission de Finkielkraut,
celle d'une « dévotion à l'égard de l'État. S'il ne crie pas son indépendance [innocence a-t-il voulu
dire], s'il ne supplie pas, il ne plie pas néanmoins. [...] tout le destinait à attendre justice de l'État [...], un fou de la république, un soldat ». Voilà donc la solution pour les émeutiers. Attendre
justice de l'État. [...]
Même Finkielkraut déclarera : [...] « Cette dévotion ne contribue-t-elle pas à l'aveugler [...] au
moment où l'État, pour des raisons qui tiennent du refus de la démocratie et à un antisémitisme
très vif met en marche une terrible machination contre lui ? ».
On voit ce qu'il en est dans la France d'aujourd'hui. Comme au début du XXe siècle, certains sont considérés comme
suspects, et tous leurs actes sont interprétés pour leur dénier la qualité de Français. Comme au contraire on n'arrête
pas de faire de procès pour antisémitisme, il faut donc en conclure que la France est une société qui passe son temps
à exorciser symboliquement ses crimes passés sans faire la transposition conceptuelle nécessaire. [Retour]
3. On consultera avec profit le texte de Bernard Lazare, Contre l'antisémitisme, où il anticipe la Shoah... par comparaison avec la Saint-Barthélémy. [Retour]
4. Les mauvaises intentions existent chez certains qui utilisent des bonnes raisons fournies par les intellectuels, dont c'est le travail. Mais ces bonnes raisons sont l'hommage que le vice rend à la vertu. Le devoir de ceux qui ont des bonnes intentions est de trouver des intellectuels fournisseurs de meilleures raisons. Les contes pour enfants nous
ont appris qu'il ne fallait jamais refuser de payer leur dû aux joueurs de flûte. [Retour]
5. Comme je le rappelais dans « Le pari perdu d'Alain Finkielkraut » :
£££££« Dans une émission de France culture, « Mémorables » du 10.7.2006, Maurice de Gandillac eut l'occasion de rapporter une grande vérité à propos de la carrière académique. Selon son professeur Auguste Bailly : « Si vous n'êtes vraiment bon à rien, devenez professeur. (...) Généralement, on ne va pas accuser les professeurs des échecs
de leurs élèves. C'est toujours les élèves qui sont accusés, pas le professeur. » On constate que les partisans de l'école
républicaine ont retenu la leçon. Et on remarque aussi qu'on donnait bel et bien des conseils de carrière à une
époque où l'enseignement conduisait au professorat plutôt qu'au chômage. Ces conseils ont été suivis par certains,
même s'ils ont oublié aujourd'hui de théoriser et de contextualiser leur propre situation. Mais ils n'ont pas appris
le relativisme sociologique. » [Retour]
6. Il était lui-même fils de médecin, mais son père, qui avait exercé à Paris mais venait en réalité d'Alsace (sous domination allemande avant 1918), était décédé précocement. On imagine la situation pour ceux qui n'étaient même
pas fils de médecin. [Retour]
7. J'ajoutais alors : « Accordons-leur qu'à l'époque de Dreyfus, ils auraient disserté sur Voltaire et l'affaire Callas. ». [Retour]
8. Henri GUILLEMIN, Napoléon Tel quel, ed. Trévise, 1969. [Retour]
9. Comme en Union soviétique, les communistes athées croyaient en avoir fini avec la religion par la loi, sans se donner la peine de convaincre. Ils croyaient sans doute que les Lumières se diffusent par décret (oukases). La réalité s'est chargée de leur fournir l'enquête sociologique qu'ils avaient décidé de ne pas conduire (comme les statistiques ethniques). [Retour]
10. Passer sur le rétablissement de l'esclavage par Napoléon, comme l'avait fait Max Gallo (voir Les bienfaits de la colonisation, Note 5), au nom de la République, de la raison d'État et de l'aventure guerrière, est équivalent au fait de passer sur le génocide des juifs par les nazis au nom de l'identité culturelle allemande, de l'ordre et des autoroutes, ou sur les massacres du communisme au nom de la défense de la patrie des travailleurs. Le point commun est le mépris de l'individu, c'est-à-dire de la diversité. [Retour]
11. Comme comprendre l'expression « mutatis mutandis » me paraît un minimum, il est donc avéré qu'Éric Zemmour a bénéficié du laxisme actuel, qu'il dénonce pourtant, en obtenant son diplôme. À moins qu'il n'y ait dans cette école un quota d'identitaristes à maintenir, à titre documentaire, pour observation anthropologique et pour préserver cette
diversité culturelle que Zemmour refuse. [Retour]
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