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Europe - Juillet 2008

Union sous-européenne

Nicolas Sarkozy a eu l'idée d'une « Union pour la Méditerranée ». Pourquoi une Union POUR la Méditerranée, et non une « Union méditerranéenne » ? Sans doute pour ne pas rappeler « Union européenne ». On imagine que c'est la solution pragmatique trouvée pour justifier le rejet de l'adhésion de la Turquie à l'UE.

Mais au final, tous les pays d'Europe du nord participent aussi à cette Union pour la Méditerranée. Dans ce cas, cela revient bien à associer les pays du sud de la Méditerranée à l'ensemble de l'Union européenne, sans les intégrer comme membres de plein droit. Vu le niveau des anciens pays de l'Est (spécialement la Roumanie et la Bulgarie), on ne peut pas invoquer le niveau économique pour repousser leur adhésion.

Pour ceux qui l'auraient oublié (plan Alzheimer oblige), François Bayrou, ardent Européen, s'était fait connaître en lançant la campagne pour le référendum de 2005 sur la constitution européenne par son opposition à l'entrée de la Turquie (en jouant sur les mots, évidemment, voir « L'Europe sans la Turquie »). Ce qui n'était pourtant pas le sujet. Les autres lui avaient emboîté le pas sur ce thème. Même la gauche, avec le plombier polonais, avait cédé à la xénophobie protectionniste, montrant que la gauche laïque considère les catholiques polonais avec autant d'aménité que la droite et l'extrême droite les musulmans turcs. La trahison de sa conviction européenne par Fabius peut bien être considérée comme une surenchère sur l'appel du pied de Bayrou aux électeurs du Front national. Bayrou et Fabius ont joué, gagné, et finalement perdu (la présidentielle).

Bayrou l'imposteur a déclaré qu'il ne refusait pas l'entrée des Turcs parce qu'ils sont musulmans ou parce qu'il voudrait que l'Europe soit un « club chrétien », évoquant les Bosniaques et les immigrés comme preuve. Un club chrétien avec un seuil de tolérance est plutôt une circonstance aggravante. Les électeurs du FN ne lui auront pas été reconnaissants d'avoir engagé le débat sur ce terrain. Ils ont porté leurs voix sur Nicolas Sarkozy. Plus tard, Bayrou n'a pas accepté non plus la main tendue de Ségolène Royal et lui a porté l'estocade. Mais ceux qui ont rejoint le parti de Bayrou en se prévalant de la morale ont construit leur château en Espagne sur du sable. Leur crédibilité est tout simplement aussi nulle que celle de Fabius. La bassesse en politique a une limite : l'inefficacité.

Ce rejet des pays bordant la Méditerranée repose sur une compréhension progressivement dénaturée de l'Union européenne. Sous prétexte de ne pas faire « seulement un grand marché », on en vient à poser toujours plus de conditions, que les membres s'empressent d'ailleurs de ne pas respecter sous n'importe quel prétexte. Il ne reste plus à « la grande idée de l'Europe » que des arrière-pensées.

L'argument préféré qu'on entend pour le rejet de la Turquie est qu'il faudrait intégrer 70 millions d'habitants. Ne parlons même pas de tout le pourtour méditerranéen [1]. Mais c'est précisément ce qui ferait de la zone un très grand marché qui profiterait aux entreprises de l'Union. Il est vrai que du fait des liens économiques actuels, cela ne modifierait pas grand-chose. Mais la solution duale adoptée revient à créer des citoyens de seconde zone, sans droit de vote. Ce statut obère forcément leur développement, puisque cela revient bien à établir des barrières douanières avec les coûts de la bureaucratie correspondante.

Au final, c'est bien l'ensemble constitué par une grande union qui perd son intérêt, si on crée des cas particuliers. Quand on prétend vouloir une Europe politique, avec des « valeurs démocratiques » ressassées jusqu'à la nausée, il est de mauvais augure de considérer que le statut personnel des citoyens n'en fait pas partie !

On se demande parfois ce que les gens des périodes précédentes avaient dans la tête en ce qui concerne les rapports humains inégalitaires. Eh bien, maintenant, on le sait ! On vient de réinventer le statut de l'indigénat ! Inutile de dire que, sur le plan éthique autant que pratique, l'Europe se discrédite totalement. Car une Grande Europe aurait bien un effet d'aider à la démocratisation de toute la zone.

Mais il faut reconnaître aussi que, par une ruse de la raison, on vient de reconstituer l'Empire ottoman !

Jacques Bolo

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Notes

1. En millions d'habitants : Turquie = 71, Syrie = 19, Liban = 5, Israël = 7, Égypte = 79, Libye = 6, Tunisie = 10, Algérie = 35, Maroc = 34 (Total = 266 millions), soit à peu près autant que l'Union européenne actuelle. [Retour]

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