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Politique - Juillet 2007

Rupture (épistémologique)

Urgence

Notre nouveau président, Nicolas Sarkozy, met en avant le thème de la rupture et veut aller vite. Il tient compte ainsi de la doctrine récente du commentaire politique : il faut profiter de l'état de grâce, il ne faut pas perdre de temps. Les réformes ne seraient possibles que la première année, voire les six premiers mois. Après, il serait trop tard. La machine administrative se ressaisirait et l'engourdissement reprendrait le dessus.

Le quinquennat ne serait-il donc pas suffisant ? Faudrait-il des élections présidentielles tous les deux ans ? Les journalistes seraient contents. Enfin, un peu d'action ! Les tirages augmentent, l'audimat explose, on s'intéresse enfin à la politique ! Apparemment, d'ailleurs, Nicolas Sarkozy a compris le truc. Il nous propose une campagne présidentielle permanente. C'est le bon client idéal.

Révolutions contre réformes

Le diagnostic semble reposer sur l'observation classique : la France n'est pas réformable. Les corporatismes la figent. On y accumule les mécontentements. Puis tout explose. L'idée qu'il faut réaliser des réformes le plus vite possible peut paraître logique. Mais cela ressemble un peu trop à des petites révolutions, suivies, conformément à la tradition, de réactions sclérosantes. C'est notre petit éternel retour national.

Et si ce n'était pas la bonne solution ? Et si la réforme consistait à affronter tranquillement les problèmes. Ces problèmes, d'ailleurs, continuent souvent à se poser après qu'une énième solution miracle nous promette des lendemains qui chantent. Serait-ce une ruse de la raison, sur le mode : « il faut que tout change pour que rien ne change » ? Certes, prendre le contre-pied, ne veut pas dire qu'il faut que rien ne change pour que tout change. Mais si certaines choses changeaient, un peu, progressivement, en vérifiant les résultats, peut-être qu'on constaterait des réformes durables (pour changer). Ce serait une vraie rupture.

Volontarisme ?

Mais cette hypothèse accorde encore trop d'importance à la politique. Quel est vraiment le rôle du sommet, du leader, de l'homme providentiel qui va nous sortir de notre torpeur ? Loin de moi l'idée de nier le rôle des initiatives individuelles. C'est précisément parce que des initiatives ont lieu à tous les niveaux et tous les jours que je doute que ce soit le pouvoir central qui les suscite. Les véritables révolutions de la vie quotidienne n'ont pas souvent été le fait des gouvernements. Les révolutions sont plutôt technologiques, et les moeurs s'adaptent. Au mieux, les gouvernements rattrapent le retard institutionnel par des mesures symboliques.

Le volontarisme peut effectivement libérer certaines initiatives. Certaines personnes portées par le discours dominant peuvent se sentir stimulées. Mais il existe déjà des gens énergiques qui n'ont pas attendu l'aval du gouvernement. Et on peut, au contraire, craindre les conséquences d'un certain autoritarisme, tendance naturelle de l'exécutif. L'effet serait alors de brider les initiatives non conformes, la majorité silencieuse attendant que ça passe, comme d'habitude. D'autant que la meilleure opposition à un régime autoritaire consiste précisément à traîner les pieds. Car on ne peut pas forcer quelqu'un à prendre des initiatives, spécialement les initiatives innovantes qui dérangent.

Nicolas Sarkozy a un peu trop tendance à tirer la couverture médiatique à lui pour rendre compte du processus réel de ces initiatives individuelles. Sa stratégie personnelle risque de renforcer l'incapacité notoire à déléguer, propre à la mentalité française (je ne m'exclus pas du lot commun en la matière). C'est d'ailleurs sur ce plan (et au prix d'un effort sur moi-même) que j'avais trouvé intéressante la stratégie de Ségolène Royal. C'était elle qui représentait une véritable rupture, avec ses jurys citoyens et son approche participative. C'est sans doute aussi pour cela qu'elle a perdu. Elle a eu l'imprudence de révéler le pot aux roses : elle ne savait pas tout. D'où son surnom de Bécassine. Et le sens profond de sa démarche consistait bien à restituer aux gens leur initiative (sans doute un peu trop dans le domaine sociétal seulement). Ce qui est bien une sorte de contre-emploi dans le schéma droite-gauche.

Défi théorique

La position de Sarkozy, entre libéralisme et volontarisme, entre moins d'État et plus d'État, n'est pas si évidente, et peut ajouter à la confusion. Cette contradiction théorique pourrait avoir des conséquences dans l'action. Contrairement à la tendance anti-intellectualiste du sarkozisme, la question fondamentale repose sans doute sur la capacité à relever ce nouveau défi théorique. Une redéfinition de la place des économies nationales, de l'État, de l'initiative individuelle, est nécessaire, en tenant compte de la réalité de la mondialisation. Le défi des politiciens est de produire un discours qui permette aux citoyens de s'adapter aux réalités au lieu de reprendre les idées de sens commun, qui correspondent toujours à de vieilles théories.

Pour la gauche, actuellement, le libéralisme sert de repoussoir (voir Feu l'antilibéralisme). Il faudrait donc que la droite résolve ses contradictions. Car la droite est coincée en refusant que l'État soit créateur ou répartiteur de richesse, alors même que les décisions prises par un gouvernement bénéficient toujours, directement ou indirectement, à un groupe particulier contre un autre.

De plus, si l'État supprime des fonctionnaires et limite au maximum la production législative, les seules tâches régaliennes, certes nécessaires, n'offrent guère de marge de manoeuvre. Heureusement qu'il y a des étrangers à expulser et des délinquants en incarcérer, sinon, il ne resterait plus que la possibilité d'organiser des guerres de temps en temps. Ce qui, au passage, explique aussi bien des choses au niveau international.

Apocalyptique ?

En dramatisant à l'excès, on semble supposer que Nicolas Sarkozy représente le seul espoir d'une France irréformable. Ce qui est non seulement contraire à la réalité des changements qui ont lieu depuis toujours (et plus particulièrement ces dernières décennies), mais aussi de mauvaise méthode. L'authentique réforme est progressive et procède méthodiquement, c'est-à-dire par essais et erreurs. Les essais, et surtout les erreurs, se produiront de toute façon. Ne pas l'envisager dès le départ incite à penser qu'on va devoir tenter de les dissimuler. Il est donc absolument inutile de prendre le risque de décourager complètement les futurs déçus du sarkozisme, ceux qui pensent que ça ne va pas assez vite, ceux qui pensent que ça va trop vite, ou ceux qui ne sont pas d'accord sur telle ou telle mesure.

Avec cette stratégie fondée sur la rupture, le problème devient celui d'éviter la démoralisation en cas d'échec. Sur ce plan aussi, on sait depuis longtemps qu'il faut adopter le modèle américain, qui permet de rebondir après un échec, spécialement dans le domaine de l'entreprise. Pour le moment, l'idée de rupture me semble plutôt correspondre au modèle français, ou napoléonien, de fuite en avant, qui consiste plutôt à brûler ses vaisseaux et jouer son va-tout. Ce qui peut finir, on peut le craindre, par la roulette russe.

Jacques Bolo

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