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Politique 29.10.2009

Les Jurys citoyens révoqués

Accountability

Quand que j'étais traducteur, en 2003, j'avais eu quelques hésitations, a propos du terme accountability, dans des documents officiels, dans la mesure ou il était employé en association directe avec responsibility, de façon répétitive. À cette époque, les organisations internationales, en particulier le Mouvement des pays non alignés, le Mouvement des Démocraties Nouvelles et Rétablies, ou les Objectifs de développement du millénaire des Nations-unies, débattaient des moyens d'améliorer la gouvernance des pays en développement ou des nouvelles démocraties.

J'avais donc utilisé les variantes « responsabilité » et « nécessité de rendre des comptes », moins pour être maniaquement fidèle à l'original que pour expliciter un peu la notion de responsabilité. J'aurais pu utiliser « responsabilité devant les citoyens », mais la distinction aurait été faible avec le mot « responsabilité » seul. Concrètement, je m'étais posé la question de savoir s'il existait un mot pour abréger cette formule « nécessité de rendre des comptes ». Car je n'allais pas créer une sorte de néologisme un peu puriste du genre « comptabilité devant les citoyens » ou sur le mode heideggerien [1] « ac-comptabilité » qui aurait aussi l'inconvénient de ne pas être distingué à l'oral (avec l'article) d'avec « la comptabilité ».

Le mot et la chose

Il n'est évidemment pas question de prétendre que la chose n'existe pas en France, puisqu'on emploie généralement le mot responsabilité. Mais du fait que le mot soit trop général ou que la chose soit un peu galvaudée, il est parfois bon de préciser un peu. En outre, l'idée de « responsabilité devant les citoyens » est généralement utilisée pour désigner de façon assez restrictive le seul moment des élections. Ce qui signifie concrètement qu'on ne semble contrôler l'action des élus qu'après coup.

Le thème, lancé par Ségolène Royal, des jurys citoyens et plus généralement de la démocratie participative me semble aller dans le sens de cette accountability / nécessité de rendre des comptes. Concrètement, les jurys citoyens sont bien un des moyens de la démocratie participative qui resterait un peu vague sans ce genre de précision et de dispositif institutionnel pratique.

Rupture et continuité

Bizarrement, cette proposition a provoqué une levée de bouclier de la part de la classe politique et de certains commentateurs : « Cette proposition crée l'ère du soupçon » selon François Bayrou ; elle « ramène à des expressions d'un autre âge et souvent funestes, comme les comités de salut public de la Révolution française » selon Dominique de Villepin ; des « soviets » selon Jean-Marie Le Pen ; « elle a été inspirée par Le Pen ou Mao Tsé Toung, c'est totalement ubuesque et grave » selon son collègue socialiste André Laignel ; « C'est de la démago pure et simple » selon le ministre Xavier Bertrand ; « Outrancièrement populiste » pour Nicolas Sarkozy.

On le voit, la campagne présidentielle est commencée [2] ! Pourquoi se scandaliser ainsi pour une réalité qui existe largement déjà, comme évoqué précédemment, sous le terme de responsabilité. Des dispositifs concrets existent aussi : la justice pour les plaintes contre les élus ; tout simplement les rencontres avec les citoyens et les associations ; c'est aussi une fonction des sondages si appréciés des hommes politiques ; la Cour des comptes ; les commissions d'enquêtes parlementaires...

Au pire, il ne s'agit donc que d'un instrument de plus, dont l'intérêt me semble être le fait que les citoyens sont tirés au sort. Ceci évite les dialogues en vase clos, par relation, qui ne sont que trop le lot des hommes politique. Le fait de sélectionner au hasard dans une structure officielle donne aux personnes choisies un sentiment de responsabilité dû à la fonction (sinon cela revient à nier aussi les jurys populaires aux assises). Cela peut donner aussi aux citoyens un nouvel intérêt pour l'action publique. Une structure officielle, dont il faut évidemment définir les pouvoirs, permet surtout d'éviter que sa prise en compte, ou sa simple publicité, soit soumise au seul bon vouloir de l'élu. Il s'agit d'un petit contre-pouvoir de plus contre les régressions monarchiques ou égocentriques.

Bonne gouvernance

On a parfois l'impression cependant que les leçons de démocratie sont seulement valables pour les « Démocraties Nouvelles et Rétablies ». Les pays occidentaux semblent parfois raisonner comme si leurs pratiques institutionnelles étaient parfaites, voire culturellement génétiques si l'on peut dire. En somme, la démocratie n'aurait pas d'histoire, et nous n'avons pas de leçons à recevoir, seulement des leçons à donner. Comme nous sommes bons !

Christian Losson, dans un article de Libération du 25.10.2006, « Jurys citoyens contre crise démocratique » rappelle l'ancienneté de la notion. Elle s'identifie d'ailleurs plus ou moins à la démocratie, les dispositifs existants actuellement n'étant que des solutions parmi d'autres. Des mécanismes participatifs, tels que les jurys citoyens ou ses équivalents, comme ceux mis en place à Porto Alegre, Berlin, Barcelone et dans deux cents villes du monde peuvent être importées ou testées. Ce serait une illustration concrète et vivante du multilatéralisme.

Jacques Bolo


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Notes

1. Je ne suis pas non plus un fan de la langue originale (voir L'idéal de la mauvaise traduction). [Retour]

2. Il est un peu facile de penser que les élus veulent seulement conserver leurs prérogatives plus ou moins despotiques. Outre la mauvaise foi en période de campagne, il me paraît plus simple de considérer qu'il s'agit d'un certain conformisme. En France, on commence par dire qu'on n'est pas d'accord, de traiter l'autre de tous les noms (fasciste, antisémite, stalinien...), après on discute. Quel beau pays ! [Retour]


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