Quelle action écologique ?
On peut toujours signer le pacte écologique de Nicolas Hulot. Il incarne bien la généralisation
de la conscience écologique dans le grand public : ce n'est pas une récupération médiatique,
mais une authentique diffusion de l'intérêt pour l'écologie (chez les personnages médiatiques).
Les écologistes ne sont cependant pas vraiment prêts à intégrer cette extension de leur
audience. Et ce que suppose ce pacte correspond à cet autre écueil de la conscience
écologique qu'est le mode moralisateur. Concrètement, cette idée que nous sommes tous un
peu responsable, et que nous pouvons tous faire un petit quelque chose, pour n'être pas
complètement fausse, aura surtout deux conséquences désastreuses. D'un côté, les écolos-moralistes tatillons (et n'oublions pas les enfants !) vont nous empoisonner la vie. De l'autre les
obsédés de la liberté (partisans de la cigarette, la vitesse, etc.) vont se faire un devoir d'ouvrir
leur grande gueule. Voilà deux pollutions de l'environnement et des débats dont on aimerait
bien se passer. Nicolas Hulot a ouvert la boîte de Pandore des emmerdeurs.
Ces propositions, classiques chez les écologistes, sont aussi discutables sur leurs principes
mêmes. Elles reposent souvent sur le goût, enfantin et infantile, pour les grands chiffres. Il est
vrai que si tout le monde donnait un euro à un clochard, il serait milliardaire. Si tout le monde
économise un litre d'eau par-ci, un litre d'essence par-là, on obtient effectivement des millions
de mètres cube ou de barils. Mais cela ne fait quand même toujours qu'un litre par personne.
En fait, cette opération ne marche vraiment que dans un sens, surtout avec l'argent, mais pas
pour les clochards. C'est plutôt la situation qui explique les salaires mirifiques des patrons ou
des stars de cinéma et de la télévision ! Car si on répartissait ces salaires, cela ne ferait que
quelques dizaines d'euros pour chacun [1].
D'autant que quand on connaît vraiment les chiffres de la consommation de l'eau par exemple,
on sait que la consommation de l'agriculture est d'environ 68%, celle de l'industrie 8%, et des
ménages 24%. Mettons que les foyers économisent 10% de leur consommation,
cela fera donc 2,4% d'économie. Allez, économisons 20%, cela fera donc 5% d'économie.
Espérons que la facture n'augmentera pas quand même, parce que vraiment, nous aurions un
peu l'impression que nos euros iraient toujours dans les poches de certains (voir plus haut).
Ici aussi le zèle écolo est un peu lassant. Un père de famille, de retour de voyage dans un pays
du sahel, a déclaré que toute sa famille va désormais économiser l'eau, parce qu'ils se sont
rendu compte de ce que c'était de ne pas jouir du confort. Franchement, il faudrait un peu
arrêter les conneries. Dans le désert, on n'économise pas le sable, ni la glace au Groenland [2].
Cela ne veut pas dire pour autant qu'on gaspille, mais de là à se priver ! Voilà donc ce que les
écologistes enseignent aux enfants ! Certes, ce n'est certainement pas vrai pour tous les
domaines de l'écologie, mais c'est un effet constaté de ce discours.
On pourrait aussi relever certains critères qu'on veut imposer. Après une température
conseillée de 18° au moment de la première crise du pétrole en 1973, voilà maintenant qu'on
peut lire qu'il faudrait se limiter à 16° (et pourquoi pas 14°) : « Le froid, ça conserve ! ». Le froid
conserve la viande ou les légumes. Mais sur notre bonne vieille planète Gaïa, les zones
tempérées sont beaucoup plus peuplées. Il doit bien y avoir une raison. Et comme il est assez
peu probable que nous mutions à court terme, le résultat pourrait bien être une sélection
naturelle des plus faibles (ce n'est pas grave, la mort, c'est écologique)... et une croissance de
la consommation de protéines animales !
Notons également que Nicolas Hulot, avec ses propositions d'économie d'énergie, demande
qu'on privilégie les destinations de proximité pour les voyages. Comme il s'est fait une
réputation de globe-trotter professionnel, cette impression de société à deux niveaux de
consommation, celui de la jet-set médiatique et celui du reste, semble se confirmer.
Une économie sans calcul
Toutes ces mesures, déjà entachées d'erreurs de méthode, conduisent finalement à un modèle
économique global objectivement erroné, au moins à court terme. En effet, toutes les
économies sans exception produisent immédiatement une épargne ou un surplus qui seront
donc dépensés à leur tour. Ce qui aura été économisé en eau, en essence, en matières
premières, en temps, sera donc disponible pour d'autres activités, d'autres consommations, de
biens et d'énergie. Mieux, ceux qui économiseront de l'essence, par exemple, provoqueront
donc une baisse de la consommation, une baisse des prix, et donc un réajustement à la hausse
de la consommation : les 4x4 pourront rouler moins cher !
Comme une baisse du pouvoir d'achat n'est pas un programme politique très populaire, seule
la généralisation de taxes écologiques conduira à court terme à un résultat global favorable.
Car c'est bien ce résultat de limitation du pouvoir d'achat qui correspond à une baisse de la
consommation. Admettons que les pays d'Europe devront moins se limiter que les USA. Mais
ils devront se limiter certainement plus que d'autres zones. Ce qui est globalement souhaitable
risque de faire grincer des dents.
Le modèle social des écolos, surtout dans sa version grand public, correspond assez bien au
modèle des pays pauvres ou à celui d'un passé plus ou moins idéalisé. Ces niveaux sont moins
gourmands en énergie et en biens de consommation, mais seulement du fait de situations de
pénuries pour le plus grand nombre. Comme la période actuelle est précisément celle où les
pays émergents se développent, il ne faut pas trop compter sur leur autolimitation. Il n'est plus
question d'exiger des trois-quarts de la planète, et des neuf dixièmes d'un pays, de se
contenter de peu pendant que d'autres consomment la majorité des ressources. On ne voit
donc pas comment un retour en arrière est possible pour satisfaire ceux qui prennent
conscience que le modèle de consommation des plus riches, dans les pays développés, n'est pas
généralisable. Or, comme une limitation volontaire est assez peu probable dans les pays riches,
on conçoit que le tour d'esprit normatif et moraliste se considère comme la seule solution.
Les économies d'énergie ne relèvent au fond que de la simple bonne gestion. Elles ne feront
que contribuer encore davantage à la globalisation, car des coûts inférieurs permettent encore
plus de développement. Une amélioration du niveau de vie aura bien lieu à la fois dans les pays
développés et dans les pays émergents du simple fait de l'amélioration technologique
permanente, de l'accroissement de la productivité et de la diffusion de ces progrès techniques.
Les délocalisations accélèrent cette diffusion, surtout du fait des moyens de communication
globalisés. Cette situation a deux conséquences principales :
Solution technologique
La première des deux seules solutions alternatives aux problèmes écologiques annoncés n'est
pas dans le tempérament écologique dominant. Il s'agit évidemment d'une résolution des crises
par les progrès techniques. Cette conception scientiste était la norme dans les années d'après-guerre, jusque vers les années 1970-80 (la fin de l'engouement pour la conquête spatiale ?).
Le scientisme continue à régner dans l'industrie et la recherche. Il est même admis par les
écologistes quand il s'agit des nouvelles technologies non-polluantes (solaire, éolien,
techniques durables en général), mais il rencontre aussi leur résistance dans certains domaines
(nucléaire, OGM, nanotechnologies, etc.). Les effets de ces améliorations techniques se
poursuivront, comme nous l'avons vu, au moins par diffusion globale. Et n'oublions pas que
toute nouvelle invention peut, à tout moment, résoudre tout ou partie des grands problèmes
envisagés. Personne ne peut savoir ce qui va se produire.
On soupçonne cependant les écologistes intégristes de ne pas le souhaiter, ce qui les relègue
au simple rang de passéistes ou de prophètes de malheur. Mais la population globale, même
favorable à l'écologie, ne ferait pas la difficile. Les partisans du nucléaire se sont d'ailleurs
emparés du thème du réchauffement climatique (non producteur de gaz à effet de serre), bien
que les partisans des OGM aient plus de mal du fait de l'absence d'urgence alimentaire. Les
débats et les enjeux (surtout industriels) restent donc ouverts.
Solution démographique
L'autre alternative est la question d'une politique malthusienne sur le plan strictement
démographique. Elle n'est plus vraiment à la mode en ces termes. Elle est occultée par les
questions climatiques et autres risques majeurs. Pour qui s'intéresse au sort de la planète, elle
est pour le moins toujours latente. La question de l'évolution démographique ne peut pas être
absente. Si on élimine le cas d'une catastrophe majeure ou définitive, où la question serait
définitivement réglée, on va bien devoir envisager l'évolution à la baisse ou à la hausse de la
population. Car l'hypothèse de la stabilité paraît totalement gratuite.
Concrètement, alors que les démographes – en prolongeant les courbes – prévoyaient une
croissance exponentielle il y a quelques décennies, la tendance est plutôt à la baisse dans les
pays développés, au ralentissement dans la plupart des pays émergents, et à la continuation
de la hausse dans les pays les plus pauvres. Il s'agit bien ici de baisse de populations globales
et non de celle de la natalité ou d'une baisse de l'accroissement. La population a déjà
commencé à baisser dans certains pays, et c'est bien la baisse qui va exploser quand les
enfants du baby boom vont commencer à décéder à partir de 2015, et ce pendant 30 ans !
La population d'un pays particulier (ou des pays développés dans leur ensemble) peut
évidemment augmenter par immigration, mais dans ce cas, c'est donc la population d'un autre
pays qui va décroître. Comme la croissance mondiale du niveau de vie va bien se poursuivre,
c'est donc ce modèle de la baisse du nombre d'enfant par femme qui devrait avoir tendance
à se généraliser.
Il est évidemment possible que le comportement des couples change brusquement pour faire
exploser la natalité [3]. Mais ce changement accentuerait précisément les problèmes écologiques
ou économiques (en l'absence d'une alternative de résolution – technologique on suppose –
des problèmes envisagés).
En outre, l'hypothèse récente d'une possibilité de pandémie mondiale d'une ou plusieurs maladies
émergentes renforce encore la probabilité de réduction de la population, qui n'était pas
envisagée quand on croyait encore aux conséquences un peu trop optimistes des progrès de
la médecine. Ceux qui ne croient pas au progrès en général seraient donc de mauvaise foi s'ils
ne croyaient qu'à celui-ci, et les autres se doivent d'enregistrer les restrictions récentes.
Bilan économico-démographique
Si l'on considère les progrès techniques enregistrés depuis 1800, on peut admettre que la
situation actuelle serait très enviable pour une personne vivant à la fin du XVIIIe siècle. Car une
raison essentielle des problèmes écologiques est bien le passage de la population mondiale
d'un milliard à six milliards d'habitants entre les années 1800 et 2000. Concrètement, si la
population mondiale était toujours d'un milliard ou deux, les problèmes qui se posent
actuellement ne seraient pas si importants (ou ils seraient même bel et bien inexistants) [4]. Il n'y a donc peut-être pas d'autre vrai problème que démographique, puisque tous peuvent être
rapportés aux conséquences globales de l'impact moyen par habitant. On peut donc bien agir sur le nombre d'habitants.
On ne peut pas non plus négliger l'importance du facteur démographique dans le développement
économique. Pour mémoire, on peut comparer les chiffres de croissance de pays africains avec
ou sans augmentation de la population :
Année |
1983-1984 |
2004-2005 |
Croissance 1984 / 2005 |
Pays |
PIB (en Milliards de $) |
Pop.en Millions |
PIB par Hab. (en $) |
PIB (en Milliards de $) |
Pop. en Millions |
PIB par Hab. (en $) |
a) Par habitant |
b) PIB seul |
Écarts [b/a] |
Mali |
1,2 |
7,7 |
150 |
14,4 |
13,5 |
1.067 |
711% |
1247% |
1,75 |
Maroc |
16,5 |
22,0 |
750 |
136,0 |
33,0 |
4.121 |
549% |
824% |
1,50 |
Kenya |
6,6 |
19,5 |
340 |
48,0 |
34,0 |
1.412 |
415% |
724% |
1,74 |
France |
496,0 |
55,0 |
9.018 |
2118,0 |
64,0 |
33.094 |
367% |
427% |
1,16 |
Même si la réalité avait été différente sans croissance de la population, les chiffres des écarts
entre la croissance du PIB par habitant et celle du PIB seul donnent une idée de l'incidence de
la population sur la croissance (de 50% à 75% en Afrique, seulement 16% en France) [5].
Une solution de stabilisation, puis de réduction importante de la population au cours du siècle en cours, pourrait donc concilier les contraintes écologiques avec le développement des pays émergents et des pays les plus pauvres. On remarque d'ailleurs que même ces derniers ont une belle croissance (2 à 3 fois plus forte que celle de la France) qui tranche avec les discours misérabilistes. L'avantage de cette solution de contrôle des naissances est qu'elle serait réellement durable.
Jacques Bolo
Bibliographie
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